Violence sans conscience est la ruine de l’humanité
Je suis atterré de voir comment a pu évoluer notre société. Notre humanité est en train de s’effilocher sans que nous en ayons conscience et c’est très grave. Nous prétendons à une société moderne mais nous ne savons pas la construire, si c’est là le prix de son édification.
La Tunisie vient encore de vivre une tragédie malheureuse dans son évolution et c’est un nouveau chapitre à écrire au titre du terrorisme arabe et international. Mais ce qui est préoccupant au-delà de l’évènement lui-même, c’est la réaction première du commun ; le fait que ce nouvel épisode tragique n’émeuve pas plus que ça la population. Les gens de la rue semblent s’être habitué à ce qu’il se passe des choses de ce genre dans le pays. C’est passé et on reprend le cours de la vie. Il est dérangeant de constater le naturel avec lequel la population a intégré le phénomène terrorisme au point de perdre leur spontanéité.
Les couplets et discours standards sont repris ainsi que les vieux slogans et formules toutes faites. Chacun y va de son petit commentaire banal.
Sur le plan officiel aussi, c’est toujours la même déférence protocolaire sans aucune sincérité ni réelle compassion. C’est le ‘’ouf ! Ce n’est pas nous’’ de soulagement.
Une grave erreur de communication
Craignant pour le secteur touristique, le gouvernement tunisien a commis, comme en avril 2002 pour l’attentat de Djerba, une grave erreur de communication. Le chef de l’Etat a fait un discours qui a surpris par sa brièveté et l’absence de sentiment qui le caractérisait. Il n’a pas jugé opportun de rassurer la population ni de dire quelques mots de compassion pour toutes les victimes et leurs familles. Il n’a fait les frais que de quelques mots pour l’évènement et d’un flot de remerciements aux Etats et chefs d’Etats étrangers pour leur solidarité diplomatique. Bien sûr il s’est rattrapé par la suite mais un peu tard.
Dans les média, chacun y va de son laïus pour marquer le coup et se faire de la publicité. Les chaines de télévision et de radio font de la surenchère pour l’audimat et faire de l’audience. Un tel évènement fait vendre du papier et grimper les taux d’écoute. Mais les victimes qui s’en préoccupe réellement ? Ce ne sont que des chiffres à ajouter sur le compte du chapitre Terrorisme. Comme à chaque fois, une vague démagogique déferle sur tous les plateaux de télévision. Chacun avec son couplet bien appris comme par exemple le secrétaire d'Etat tunisien chargé des affaires sécuritaires auprès du ministère de l’intérieur. Celui-ci avait affirmé jeudi soir, 19 mars, sur une chaîne privée que les deux Tunisiens auteurs de l'attentat étaient sous surveillance bien avant leur crime et qu’ils avaient quitté clandestinement le pays en décembre dernier pour se rendre en Libye. Selon ses dires, ils auraient pu s’y former au maniement des armes et aux techniques de guerre. Sans plus de détails sur cet entraînement clandestin, le secrétaire d'Etat tunisien a tout de même précisé qu'il existait en Libye des camps d'entraînement pour Tunisiens, notamment dans les villes de Sabratha, Benghazi et Derna et qu’ils avaient pu être formés dans l'un de ces camps, ajoutant que les deux assaillants étaient des "extrémistes salafistes takfiris". Le comble c’est qu’avec tous ces détails et une forte présomption, le ministère de l’intérieur les a laissés tranquillement et librement circuler dans tout le pays sans surveillance et fomenter leur basse besogne en toute impunité. Aussi l'un des deux assaillants du musée du Bardo, Yassine Abidi, avait été arrêté peu avant son voyage en Libye. Ainsi Yassine Abidi et son acolyte Hatem Khachnaoui étaient suspects et dans la mire du ministère de l’intérieur qui savait ou soupçonnait qu’ils appartenaient à une cellule dormante terroriste.
