Réforme du système éducatif: promouvoir l’école de base
Il a été question, ces derniers temps, de rétablir, dans la précipitation, l’examen en sixième année primaire à la première année du secondaire, comme dans l’ancien système qui a existé avant l’instauration de l’école de base, préconisée par le VIe Plan (1980-1986) et mise en vigueur en 1982-1989 en même temps d’ailleurs que dans les autres pays avancés comme la Corée du Sud, le Japon et surtout la Finlande.
La réflexion à ce sujet a commencé dès le IVe Plan 1973-1976 au vu des progrès accomplis par le système éducatif, surtout quantitativement, et des problèmes aigus qui commençaient à apparaître et à mettre en cause l’efficacité du système. On s’est aperçu ainsi que le phénomène des «déchets», terme horrible s’agissant d’êtres humains et de jeunes, avenir du pays, devenait de plus en plus grave. Au cours des années 1970, on s’est aperçu que l’enseignement dit « primaire » dégageait chaque année 90.000 « déchets » du fait des redoublements, des renvois et surtout des échecs au concours de 6ème année d’accès à l’enseignement secondaire. Le même phénomène continue à faire des ravages avec le baccalauréat, le cycle secondaire n’étant pas concerné par l’école de base : le pourcentage moyen des admis de 2005-2010, toutes sections confondues, est de l’ordre de 60%, ce qui signifie qu’il y a ainsi 40% d’échec, ce qui se chiffre à environ 50.000 élèves. Que deviennent ces 50.000 et les 90.000 du primaire ? En outre, on avait constaté que le cycle secondaire (après l’école de base) enregistrait 30.000 abandons par an et que seulement 22% des effectifs terminaient leurs études secondaires, 13% obtenant le baccalauréat et 9% un diplôme technique. L’examen de l’année 1990 de l’enseignement primaire et secondaire a montré que les « abandons » et les « déchets » (renvois, redoublements) se montent à 146.000, alors que les scolarités normales s’élèvent à seulement 106.000.
La grande faiblesse du système était donc son rendement interne. Faiblesse qui a fini par être considérée comme une grande prouesse de ce système. Plus on élimine, plus on est considéré comme sérieux. Ces éliminations étaient bizarrement considérées comme le prix de la qualité de la formation dispensée. Un système qui n’élimine qu’un pourcentage réduit ou nul ne pouvait être considéré que comme laxiste et peu sérieux. C’est humainement tragique et économiquement désastreux. Cela se traduit par un gaspillage de ressources et une marginalisation de jeunes pour lesquels des montants importants ont été dépensés durant 12, 13 ou 14 ans d’études. Ce sont ces constatations qui ont conduit, à l’occasion du VIe Plan 1982-1986 à poser le problème de la réforme de l’éducation. Les grandes lignes de cette réforme ont concerné l’école de base de 9 ans ainsi que le cycle secondaire de quatre ans et aussi l’enseignement supérieur et l’université. On évoquera ici l’école de base qui a failli être balayée dès la prochaine rentrée de septembre 2015, ce qui aurait représenté une régression, sinon une destruction supplémentaire de tout le système éducatif.
Pourquoi l’école de base de 9 ans ? L’objectif de celle-ci est en effet de ne pas éliminer le jeune élève avant de l’armer suffisamment des connaissances nécessaires pour affronter la vie et surtout dans le cas où, pour diverses raisons, il ne lui serait pas possible de poursuivre ses études secondaires et supérieures. Si on l’élimine dès la fin des 6 ans du primaire à l’âge donc de 12 ou 13 ans, on le condamne à l’analphabétisme, au chômage et à la marginalisation et on gaspille ainsi les ressources dépensées pour cette période de 6 ans sans qu’il puisse atteindre un stade irréversible de connaissances lui permettant de se défendre dans la vie. Ce premier cycle de connaissances obligatoires et nécessaires sera donc de 9 ans et non de 6 ans, jusqu’à l’âge de 15 ans, ce qui est plus acceptable. Il s’agit en second lieu de former le caractère du jeune élève en lui offrant la possibilité de déployer toutes ses facultés, de l’encourager à s’épanouir, de ne pas le terroriser et le menacer sans cesse, y compris le scandale aujourd’hui prédominant des «heures supplémentaires» qui transforment la transmission du savoir en vente de «marchandises», heures supplémentaires qui devraient être totalement interdites.
