Hépatite A: la leçon de la pompe de Broad Street
Rendant compte de la visite de M. le chef du gouvernement à la localité d’El Ghaba Essouda (délégation de Regueb) où la petite Nada Missaoui a succombé à une hépatite A, le site de Leaders (17 février 2015) pose les bonnes questions:
« Comment a-t-elle été contaminée ?
Quelle conduite tenir pour éviter toute infection ?
Que comptent faire les autorités ? »
et de conclure fort à propos: « l’urgence est de passer à l’action ».
Par ce déplacement, notre nouveau gouvernement semble faire sienne - et c’est heureux - cette recette donnée par Heidegger : « Il faut avoir le courage d’affronter la réalité, toute la réalité, dans toutes ses facettes jusqu’à l’angoisse». De plus, samedi 21 février, M. Essid a demandé aux gouverneurs d’aller, eux aussi, sur le terrain.
Un rapide coup d’œil sur la Toile et les journaux d’avant-2011 montrent hélas que la prévalence de l’hépatite A est courante dans notre pays mais que le régime précédent s’efforçait de le cacher… car il y allait de la crédibilité du 26/26 (lire par exemple l’éditorial de La Presse de Tunisie du 23 octobre 2001 intitulé « Stratégie vitale »). Ainsi, Tunisnews, en date du 28 novembre 2010, évoquait 1 000 cas d’hépatite à Thala. Le site parlait d’une intervention de Roche à Foussana, d’analyses gratuites à Kasserine et annonçait qu’un médecin était poursuivi disciplinairement pour divulgation du secret médical car il avait fait cas de cette épidémie. De même Radio Kalima annonçait le 19 septembre 2010 que vingt enfants de la région de Sfiha (délégation de Bouficha) souffraient d’hépatite A et qu’on déplorait la mort de l’un d’entre eux. Ce média mettait en cause la qualité de l’eau fournie aux habitants et l’absence d’un réseau d’évacuation des eaux usées.
Comment Nada a-t-elle été contaminée?
Le traité de médecine interne Harrison écrit au sujet de l’agent de l’hépatite A (VHA) : « Cet agent est transmis presque exclusivement par voie orofécale (en italique dans le texte). Le manque d’hygiène individuelle et la surpopulation augmentent le risque de transmission du VHA. Les grandes épidémies comme les cas sporadiques ont pour point de départ les aliments contaminés, l’eau, le lait et les coquillages. Des transmissions intrafamiliales et dans les institutions sont aussi fréquentes » (Edition de 1994, p. 1467).
De son côté, le site de l’OMS (visité le 21 février 2015) confirme : « Le virus se propage essentiellement lorsqu’une personne non infectée (ou non vaccinée) ingère de l’eau ou des aliments contaminés par les matières fécales d’un sujet infecté. La maladie est étroitement associée au manque d’eau potable, à l’insuffisance de l’assainissement et à une mauvaise hygiène personnelle ». Comme pour la typhoïde, le choléra… on est en présence d’une maladie hydrique, transmise par l’eau.
L’eau contaminée par les matières fécales, voilà l’ennemi ! En 1854, le Dr John Snow observe à Londres, dans le quartier de Soho, la pire épidémie de choléra qu’ait jamais subie le pays. Interrogeant les malades, il arrive à la conclusion que l’eau de la pompe de Broad Street (aujourd’hui Broadwick Street) est infectée. Il retire le bras de la pompe. Les gens ne peuvent plus accéder à l’eau de ce puits et l’épidémie s’arrête à Soho. Aujourd’hui, deux milliards et demi de personnes n’ont pas de toilettes. « Sans toilettes, toute maladie qu’elles contractent risque de devenir la vôtre », écrit Rose George (The New York Times, 28 décembre 2008).
Comment éviter l’infection?
Les choses sont donc claires : il faut que l’eau potable de bonne qualité et en quantité suffisante arrive dans nos villages les plus reculés et notamment dans les écoles rurales pour éradiquer l’hépatite A. Mais, dans le même temps, il faut prévoir un assainissement correct, faute de quoi la nappe phréatique, les puits et les majèns risquent d’être contaminés. Nos concitoyens qui réclament à juste titre des adductions d’eau potable doivent, en même temps, réclamer un assainissement correct. Paris et Londres n’ont passé le cap du million d’habitants que quand elles furent dotées d’un réseau d’égouts. Les eaux usées non traitées, répandues de manière erratique dans la nature, constituent de plus un milieu idéal pour le pullulement d’insectes vecteurs de microbes et de virus (mouches, moustiques…) qui vont amener à utiliser des insecticides, produits généralement toxiques et dangereux.
Il y a aussi une éducation à inculquer. L’école est ici le maître d’œuvre. Elle doit donner l’exemple en mettant à la disposition des élèves de l’eau et du savon. On en est hélas loin dans bien des établissements!
Il faut aussi abandonner la détestable habitude de manger à plusieurs dans le même plat ou de boire dans le même verre comme cela a été rapporté par les médias pour certaines écoles. C’est une règle d’hygiène de base : chacun doit disposer d’un couvert individuel.
Vacciner, c’est bien mais rien ne saurait remplacer, sur le long terme, l’eau potable, l’assainissement et l’hygiène. L’ancien directeur général de l’OMS Halfdan Mahler disait : « Le nombre de robinets par milliers de personnes deviendra un meilleur indicateur de santé que le nombre de lits d’hôpitaux ».
Un coût exorbitant
L’hépatite A - comme toute maladie - a un coût économique et social. Il faut parfois plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour que les malades convalescents puissent retourner au travail ou à l’école, constate l’OMS. L’adduction d’eau et les réseaux d’évacuation des eaux usées nécessitent, bien entendu, des moyens importants. Le grand hebdomadaire anglais The Economist affirme qu’un dollar investi dans l’eau en rapporte huit.
De plus, un groupe de chercheurs dirigé par Christopher Eppig trouve que « le contrôle des maladies infectieuses est crucial pour le développement d’un pays…Les habitants des endroits qui hébergent un grand nombre de parasites et de pathogènes souffrent non seulement des effets débilitants de la maladie sur leur force de travail mais constatent aussi l’érosion de leur capital humain, enfant après enfant, depuis la naissance ». Ces chercheurs affirment que la disparition des maladies infectieuses améliore fortement l’intelligence des habitants en vertu de l’effet Flynn. La vaccination, l’eau potable et l’évacuation correcte des eaux usées expliqueraient cet effet. (The Economist, 3 juillet 2010, p. 70- 71).
Pour toutes ces raisons, il faut investir dans l’eau potable et l’assainissement…si l’on veut que ces sorties sur le terrain de M. Essid et des membres de son équipe aient des retombées positives pour nos concitoyens donc pour leur santé ainsi que pour le pays et son économie.
La mort de la petite Nada Moussaoui doit servir de leçon car « l’urgence est de passer à l’action »…et vite!
Mohamed Larbi Bouguerra