Certaines choses ne sont pas très claires ou alors on ne nous dit pas tout, ce qui revient au même.
A un autre niveau, il faut savoir qu’avec ses frontières algérienne et libyenne, la Tunisie est particulièrement exposée au risque terroriste surtout depuis son printemps qui peu à peu se transforme en hiver. Selon certains, 500 ressortissants tunisiens ayant fait le ‘’jihad’’ en Syrie, en Irak et en Libye, notamment dans les rangs de ce qui se fait appeler ‘’Etat islamique’’ sont aujourd'hui rentrés sur le territoire de la Tunisie et ils constituent ainsi une menace potentielle pour le pays et sa population en tant que cellules terroristes dormantes présumées et un risque non négligeable pour sa stabilité. De plus, on estimerait qu’environ 4000 Tunisiens auraient rejoint Daech, ce qui constituerait l’un des plus importants groupes de djihadistes étrangers. L’organisation terroriste de l’Etat islamique exploite maintenant le chaos qui règne en Libye, actuellement divisée en deux, pour établir une tête de pont en Afrique, en vue de la mondialisation de sa folie. Le gouvernement officiel libyen ne contrôle plus la capitale et est en exil à Tobrouk, ville dans laquelle il s’est retranché. C’est un recul alarmant pour les voisins de ce pays, car cela les expose plus directement aux attaques. La capitale est aux mains des islamistes et la Libye est devenue une poudrière et un terrain fertile pour les djihadistes de tout poil et leur déferlement géographique. En effet, avec des frontières incontrôlables, il est possible d’en sortir facilement pour rejoindre la Tunisie et l’Egypte et de là …. Ainsi l’ennemi est à notre porte. En dépit d’une sonnette d’alarme, les armées libyennes ne semblent pas en mesure d’amorcer le dialogue nécessaire pour former un front uni et cohérent contre l’organisation de l’Etat islamique, contrairement à la coalition qui s’est mise en place en Afrique sub-saharienne et qui réunit le Niger, le Tchad et le Cameroun contre la secte Boko Haram implantée au Nigéria. Des pourparlers parrainés par la communauté internationale sont en cours au Maroc, mais il y a peu d’espoir de parvenir à une solution politique.
L'Afrique tout entière à l'épreuve du terrorisme
Aujourd’hui, c’est toute l’Afrique qui est face au terrorisme avec l’attentat tunisien qui s’ajoute aux deux attentats qui se sont produits au Mali, à Bamako et à Kidal (contre une mission de l’ONU). Ainsi que celui de Nairobi au Kenya. Au nord-est du Nigéria, une secte (boko haram) ayant la même lubie que l’organisation de l’Etat islamique, qui s’est installée en Libye, lui a fait allégeance espérant de sa part un soutien logistique. Ce faisant, la secte Boko Haram est un nouveau groupe africain à rejoindre l’Etat islamique, après notamment Ansar Beït al-Maqdess, en Égypte, en novembre 2014. En Somalie il y a les Chebab qui se situent clairement dans la même catégorie que les autres et dans le sillage du terrorisme international. Ce qui se joue avec ces groupes disséminés un peu partout, c’est une attaque massive contre la paix et la sécurité internationale au centre du monde, représenté par le bloc continental Nord-Sud, Europe-Afrique. Le Niger, le Tchad, le Cameroun sont en train de solliciter la société internationale pour se ressourcer en hommes, matériel et financièrement dans la lutte contre le terrorisme de leur région. Il y a des éléments qui attestent d’une stratégie de montée en puissance et d’une volonté d’exister comme force de ces groupes terroristes, d’abord localement par le développement d’une assise concrète définie et proclamée khalifat et ensuite une volonté de régionalisation de leur influence comme l’attestent les vagues d’attentats récentes. Le but est de créer un impact emblématique en termes de guerre psychologique et de déstabiliser les régimes par la terreur. Les demandes d’allégeance des groupes nouveaux à l’organisation de l’Etat islamique sont des marques d'adhésion et d’inféodation, ce qui permet à ces mouvements terroristes de s'inscrire dans des mêmes combats et signifier qu’ils ont les mêmes ennemis. Depuis l'annonce de l'allégeance de Boko Haram acceptée, on peut désormais considérer que l'Etat islamique est présent en Afrique noire. L’Etat islamique définit le théâtre de sa guerre et il cherche à s’étendre au-delà de la Syrie et de l’Irak, à l'Algérie, à la Tunisie, à la Libye, à l'Égypte et maintenant, à l’Afrique noire comme première étape de sa mondialisation. Ces mouvements semblent d’une grande porosité puisqu’ils essaient de rallier des groupuscules divers dans différentes régions du monde et de recruter des désespérés sociaux des pays cibles de leurs actions pour renforcer leurs rangs et noyauter leur société d’appartenance. C’est ce qui se passe avec une partie de la jeunesse tunisienne.
