Habib Essid: L’urgent, le stratégique
«Déjà qu’il a dix mille problèmes urgents à résoudre, on lui demande de solutionner vingt mille de plus!» Cet ambassadeur d’une grande puissance occidentale ne pouvait être plus compatissant à l’issue d’une heure d’entretien avec le chef du gouvernement, Habib Essid. «Je comprends, poursuit-il, que tout est urgent et je suis persuadé que les priorités seront hiérarchisées. De toutes les façons, nous intensifierons notre appui effectif à la Tunisie». Compréhensif et rassurant, ce diplomate rejoint nombre de ses pairs, heureux de voir la fin du provisoire et l’installation de la deuxième République. Vue de l’extérieur, la situation incite à l’optimisme, mais pour les Tunisiens, les craintes persistent et les attentes s’amplifient. Ayant démarré sur les chapeaux de roue, le gouvernement Essid aura eu ce premier mois de février court mais intense. Sans répit. Coulisses.
Atterrissage sous la pression des évènements, sans même un premier week-end paisible. A peine la passation effectuée vendredi 6 février, le sud frôle l’embrasement le dimanche. Un vent de fronde souffle sur Dhehiba, Ben Guerdane et Ras Jedir. Peu importe les vraies raisons des fausses, la contestation est là, les forces de l’ordre sont attaquées, la riposte s’enclenche, un mort est déploré et nombre de blessés aussi. Deux ministres, Slim Chaker et Yassine Brahim, sont dépêchés en pompiers. Le terrorisme fanatique s’invite lui aussi de nouveau au pied du Chaambi. Quatre gardes nationaux sont massacrés. Pendant que la classe politique, insouciante, se chamaille sur les postes ici et là et que les enseignants et les postiers sont en grève.
Habib Essid n’avait pas le choix : gérer les crises au quotidien et engager les mesures urgentes de son programme d’action, tout en préparant le moyen terme. Maîtrise des prix, réhabilitation des édifices publics, notamment écoles, dispensaires, hôpitaux et administrations, et lancement du programme d’hygiène et de propreté : il fallait prendre des mesures à impact immédiat.
Le compte à rebours des 100 premiers jours
Chaque ministre et secrétaire d’Etat a déjà remis les actions prioritaires qu’il s’engage à accomplir durant les 100 premiers jours. Examinées en Conseil des ministres restreint, elles constitueront un contrat-programme, indique à Leaders un proche conseiller du chef du gouvernement. Le plan présenté devant l’Assemblée des représentants du peuple est ainsi en cours de déploiement. Pour le moyen terme, c’est le plan quinquennal de développement économique et social 2016-2021 qu’il faudrait commencer à préparer. Yassine Brahim, ministre de la Coopération internationale, de l’Investissement et du Développement, se met à l’ouvrage. Une première note d’orientation stratégique est d’ores et déjà élaborée et diffusée en première lecture à tous les membres du gouvernement.
Gardant un œil sur l’immédiat et l’autre sur le lendemain, Habib Essid surveille de près tous ces dossiers brûlants. Avec son style habituel du concret et du direct, il préfère trancher de suite pour ne rien laisser pourrir. La rapidité de la prise de décision est importante tout comme la ponctualité : il pose ses marques qu’il envoie en signaux à ceux qui savent les décoder.
Rétablir l’ordre des choses
C’est ainsi qu’il reprend l’ancien bureau qui a toujours été occupé par les chefs de gouvernement et Premiers ministres successifs depuis l’indépendance jusqu’à Béji Caïd Essebsi. Sous la Troïka, il avait d’abord été occupé par une demi-douzaine de conseillers de Hamadi Jebali qui y avaient aligné leurs tables de travail avant d’être divisés en petits bureaux, faisant fi du caractère patrimonial des lieux. Le salon d’accueil des visiteurs était lui aussi transformé en bureau et les hôtes devaient patienter dans un salon fort étroit. C’est rétabli. Les cloisons sont enlevées, le grand bureau officiel du chef du gouvernement retrouve son éclat et le salon d’accueil sa vocation initiale.
Aucun dossier ne traîne sur son bureau. Les rendez-vous sont ponctuels, point de retard toléré. Aussi, quand un haut cadre du ministère de l’Intérieur s’est permis d’arriver une demi-heure après le démarrage de la conférence des gouverneurs, n’a-t-il pas hésité de lui demander de quitter illico la salle.
Une équipe restreinte avec des tâches précises
Très tôt le matin, il lit les notes de ses conseillers, annote son courrier, signe les parapheurs et réunit son cabinet pour un briefing expéditif. Jusque-là, il s’appuie sur une équipe restreinte. Elle est composée essentiellement du directeur de cabinet, Taieb Youssefi et des conseillers Ridha Ben Mosbah (Economie), Sayed Blel (Affaires sociales), Mofdi Mseddi (Communication) et du secrétaire général du gouvernement Ahmed Zarrouk. Tout est passé en revue. Chacun a des fonctions précises et un rôle majeur à jouer.
Les consignes sont claires : favoriser la communication interne et l’implication de tous et agir rapidement. Même pour un gouvernement solidement en place, non tenu par une échéance écourtée comme ses précédents, le temps est court. La journée commence et sera partagée entre audiences, réunions et visites sur le terrain.
Tous les gouvernorats
Pour rester à l’écoute de la Tunisie profonde et ne pas s’enfermer dans la redoutable bulle de La Kasbah, le chef du gouvernement cultive sa vieille habitude d’aller sur le terrain. Les déplacements sont soigneusement sélectionnés pour cadrer avec un objectif précis, lancer des messages et préparer des décisions. A Elghaba Essouda, près de Saïda, à Regueb, après le décès d’une écolière atteinte de l’hépatite A, c’est la situation des écoles primaires et des dispensaires en première ligne des soins de santé qu’il est allé examiner de près. A Fernana, sur les hauteurs de la Kroumirie, tout près de la frontière tuniso-algérienne, ce sont les conditions de vie et la situation sécuritaire dans les forêts qu’il voulait inspecter. Dans les gouvernorats du sud qui avaient connu de vives tensions ces dernières semaines, ce sont les nouvelles mesures qu’il est allé annoncer. Au programme, pas moins de 14 gouvernorats à visiter avant la date butoir des 100 premiers jours. Les autres suivront.
La machine, longtemps grippée par le provisoire et le transitoire et à peine amorcée ces derniers mois, se remet à tourner. Plus vite, beaucoup plus vite, réclament les Tunisiens.
T.H.