La finance solidaire, modèle alternatif et perspectives
La finance solidaire (FS) est une finance fondamentalement éthique de par sa vocation permettant de réparer les liens sociaux et humains qui sont de plus en plus affectés par les méfaits des applications de modèles économiques souvent mal conçus pour des contextes spécifiques de développement. A la différence de la finance classique orientée vers la recherche exclusive du profit, la (FS) permet d’orienter l’épargne vers des activités financières et économiques orientées à la lutte contre l’exclusion, au renforcement de la cohésion sociale et au développement durable. La problématique majeure qui se pose, à ce niveau, est d’identifier des mécanismes pour promouvoir la démocratisation de la monnaie.
De prime abord, il est intéressant de s’arrêter, de façon synthétique, sur l’aspect conceptuel de la (FS), de présenter les différentes expériences dans ce domaine, d’élucider sa problématique actuelle, et enfin de formuler quelques propositions.
La finance solidaire a pour mission d’utiliser l’outil financier pour un développement humain intégral et durable. En effet sa caractéristique majeure consiste à penser localement pour agir globalement, c’est à dire pouvoir fédérer des individus et des acteurs autour de l’activité financière, à connaître les besoins des entrepreneurs individuels et des communautés quelques soient leurs conditions économiques et sociales.
Son œuvre majeur s’articule autour de la détermination de produits financiers adaptés aux besoins fondamentaux de la population et au renforcement de la dimension du travail social accumulé dans chaque région. La finance solidaire donne ainsi la priorité aux exclus du système bancaire traditionnel, communément dénommé conventionnel, et constitue un lien d’intégration et de maintien d’une relation durable entre l’économie et la société. Cette relation est construite sous l’égide de l’éthique et de la solidarité.
Potentiel et mode d’action
Au-delà des résultats quantitatifs réalisés à l’instar de la création d’entreprises opérant en économie sociale et sociale, la génération de revenus, la production et l’échange de biens et services, la (FS) vise la cohésion sociale par l’activation des liens de solidarité et l’ancrage de la participation démocratique des citoyens en termes d’employabilité, de perfectionnement, d’instauration de nouvelle culture entrepreneuriale, de la dynamisation de l’autocontrôle et de la mise en valeur de l’autogestion.
L’expérience de la finance solidaire est ancienne dans le monde et elle a contribué au développement de l’économie solidaire et sociale (ESS) représentant, ces dernières années, des quotes-parts d’environ 7% du Produit Intérieur Brut (PIB) européen et de 11% de l’emploi. Au cours de deux dernières décennies la (FS) a pris plusieurs formes selon les pays, les régions, les localités, les cultures, l’histoire et les usages des gens. Globalement, elle est pratiquée selon quatre approches:
- A travers les circuits de la finance classique, par le développement du microcrédit par voie directe des banques, ou indirectement par la collecte de l’épargne solidaire via des produits spécifiques et son drainage vers les circuits de la (FS) par l’intermédiaire des organisations non gouvernementales (ONG), des associations, des fonds régionaux d’investissement tel que le fonds du financement solidaire en France.
- Via les circuits des banques coopératives. Ces organismes ont mis en œuvre des services destinés à l’(ESS) conformément à la logique coopérative de ces institutions en se concentrant sur la dynamique du microcrédit, des fonds de garantie mutuelle pour les associations médico-sociales, du tourisme social et des associations innovantes. En 2010, 19% des microcrédits personnels en France ont été accordés par le Crédit Coopératif.
- Par l’activation des circuits associatifs et les (ONG). Ces Institutions de Micro-Finance (IMF) ont développé la micro-finance et c’est à ce niveau que cette technique a permis de financer des projets d’économie solidaire et de toucher une large frange de la population pauvre et exclue par le système classique du financement. Mais ces (IMF) connaissent aujourd’hui une certaine dérive dans le sens où ces institutions utilisent la manière de travail des organisations de la finance solidaire (OFS) mais se sont focalisés sur les objectifs financiers au détriment des objectifs sociaux, notamment au moment de leur institutionnalisation. On peut qualifier ces (IMF) de micro-finance pré-bancaire.