Les Pays Occidentaux sont aussi concernés par les messages de propagande de ce terrorisme sauvage et ils vont devoir adapter leur stratégie de lutte pour assister les Etats victimes de cette gangrène. Il y a une vraie menace djihadiste extrémiste mondiale qui est polymorphe, puisqu’elle prend des formes diverses dans différents pays. Vis-à-vis de ces menaces islamistes, en Libye, en Afrique centrale ou au Moyen-Orient, il faudrait mettre en place une stratégie globale pour les cloisonner, les isoler et les réduire séparément. Toute la difficulté va résider dans le traitement à la fois local, régional et globalisé de cette menace terroriste internationalisée.
Le fil rouge de la lutte antiterroriste c’est son financement. Suivez la piste de l’argent comme on dit. Les organisations terroristes nécessitent de gros moyens financier pour mener leurs opérations d’endoctrinement, d’armement, d’entraînement paramilitaire, qui requièrent des ressources humaines et matérielles considérables, y compris des camps d’entraînement. Pour les combattre il faut donc s’attaquer aux parrains financiers du terrorisme international. Suivre la filière de l’argent jusqu’à la source.
Il est difficile de déterminer clairement le mode de financement de Daech car il ne s’inscrit pas directement dans le système financier international normal. Mais ce financement est lié aux particularités du système de commerce de la région et au trafic de drogue et autres produits entre la Syrie et les pays du golfe pour une part. Les services de contrôle financier devraient donc avoir les moyens de suivre et de poursuivre des personnes dont ils savent qu’elles présentent un danger de type terroriste. Au Moyen-Orient il y a un système de commerce interne à la région qui, depuis des siècles ne touche pas le système bancaire. Les transferts d’argent se font par le commerce tout comme son blanchiment, rendant difficile la traçabilité. L’organisation de l’Etat islamique par ce biais arrive à enregistrer jusqu’à un (1) million de dollars par jour, grâce à la vente illégale du pétrole dans les zones qu’elle contrôle sous forme de troc ou autre. Le pétrole est ainsi devenu monnaie d’échange dans la région, en Irak, en Turquie, en Syrie. Il y a aussi certainement des transactions en argent et transfert de monnaie qui se font par des circuits complexes, mais surtout de marchandises. Depuis très longtemps il y a une filière parallèle illégale au commerce pétrolier. En outre le Daech s’autofinance par pillage au fil de ses conquêtes irakiennes, syriennes et libyennes. Mais depuis ces dernières années ou ces derniers mois de façon plus précise, tout le monde sait que les bailleurs de fonds du terrorisme sont les mécènes du Qatar et de l’Arabie Saoudite, des pseudo-Etats, dont le pouvoir politique demeure une nébuleuse dynastique pléthorique, confuse et tentaculaire, qui contrecarre l’action des gouvernements fantoches en place, lesquels sont indolents et impuissants et qui laissent faire librement sur leur sol les collecteurs de fonds destinés au terrorisme. Il est donc urgent de s’attaquer aux parrains idéologiques et financiers du terrorisme et du totalitarisme obscurantiste et de les éliminer sans ménagement.