La nostalgie du passé, la facilité de l’autoritarisme, la militarisation de la classe font des ravages psychologiques et humains. Ainsi le système tunisien de l’école de base souffre de nombreux défauts. Alors que le système de l’école de base établi en même temps en Finlande, considéré aujourd’hui comme l’un des meilleurs au monde, sinon le meilleur, est un système intégré, non une juxtaposition du primaire et des trois premières années du secondaire comme dans le système tunisien. Dans le système finlandais, toutes les contraintes et les entraves au développement des facultés normales de l’élève sont proscrites : c’est ainsi que durant ces 9 ans de l’école de base, il n’y a pas d’examen de passage et le redoublement est interdit par la loi et doit être approuvé par la famille. Ce système a permis à l’école de base en Finlande de garder 99,7% de ses élèves jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire de 16 ans. Les élèves «faibles» sont pris en charge par le professeur pédagogique qui parvient à les faire progresser et leur éviter le redoublement ou l’abandon : une lutte efficace contre les « déchets » au coût excessif. Il n’y a d’examen final qu’après les 9 ans de l’école de base.
Jusqu’à 9 ans, c’est-à-dire après 2 ans de scolarité, celle-ci débutant à 7 ans en Finlande, les enfants ne sont pas notés. Ils sont évalués pour la première fois à cet âge de façon non chiffrée et puis plus rien jusqu’à 11 ans et ce pour que l’acquisition des savoirs fondamentaux puisse se faire sans le stress des notes et des contrôles. L’image de soi dégradée est génératrice d’angoisse et de souffrance. Faits remarquables : les notes chiffrées n’apparaissent qu’à l’âge de 13 ans (c’est-à-dire après 5 ans d’école de base). Ces notes vont de 4 à 10, les zéros, 1, 2 et 3 sont écartés parce que trop bas. A 4, l’élève doit recommencer la matière concernée. De 5 à 9, ce sont divers niveaux de perfection, perfection symbolisée par le chiffre 10. Le sens psychologique va donc jusqu’aux gestes symboliques comme le fait d’écarter le zéro, symbole trop évident d’échec total.
Le système finlandais a réussi ainsi à réduire le coût financier et le gaspillage de ressources en éliminant pratiquement renvois, abandons et autres « déchets ». Il y a réussi aussi parce qu’il est autogéré : c’est ainsi qu’il n’y a pas de corps d’inspection dont l’existence est contraire à l’esprit du système : la liberté, l’autodétermination et la responsabilité. Il n’y a pas non plus de frais d’entretien : l’école, ses couloirs et ses locaux sont nettoyés par les élèves et les professeurs.
On a pu ainsi établir la gratuité de l’enseignement. Ces données sur l’école de base, instaurée en même temps que la Tunisie en Finlande, montrent les progrès que doit accomplir le système tunisien. Ceux qui ont voulu rétablir l’examen de 6ème ont voulu aggraver les gaspillages financiers et les échecs humains. Il y a lieu surtout de faire progresser l’école de base, de s’inspirer des pays qui, comme la Finlande, ont réussi à lui donner un sens. Il est plus passionnant de perfectionner le système de l’école de base que l’abolir en rétablissant l’examen de la 6ème année et d’aggraver les échecs et les coûts du système. L’avenir du pays en dépend. Il s’agit de former de futurs citoyens libres et ouverts et non de s’enfoncer dans la médiocrité et la régression.
M.M.