L’islamisme ou l’amour-haine de l’occident
Les deux clichés montrant les cadavres des deux terroristes abattus au musée du Bardo le 18 mars 2015 en disent long sur ces fanatiques et par contraste révèlent, au sens photographique et chimique du terme, certains aspects de nous-mêmes et plus généralement de la société tunisienne.
Nous n’avons pas les mêmes valeurs
Tout être humain est saisi de nausée à la vue d’un cadavre ou de sa représentation ; il éprouve une fascination horrifiée à la vue de la mort, surtout la mort de son semblable et plus particulièrement lorsque cette mort est violente. Néanmoins, cette horreur comporte toujours une part de tristesse voire de pitié, même s’il s’agit, comme en l’occurrence, de monstres sanguinaires ayant perdu toute capacité d’empathie. Le soulagement que peut provoquer le spectacle de leur élimination ne dure qu’un instant, le temps de penser à la fin de leur capacité de nuisance.
La différence entre eux, leurs commanditaires et nous, réside là. Ils éprouvent du plaisir voire de la joie à la mort de leurs semblables devenus à leurs yeux des mécréants, réduits à des objets. Ils mettent en scène de façon sadique et perverse cette mort car ils détestent et méprisent la vie d’ici-bas et ils aspirent à celle de l’au-delà. Et souvent par naïveté, par impatience ou par nihilisme, ils précipitent leur mort espérant arriver ainsi plus vite aux délices paradisiaques promis. Alors que nous, en humains se sachant mortels, nous aimons modestement la vie et nous apprécions ce qu’elle nous offre car nous savons combien elle est éphémère et fragile et nous mesurons sa précieuse valeur à nulle autre pareille.
C’est peut-être ce qui explique en partie le rôle qu’a joué l’immolation de Mohammed Bouazizi dans le déclenchement de la révolution tunisienne. En effet, la tentative de Ben Ali de récupérer et d’instrumentaliser le geste désespéré du jeune homme en allant lui rendre visite sur son lit d’hôpital a scandalisé une majorité de Tunisiens lorsqu’ils ont vu Mohammed Bouazizi entièrement emmailloté de gaze et de sparadrap. Une Momie. Le contraste entre sa fragilité et sa proximité de la mort et la brutale attitude du Général-dictateur qui posait cyniquement à ses côtés a précipité les événements que l’on sait …
Marques et logos de l’Occident
Revenons aux assassins du Bardo. Passé l’horreur, passée la nausée, on ne peut pas ne pas remarquer certains détails. Et tout d’abord, la jeunesse des deux terroristes, malgré la pilosité faciale exigée par leur idéologie : un bouc pour l’un et une barbe pour l’autre. Encore plus jeunes que Mohammed Bouazizi, cet autre suicidé qui a préféré s‘en prendre à lui-même plutôt que d’emporter avec lui des innocents. On ne peut pas ne pas se demander quel est ce mal, quel est ce désespoir qui pousse de si jeunes personnes à la destruction, au meurtre, au nihilisme.
Après la jeunesse, le deuxième détail qui attire l’œil, c’est l’apparence. De prime abord, deux très jeunes gens habillés comme des jeunes de leur âge : en jogging et baskets. Mais, on est frappé par la modestie voire la pauvreté de leur mise. Serait-ce donc, le besoin, la misère, le dénuement qui expliquerait leurs actes odieux ? Oui, mais tous les nécessiteux ne deviennent pas terroristes et certains criminels contre l’humanité sont issus de milieu pauvre, cela ne les excuse, ni ne les dédouane en rien.
A moins que la vêture n’ait fait partie du camouflage, du déguisement pour passer inaperçus et tromper l’ennemi. Mais alors pourquoi les marques ? Pourquoi les logos ? Comme dans la vie, Nike et Adidas se partagent les jeunes et le marché. A regarder de plus près l’un des deux arbore même des chaussettes Nike ! La présence des logos et des marques transforme l’horreur en obscénité et fait penser à une de ces nombreuses provocations de Benetton lorsqu’en 1994, il s’est mis à centrer sa publicité sur les conséquences sanglantes de la guerre aux Balkans. Une des affiches de cette campagne montre le T-shirt tâché de sang d’un soldat bosniaque mort au combat.
La haine affichée
Au niveau de l’idéologie et du discours conscient, les jihadistes, salafistes et autres islamistes vouent une haine incommensurable à l’Occident. A chaque attentat, à chaque exécution, à chaque revendication, bref à chaque confrontation nous sommes soumis de leur part à des déclarations tonitruantes et à des vociférations incantatoires répétées à l’envi comme des mantras où l’Occident est rendu responsable de tous les maux qui frappent les sociétés arabes et musulmanes : la misère, l’ignorance, l’injustice, en somme l’impuissance et le sous-développement dans tous les domaines et à tous les niveaux...
L’Occident honni est coupable d’avoir colonisé ces pays, d’avoir défait et partagé le Califat. Il est coupable de pratiquer le néocolonialisme et l’impérialisme en pillant les richesses et les ressources des terres arabo-musulmanes et en exploitant et opprimant leurs habitants, empêchant ainsi les Arabes et les Musulmans de se développer et de s’émanciper…
Par ailleurs, il est reproché à l’Occident son matérialisme inhumain, sa décadence morale et spirituelle et son islamophobie qui interdit sur son sol pêle-mêle : le voile, la burqa, la construction des mosquées, l’élévation des minarets, l’application de la charia …
Et à tous ces titres, il est déclaré terre de guerre et donc d’islamisation et ses croisés d’habitants considérés comme des ennemis qu’il s’agit de combattre et d’anéantir par la conversion ou par la mort.
La passion secrète
Pourtant ces plaintes et ces reproches, ces condamnations et ces accusations cachent mal de nombreux signes évidents d’occidentalisation des arabo-musulmans. Ainsi en est-il des marques et des logos sur ces cadavres. Ainsi en est-il de la Rolex du Calife autoproclamé de Daech, Al Baghdadi, qui vient démentir son discours et miner sa crédibilité. Ainsi en est-il de ceux et celles qui tout en vivant et travaillant en Occident, déclarent le haïr et prétendent le combattre.
Ainsi en est-il enfin de la conduite contradictoire de ceux qui d’une part envoient les enfants des autres se faire exploser, se prostituer ou faire le Jihad en Irak, en Syrie, en Lybie ou ailleurs, mais envoient leurs propres enfants étudier et se former dans les meilleures écoles et universités de l’Occident, en France, en Allemagne, en Angleterre, aux USA… Et que dire de l’adoption de tant de techniques occidentales ne serait-ce que celles dont l’usage est quasi quotidien pour tout arabo-musulman : Internet, le téléphone mobile, l’ordinateur, la télévision, la voiture…
Prêter crédit au discours hostile et au rejet affiché, brouille les cartes et empêche de comprendre ce comportement paradoxal et incohérent consistant à « Cracher dans la soupe », à « Mordre la main qui vous nourrit ». Il faut plutôt prêter davantage attention à des éléments qui peuvent paraitre de prime abord futiles et insignifiants - comme les logos, les marques, les Jeans, les casquettes et autres baskets – mais qui surgissent comme des lapsus ou des actes manqués.
La haine devient alors un voile dissimulant une passion secrète. Et l’hostilité à l’Occident apparait comme l’ultime résistance à l’intégration à la modernité en marche, intégration qui, pour les Arabo-musulmans comme pour la plupart des humains, prend l’allure d’une occidentalisation pour la simple raison qu’il n’y en a pas d’autres pour le moment!
Slaheddine Dchicha