Par ailleurs, la Tunisie en plus d’être la cible de l’organisation de l’Etat islamique à sa porte, doit aussi compter, depuis 2011 avec un groupe terroriste affilié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), la Phalange Okba Ibn Nafaâ, qui aurait à son passif les assassinats de dizaines de policiers et de soldats tunisiens à la frontière algérienne.
Le summum de l’inconséquence vient de la conférence de presse puérile du chef du gouvernement. Le premier point qu’il a soulevé c’est la différence entre les différentes déclarations officielles quant au nombre des victimes. Celles-ci ont été évoquées comme des dégâts matériels, comme si on parlait de vitres brisées ou de pots cassés ou de trous dans un mur. Cela nous démontre encore une fois à quel point la vie humaine peut être bon marché en Tunisie surtout s’il s’agit d’étrangers. C’est là une grave erreur de communication.
Pour se rattraper il a, dans une deuxième partie du discours, fait un inventaire des victimes par nationalité avec un détachement d’indifférence. Personne n’a évoqué les survivants et le traumatisme qu’ils ont subi, personne n’a parlé des enfants qui risquent d’en garder des séquelles psychologiques. Personne n’a évoqué sincèrement l’horreur. On n’a pas non plus dit ce que l’Etat allait faire pour eux.
Au-delà, le phénomène ne se résout pas à un nombre de victimes. C’est une cassure dans le tissu social et une menace à l’équilibre de toute la société. C’est une plaie ouverte dans nos institutions et dans notre ouverture vers l’avenir. On nous parle des attaques antérieures dont on a fait le compte, mais on n’en tire pas les leçons. On nous déclare aux informations que la Tunisie avait déjà subi trois attaques terroristes et que c’était la quatrième ; oui et après ! Quelles sont les conséquences ? Quelles sont les mesures que nous avons prises depuis ? Quelles leçons en avons-nous tirées ?
Il faut sauver la saison touristique
Par les temps qui courent, il semble que le phénomène de terreur soit pleinement intégré dans le décor de notre société. On insiste sur un point qui occulte les autres, c’est qu’il ne faut pas que cela se répercute sur le taux de fréquentation des hôtels et des lieux touristiques. Il faut sauver la saison touristique. C’est cela qui semble seul compter. C’est vrai que cela est très important mais chaque chose en son temps et à sa place. Un temps pour la mémoire, un temps pour la réaction et un temps pour tout le reste.
Pourvu que cela ne ruine pas le tourisme ! Est-ce là une réaction saine ? Permettez-moi d’en douter ! Les officiels prennent des contacts avec les pays concernés pour qu’ils ne prennent pas de mesures contre la venue de leurs ressortissants en Tunisie. C’est vrai que le secteur touristique représente 7% du PIB et assure à lui seul 400 000 emplois. En 2014 le secteur a enregistré une croissance de 6,4% mais le nombre de touristes, lui a continué de baisser de – 3,2%. Le tourisme est en berne malgré le soleil, les prix cassés, malgré les campagnes publicitaires vantant les merveilles du pays et des responsables politiques qui font la promotion du pays.
Mais on parle de sécurité et de vies humaines, bon sang ! Va-t-on mettre un garde devant la porte de chaque chambre d’hôtel, devant chaque restaurant, musée, monument historique et autres lieux du tourisme ? Les forces de sécurité vont-elles devenir des éléments du décor des festivals avec tout ce que cela comporte ? Autant d’interrogations.
Au-delà de ces considérations, dans quel monde vivons-nous si la vie humaine a si peu de prix qu’elle devient mercantile ? Est-ce la rançon de la modernité ? Si c’est cela, retournons au Moyen-Age ! Pas un mot pour déplorer les dommages collatéraux, pas un mot pour dénoncer la sauvagerie de l’acte en lui-même. Personne pour dénoncer les Etats voyous qui nous menacent depuis le 14 janvier 2011 et mettent de l’ombre sur notre printemps, à commencer par celui qui est à notre porte et dont la Tunisie a accueilli des milliers d’individus de sa population.