- Par le recours à d’autres circuits innovants et plus spécifiques à la nature et l’objectif de la (FS). Ils se sont développés dans les zones marquées par des seuils élevés de pauvreté, d’exclusion et de marginalisation des populations notamment en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Les populations, sur leurs propres initiatives, selon leurs propres valeurs et formes d’organisation mettent en place leur (FS): ces populations redeviennent acteurs. Il s’agit, à titre d’exemple, des tantines en Afrique, des banques communales en Argentine et de la banque communautaire en Brésil.
Dans les pays en développement (PED), la micro-finance s’adresse à un large public de pauvres, particulièrement, ceux vivant avec moins de 1 dollar par jour, facilement identifiables et atteignables. Cette cible est composée en grande majorité de femmes et le microcrédit finance surtout des activités de commerce, de service et d’artisanat se développant dans le secteur informel.
Dans les pays développés (PD), la micro-finance touche une population d’exclus moins nombreuse, concerne peu les femmes en l’occurrence 39 % des bénéficiaires contre 73 % à l’international et touche principalement les populations immigrées représentant 17 % de cette population. Elle prend deux formes à savoir, le microcrédit social destiné aux chômeurs, les bénéficiaires des minimas sociaux, etc. et le microcrédit orienté vers les micro-entrepreneurs qui rencontrent des difficultés sur le plan de l’accès aux services financiers.
De nos jours, les deux questions qui se posent pour la finance solidaire, qui insérée dans son environnement financiarisé, concernent le risque de se financiariser à son tour en se focalisant sur la logique financière au détriment de la logique solidaire et sa capacité à assurer le délicat équilibre entre la finance et la solidarité.
Pour certains, le déséquilibre éthique constaté dans la micro-finance «institutionnalisée» résulte de l’influence des bailleurs de fonds qui cherchent la rentabilité financière, des autorités réglementaires et les autres pouvoirs publics qui imposent certaines règles favorisant des normes communes spécifiques de la finance classique.
Pour d’autres, l’instabilité de l’équilibre éthique des Organismes de la Finance Solidaire (OFS) et des (IMF) découle d’un déficit d’appropriation collective de la (FS) plus que de l’influence de l’environnement financiarisé. Cette appropriation collective de la micro-finance par les promoteurs, les clients et les populations locales traduit le passage d’un mode de gouvernance de type du haut en bas ou «Top-Down» à un mode de gouvernance participative de type du bas en haut ou «Bottom-Up».
L’impact direct de l’appropriation collective sur la stabilité de l’équilibre éthique se fait par la mobilisation d’acteurs de la société civile, la résilience face à l’incertitude, le fort ancrage territorial et le rôle de l’Etat. Enfin, les réseaux de finance solidaire permettent d’amplifier ces facteurs d’appropriation collective.
Horizons et modes de mutation
La notion «d’appropriation collective» fait référence à la libre association, au sein d’un espace public de proximité, de personnes pour mener ensemble des actions contribuant à gérer un bien commun. Tout processus d’appropriation collective lie de façon largement inédite l’économique et le social, le marché et l’Etat, le privé et le collectif, tout en faisant éclater les clivages traditionnels entre sphères d’activités dites
«Économiques», «Politiques» et «Sociales ». L’élan solidaire constitue le socle de l’appropriation collective à partir duquel se rencontrent intérêt individuel et intérêt collectif.
L’appropriation collective de la finance émerge soit dans le cadre d’activités financières contribuant à démocratiser la finance à partir d’engagements citoyens au niveau local et global, soit par des mouvements d’acteurs sociaux spécifiques tels que les associations de femmes, de jeunes, de chômeurs, et autres.
