Trop de Pub a tué la Pub: pourquoi ne pas revenir à l'agrément ?
Rarement une question aura recueilli pareille unanimité: annonceurs, agences, média et consommateurs ne cachent pas leur déception: la Pub tunisienne a perdu de sa magie, de sa créativité, de son attractivité. A quelques rares exceptions, elle ne plait plus, ne vend plus, n’opère plus. Est-elle passé de mode par manque de créativité, notamment ? Ou encore, profusion des agences qui ont profité de la libéralisation de l’exercice de la profession ? Quand on s’interroge sur le Pourquoi de cette crise, on découvre que les raisons en sont multiples.
Trois facteurs, au moins, sont importants à examiner : la maturité du marché, le professionnalisme des acteurs et le statut de la profession. Rapidement, il convient de rappeler qu’avec plus de 100 MD d’investissements publicitaires, 4 chaînes TV dont 2 privées, 12 stations radio dont 2 privées, une multitude de publications et la restructuration des réseaux d’affichage, à quoi il faut ajouter l’explosion du hors médias, la taille du marché offre un bon minimum digne d’un secteur prospère et prometteur. L’arrivée des multinationales a, en plus, fait évoluer les pratiques du marketing et élargit la palette des outils et leviers.
Aussi, l’engouement des jeunes pour la communication publicitaire, de plus en plus nombreux (et doués) à fréquenter différentes institutions supérieures (ISG, IHEC, Design, Multimédia, etc.) draine des talents qui ne demandent qu’à éclore par un encadrement de qualité. Ici et là, chez tous les partenaires, l’aspiration à un plus grand professionnalisme est perceptible. Performer les stratégies et optimiser les investissements sont les maîtres-mots. Mais est-ce suffisant ?
Un secteur atomisé
Evidemment, les meilleurs marketeurs du monde peuvent concevoir les stratégies les plus affûtées mais n’en tireront aucun bénéfice tant qu’ils ne pourront pas s’appuyer, pour leur mise en œuvre, sur des agences professionnelles. Telle est la première grande vérité qui nous amène à nous poser une question cruciale : combien avons-nous en Tunisie de grandes agences (par le capital, les effectifs, le chiffre d’affaires et l’expérience) capables de gérer de grands dossiers et de gros budgets? A croire les registres du ministère du Commerce et de l’Artisanat, le nombre des agences en exercice, au titre du fameux cahier des charges qui, depuis 2001, a succédé à l’agrément institué par loi 71-22 du 25 mai 1971, s’élève désormais à plusieurs centaines. Il suffit de justifier d’un capital minimum et d’une caution bancaire, et de signer le cahier des charges, pour s’improviser publicitaire. Souvent avec un seul salarié, en one man show ?!
La loi du nombre garantit-elle la qualité ? Génère-t-elle la performance ? Le libre exercice est-il porteur d’innovation et de créativité dont nous avons tant besoin ? Des années durant, nous nous sommes battus dans les instances syndicales pour faire sauter le verrou de l’agrément, ouvrir plus largement l’accès à la profession. Un peu sur la même voie que nos vénérables devanciers, Ali Gahbiche, Hassouna Gharbi et leurs camarades, lesquels, après avoir été soumis depuis 1963 au monopole d'Etat de l’Agence Tunisienne de Publicité, avaient obtenu, sous le gouvernement de Hédi Nouira, la libéralisation par agrément. Notre combat pour le cahier des charges se révèlerait-il être aujourd’hui une lubie?
Comment se présente aujourd’hui la situation : une atomisation de micro-agences quasi-unipersonnelles, incapables de remplir les quatre fonctions fondatrices de planning stratégique, de création, de production et de distribution. A cela s’ajoute, un manque d’encadrement des jeunes, pourtant prometteurs, un nomadisme des publicitaires et beaucoup d’ardoises laissées chez les médias, imprimeurs et autres créanciers. Le contenu en est plombé : fade, insipide, grossier, en tout cas, stérile. Sans parler de la frustration des annonceurs qui se trouvent pénalisés par des investissements lourds et sans retour.
La libéralisation n'a pas tenu ses promesses
Loin de tout protectionnisme corporatiste, et dans l’intérêt de la profession, des jeunes, des nouveaux promoteurs et de l’ensemble du secteur, il faut se rendre à l'évidence que cette grande libéralisation n’a pas tenu ses promesses. Le temps est aujourd’hui au regroupement, à la consolidation, au renforcement, à l’émergence de structures solides, seules à même de garantir une création de qualité, de redonner à la pub toute sa magie. Des garde-fous sont indispensables pour nous prémunir contre tous les dérapages. Changer la Loi ? Certes ! Revenir à l’agrément ? Indispensable ! Mais aussi en profiter pour mettre en place des structures d’autorégulation du contenu, une autorité morale en charge de l’éthique, et des mécanismes et d’aide et de soutien aux jeunes professionnels, l’ensemble adossé à un fonds d’aide à la recherche sur la communication.
N’est-il pas inconcevable aujourd’hui de nous voir encore, en termes de mesure d’audience, à l’ère de l’enquête one-to-one, alors que l’automatisation gagne la région ? Est-il admissible de voir les études et recherches sur le secteur se réduire à quelques rares initiatives éparses, faute de ressources. En prélevant une modique somme sur les recettes publicitaires des grands médias (quitte à graduer et à agir progressivement) pour les verser à un fonds spécial qui peut s’alimenter d’autres contributions, nous pouvons doter le Conseil Supérieur de la Communication, des moyens qui, jusque-là, lui font défaut.
Il suffit d’avoir le courage de dire que le système du cahier des charges, certes probant dans de nombreux secteurs, n’a pas réussi à la Pub, et de revoir le dispositif. Il y va de l’intérêt de tous.