Tout le monde est content que le parlement n’ait pas été touché et qu’il n’était pas visé dès le départ. Ils se sont intéressés de faire évacuer le parlement et ce n’est qu’après qu’ils se sont tournés vers le musée du Bardo et réalisé que c’était lui qui était visé. Avec l’air de dire ‘’Après tout ce n’est qu’un musée ! ‘’ C’est vraiment grave ! Intégrer le terrorisme et la violence urbaine comme une donnée sociale c’est pire que tout !
Ensuite le chef du gouvernement a enchainé sur les conseils et les cellules de crise qui ont été réunis et sur le nombre des réunions. Aucune référence à une quelconque stratégie ni à une réaction officielle. Nous allons équiper la police et l’armée de nouveaux matériels et équipements. L’occasion est belle. En 2014 on en a eu pour 30 millions de dinars d’équipement pour la vision nocturne au profit de l’armée pour la lutte anti-terroriste. Et quel est le résultat, l’ennemi s’est rapproché de nous sans que nous ne nous en soyons aperçus. Ce matériel a rendu nos forces encore plus myopes. Aussi posons la question de savoir si c’est un problème d’équipement et de matériel ? Les citoyens ont fait une révolution avec rien que leur détermination. L’armée se perd dans les méandres de l’affaire Chaâmbi depuis plus de cinq années et toujours rien à l’horizon. Maintenant on veut nous faire croire que c’est parce que l’armée est sous-équipée. Ils se sont réveillés à cette réalité après plus d’un demi-siècle d’existence de notre armée. A qui veut-on faire gober ce mensonge. La vraie raison c’est que notre armée est sous entrainée, mal formée et mal commandée et qu’elle n’a aucune expérience de ces opérations de terrain. Les forces de sécurité ont été formées pour la maîtrise de la population et non pour intervenir en cas de menace à la paix et à la sécurité sociale.
Que faut-il attendre de la loi anti-terroriste?
Le sujet revient sans cesse sur la loi anti-terroriste que doit adopter le parlement. Mais une loi ne fait pas de miracles. Parfois même elle peut être source de plus de mal que de bien et pourrait favoriser les abus de pouvoir, les passe-droits, l’arbitraire, la délation et les erreurs judiciaires. Elle ne va certainement pas apporter des solutions toutes faites au problème. Dans la mécanique législative, tout juriste dira que le propre d’une loi c’est une inadaptation quasi-systématique aux situations réelles. Elle est toujours en décalage par rapport à la réalité compte tenu de temps qui est nécessaire à son élaboration et à son adoption. Pour ne soulever que ce point. La France a un plan ‘’Vigie pirate’’ qui permet de réagir contre le terrorisme. Et nous ?
Une autre question c’est celle de l’argent. Pour acheter de nouveaux équipements pour nos forces armées et de sécurité, il faut de l’argent. C’est bien beau de dire que nous allons acheter du matériel de pointe, et de nouvelles armes et autres merveilles technologiques. Pour cela une nouvelle loi de finance complémentaire va être adoptée avec pour point principal une augmentation du budget de l’intérieur et de la défense. Mais qui va payer la facture ? C’est comme pour la loi de finance complémentaire 2014. On va encore ponctionner et siphonner les salaires des fonctionnaires et agents de l’Etat pour qu’ils payent la note. Encore un racket officiel organisé par le parlement et orchestré par l’administration financière et monétaire. Bien sûr ! La fonction publique a bon dos. Elle n’a pas où s’échapper. Elle est toujours la première visée dans le collimateur gouvernemental puisque dans tous les cas avec ou sans consentement la ponction se fait à la source sans que l’avis des intéressés ne soit sollicité.