Une réflexion essentielle se pose autour de la manière qui permet aux pouvoirs publics, les bailleurs de fonds et les autres de soutenir et d’appuyer l’action des (IMF). Il est impératif d’intégrer, dans ce sens, la (FS) dans une approche systémique c'est-à-dire dans le cadre d’un système global de l’(ESS) et le renforcement des liens sociaux dans la politique de soutien au secteur en définissant professionnellement la (FS) pour ce qui est des compétences spécifiques, métiers et règles de gestion et de fonctionnement tout en traduisant ces normes en réglementations pour créer un nouveau type d’institution financière dans le cadre de la Loi bancaire.
L’accord des avantages fiscaux aux épargnants solidaires et aux instruments financiers solidaires et l’avancement sur la voie de la différenciation entre la micro-finance pré-bancaire et la finance solidaire, la création des dialogues sur un forum de finance solidaire, l’utilisation des outils des nouvelles technologies de l’information et de la communication avec le lancement sur forum des études de cas et la mise en place d’un fonds national de la finance solidaire sont des atouts d’action dans tous les sens.
Le fonds national de la finance solidaire peut prendre deux formes, celle basée sur la décentralisation de la (FS) à partir d’une structure centrale conformément au modèle français ou celle orientée vers la régionalisation et la démocratisation de cet outil par la promotion de l’autogestion et l’appropriation de la (FS) par les citoyens au niveau local et ce en se référant à l’approche des banques communales en Argentine.
L’appartenance des Fonds territoriaux au réseau est formalisée par une charte qui rappelle les fondamentaux du projet du Fonds National de Solidarité (FNS) et les engagements réciproques. D’un autre côté, les Fonds territoriaux sont des structures associatives créées en partenariat avec les collectivités territoriales et les acteurs économiques et sociaux dans les régions.
Au quotidien, dans les Fonds territoriaux gérés par des salariés et des bénévoles là où on assure l’accueil des porteurs de projets, l’accompagnement, leur soutien en matière de transfert d’expertise indispensable à la viabilité de leur entreprise et en conséquence, il sera procéder en fin de parcours à la prise de décision de l’octroi des financements. Un suivi régulier et complet de l’évolution des entreprises solidaires soutenues est assuré. En cas de difficultés, le Fonds territorial se concentre sur la résolution de celles-ci, en collaboration étroite avec l’ensemble des partenaires de l’entreprise.
Le (FNS) est membre du Comité de direction de chaque Fonds territorial. Réciproquement, des présidents de fonds territoriaux siègent au Comité de direction du (FNS) et les Fonds territoriaux participent à la définition de la stratégie et du plan d’action du (FNS).
Par ailleurs, la banque communale est une organisation de quartier gérée de façon autonome par des groupes de sept personnes et plus. Les associés doivent être tous des auto-entrepreneurs. Une partie de l’épargne générée par les projets réalisés est réinvestie dans la banque. Chaque banque communale élit démocratiquement parmi ses associés un conseil d’administration, un président, un trésorier et un secrétaire, responsables de la gestion de son organisation. Ces fonctions s’exercent par rotation.
Les crédits servis présentent des montants réduits, des taux d’intérêt minimes et une transparence de l’origine des fonds se rapportant à la traçabilité des fonds découlant de la collecte de l’épargne. Ils concernent les petits projets de quartiers promus essentiellement par des femmes. Sont aussi concernées les interventions à caractère social visant l’amélioration de l’habitat et le financement des soins médicaux.
Un fonds de solidarité est crée pour financer le défaut de paiement provisoire suite, à titre indicatif d’un cas de force majeure, d’une maladie ou de la survenance de conditions climatiques défavorables. Ce fonds est alimenté par les recettes générées par les activités annexes telles que la vente de nourriture. Les défis des banques communales restent l’autocontrôle et l’autorégulation au sein de ces banques, l’autogestion doit être pleinement ancrée dans la formation des associes.
L’individualisme brisé par un conseil avisé à partir d’un lien créé, est une grande réussite et devrait être l’une des fonctionnalités révolutionnaires de l’économie sociale et solidaire.
Sabeh Mallek
Universitaire et Spécialiste en Marchés des capitaux