Sur le plan institutionnel, on constate le peu d’enthousiasme des autorités et le manque de volonté politique d’éradiquer le phénomène. Déjà par le passé il y avait une instrumentalisation du phénomène terroriste pour assoir et renforcer l’appareil répressif sous des prétextes de sécurité. C’était la terreur comme instrument de gouvernement. Mais cela a-t-il vraiment changé ? On se le demande ! Tout le monde soupçonne tout le monde, il n’y a plus de confiance dans ses voisins ni dans les institutions, plus de solidarité sociale.
Le gouvernement conduit entre décembre 2011 et janvier 2014 a, par laxisme, calcul politique ou complicité tacite, laissé prospérer, sinon alimenté l'extrémisme religieux en Tunisie et, son corollaire qu’est le terrorisme. L'islamisme radical était considéré à une certaine époque comme étant proche du régime, et il y avait une certaine omerta qu’il ne fallait pas rompre en dénonçant les attentats terroristes qu’il opérait. Les salafistes étaient des créatures du pouvoir qui s’était installé après la rébellion de 2011 comme des instruments de gouvernement. Mais elles ont mordu la main qui les nourrissait et se sont mise à leur propre compte, depuis l’attentat de l’ambassade des USA à Tunis et de l’école américaine. Ils sont vite devenus des éléments incontrôlés à la solde d’Etats voyous qui se sont ligués pour faire échouer l’exemple libertaire donné par la Tunisie.
La complicité utile de certains émirats du golfe comme celui du Qatar, qui soutient l'Internationale islamiste et qui finance toutes ses ramifications terroristes dans le Monde arabe, en Afrique et même en Europe, est notoire. Par ailleurs les peuples libyen et tunisien subissent aujourd'hui les conséquences dramatiques de la destruction programmée de la Libye par certaines puissances occidentales comme la France. Aujourd’hui, près de 4 millions de Libyens vivent en exil, dont la moitié est en Tunisie. La Libye a implosé et est livrée à une guerre civile meurtrière entre les différentes factions islamistes. L’Etat islamique contrôle depuis déjà quatre mois une partie importante du territoire libyen. C’est cette organisation qui a revendiqué l'attaque terroriste du Bardo comme une des étapes en attendant la grande offensive contre la Tunisie y compris sur le sud. L'islamo-terrorisme, a pris pour cible le "printemps tunisien". Il ne connait ni nation, ni Etat, ni souveraineté, ni frontières, ni culture, ni religion. Il est comme une infection qui s’étend sur une plaie mal soignée.
La boîte de Pandore
Bien plus profondément le "printemps arabe" a ouvert la boîte de Pandore d'où sont sortis les islamo-terroristes de l’organisation de l'Etat islamique, du Front Al-Nosra, d'Ansar Al-charia, de Boko Haram, d'Al Qaïda au Maghreb Islamique, du Mujao, d'Ansar Eddine... appellations multiples pour désigner les têtes nombreuses de cette hydre qui se ressourcent toutes dans l'islamisme originel et matriciel des Frères musulmans. L'ennemi ne s’incarne pas seulement dans ces cellules métastatiques du terrorisme international, mais dans l'idéologie islamiste, théocratique, totalitaire et universaliste qui les unit. Autrement dit, cet islamisme politique ne cherche pas seulement à s'implanter dans les pays arabes, mais partout dans le monde, y compris en Europe. Les islamistes livrent une guerre contre "la citadelle des croisés" et ses vassaux, pour la conquérir parce qu'ils considèrent qu’elle est politiquement fragile et spirituellement désarmée et égarée. Ils se sont trompés d’époque certainement ou sont sortis d’une caverne.
C'est une réalité que le monde occidental en général et la France en particulier n'arrivent pas à assimiler parce qu'elle échappe à toute rationalité cartésienne. Ils ont fait preuve d’un manque certain de clairvoyance politique et de bon sens géopolitique en défendant et en prenant position pour l'islamisme modéré. Ils l'ont accepté, cautionné et défendu comme thèse de gouvernement véhiculée par le printemps arabe et qui devait sans aucun doute casser l'omnipotence des dictatures arabes et précipiter leur fin. Ils n’ont pas pensé que cela pouvait se faire au prix des valeurs universelles et de la modernité auxquelles aspiraient les populations arabes. Céder le pouvoir aux islamistes, fut-ce par des élections "démocratiques" et "transparentes", ne devait pas faire partie du contrat.
L’intégration sociale est en train de battre la campagne. Il semble même que les médias sont muselés et qu’ils ne nous disent pas ce qui est en toute vérité. L’information est édulcorée et les faits banalisés. Des épiphénomènes sont amplifiés comme par exemple l’affirmation du journal ‘’Libération’’ et on en fait tout un plat de ce que Libération a écrit. Les journalistes même sortent de leur réserve pour nous balancer des slogans de leur cru. Libération a écrit ! Oui ! Et après… Vous avez un droit de réponse, faites une vraie déclaration. Mais que ce soit quelque chose de sincère. Ecrivez ! Proclamez !
Tout démontre que nous n’avons pas encore appris à agir et à réagir en Etat moderne. C’est toujours la conception d’un Etat patrimonial qui prévaut et dicte nos réactions comme quand la Tunisie était une monarchie et que les monarques des temps anciens la possédaient.
Je suis sûr d’une chose, c’est que tous ceux qui aiment ce pays sont déçus par ses institutions et par la mollesse de ses réactions tant intérieures qu’internationales.
Le Terrorisme est aveugle et il n’a aucune religion. Il est l’arme facile de criminels faibles d’esprit et de coeur qui n’ont d’humain que deux bras et deux jambes. Il frappe au hasard, et généralement sur des cibles sans défense, ce qui est la preuve d’une grande lâcheté. Les terroristes ont un discours avec un vocabulaire très limité ce qui est aussi la preuve d’un manque de conviction. Ils ne parlent que de répression, d’exactions et le tout dans une enveloppe d’exagérations dont le but principal est d’intimider les populations en les menaçant de tous les fléaux de la création.
En temps normal cela devrait faire l’effet d’une catastrophe. Tout être humain sain d’esprit devrait s’insurger contre ce phénomène. Le monde devrait s’arrêter de tourner pendant un moment. Mais non ! On va faire une marche internationale pour marquer le coup pourquoi pas dimanche ! C’est l’occasion pour les officiels de s’afficher et de faire leur promotion.
Une autre question revient, les 4000 Tunisiens qui sont partis pour combattre en Syrie et qui veulent revenir on se demande s’il faut les laisser retourner au pays ? Mais la question ne devrait pas se poser en ces termes. En fait, la vraie question est de savoir ce que l’on devrait en faire s’ils revenaient en Tunisie ? La réponse est simple. Ce sont des ressortissants tunisiens, mais ils sont en infraction avec la législation et la règlementation sur l’interdiction d’interférer avec la politique étrangère du pays. Ils ont pris les armes contre le pouvoir d’un Etat souverain sans l’autorisation de leur Etat national et sans que leur Etat d’appartenance ne soit en guerre contre cet autre Etat. Ils ont violé impunément plusieurs lois et règlements de sécurité nationale ainsi que des conventions internationales et doivent donc être mis à la disposition de la justice et à l’écart de la société et ne doivent pas être réinséré dans la société jusqu’à ce qu’il soit démontré qu’ils ne constituent pas une menace pour la sécurité de la société tunisienne et pour l’ordre public. Ils doivent être traités comme des éléments subversifs et potentiellement dangereux à écarter du cadre social, tout en respectant les principes des droits de l’Homme.
Nous ne sommes plus dans une phase de transition. C’est fini depuis que le président a été élu et le gouvernement constitué. Les choses doivent reprendre leur vraie place.
Mardi 24 mars 2015
Monji Ben Raies
Universitaire
Enseignant et chercheur en droit public
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis