Patriotisme : un nouveau souffle
Depuis quelque temps, la scène médiatique connait une vive polémique sur un thème récurrent, à savoir le patriotisme et son interaction avec l’identité nationale, aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger, notamment en France où les médias en ont fait un sujet de prédilection surtout depuis un certain France-Algérie où l’hymne national français avait été hué par de jeunes immigrés. Cet évènement avait fait couler beaucoup d’encre et donné lieu à une vive polémique sur le sens à donner au patriotisme et la nécessité d’ancrer l’amour de la patrie chez les jeunes Français issus de l’immigration.
En Tunisie, le problème se pose également, quoique d’une manière différente. La question est de savoir s’il faut approfondir le sentiment patriotique chez les jeunes, face au risque de déperdition de l’identité nationale que pourrait générer la mondialisation. Le patriotisme peut-il s'accommoder de la propension de certains individus à faire appel à l’étranger, pour s’ingérer dans les affaires internes, au risque de porter atteinte à la souveraineté du pays ?
Si certains pensent que le rôle des intellectuels a perdu de son importance depuis la disparition des régimes totalitaires, d’autres considèrent, au contraire, que l’intellectuel a encore un rôle à jouer pour redéfinir certaines notions telles que le patriotisme, la modernité et leur corrélation avec les constituants de l’identité nationale.
Approfondir la notion de patriotisme
En ce début de millénaire on assiste à un tiraillement entre deux courants, le courant mondialiste qui brandit l’étendard d’un monde uniforme où le mot nation n’a plus sa place, et le courant "souverainiste" qui tente, dans un ultime effort, de préserver l’identité nationale.
Quoi qu’il en soit, la Tunisie a besoin qu’un débat s’instaure dans le but d’approfondir la réflexion sur la notion de patriotisme et la nécessité d’adhérer à la mondialisation. Dans ce débat, une approche globale doit être suivie, incluant l’école, la famille, la société civile et les médias.
Nos jeunes devraient apprendre à saluer avec respect chaque matin le drapeau, à chanter l’hymne national, et à accomplir, dans le cadre d’organisations de jeunesse, des travaux de volontariat à l’intérieur du pays. Parallèlement, les programmes éducatifs devraient appuyer les cours d’éducation civique et approfondir certaines notions très importantes telles que l’amour de la patrie, l’appartenance à la civilisation arabo-musulmane -dont les premières caractéristiques sont la tolérance, l’entraide, le respect de la différence - et l’adhésion à la modernité en accord avec les éléments de notre identité.
Le principe le plus important à inculquer à nos jeunes est, sans aucun doute, de placer l’intérêt général du pays, son indépendance et sa souveraineté au dessus de tout.
Le danger des ingérences étrangères
L’histoire nous enseigne qu’à chaque fois qu’on a failli à ce principe, le pays a été livré aux étrangers. L’exemple du roi berbère Massinissa en est le plus significatif. Sa trahison s’est manifestée lorsqu’il a contribué à la capture par les Romains du roi Syphax, puis en se rangeant aux côtés de l’ennemi de Carthage, Scipion l’Africain, dans sa bataille contre Hannibal, provoquant ainsi la défaite de ce grand chef militaire devenu depuis la bataille de Zama en 202 av J-C, un symbole de la patrie.
Beaucoup plus tard, au XVIème siècle, le dernier sultan hafside Mohammad Abou el Hassan El Hafsi fut à l’origine de la trahison qui a causé l’invasion de la Tunisie par les Espagnols en 1535, entraînant par la même, la chute de la dynastie Hafside, le sac de la ville de Tunis et la mort de dizaines de milliers . L’occupation espagnole a duré une trentaine d’années et le pays ne fut libéré que grâce aux Ottomans sous l’égide de Sinan Pacha en 1574
Plus récemment au XIXème siècle les pays étrangers, en s’immisçant dans les affaires tunisiennes, contribuèrent à l’affaiblissement du pouvoir beylical, provoquant ainsi, avec la complicité du premier ministre Khaznadar, notamment, la banqueroute de l’Etat et, finalement l’instauration du protectorat en 1881.
Ces exemples prouvent que l’ingérence étrangère dans un pays peut causer d’énormes dégâts quant à l’intégrité de la patrie. Il est du devoir de l’intellectuel de mettre en garde contre ce genre de péril et de prévenir tout dérapage, en mettant l’accent sur la nécessité de développer chez les jeunes générations le sentiment national, notamment à travers la création artistique, ainsi qu’un enseignement bien ciblé et une formation adéquate.
Le cinéma Tunisien, par exemple, devrait traiter davantage ce problème plutôt que certains sujets ayant attrait à la sexualité ou autres, et qui ne reflètent, sans doute, qu’un côté marginal de la société tunisienne.
Beaucoup de créations littéraires peuvent inspirer le cinéma tunisien, pour ne citer que des œuvres d’inspiration historique comme Barg Ellil, Rahmana, la Kahena, Les cendres de Carthage, et bien d’autres ouvrages de valeur.
Le nationalisme en Tunisie trouve son fondement dans l’appartenance à la civilisation arabo-musulmane. Or pour certains savants musulmans, le patriotisme serait l`invention du libéralisme car la solidarité entre les membres de la grande nation des musulmans « El Oumma » dépasse le cadre étroit des frontières entre les différents pays musulmans. Pour eux, la seule nation qui puisse exister doit se ranger sous l’égide de l’islam, reniant ainsi la notion de patrie.
Cette interprétation n’est pas en harmonie avec certaines citations « Hadith » du prophète Mohamed qui, en s’adressant à la Mecque a dit : « Quel doux pays tu es ! Et comme tu es chère à mon âme, je ne t’aurais jamais quittée si les miens ne m’y avaient pas contraint ».
Dans d’autres circonstances, notre prophète a dit aussi : « Faites, mon Dieu, que nous aimions Médine autant que nous aimons La Mecque ou même plus ».
Ce patriotisme avoué par le prophète nous confirme dans l’idée que l’amour de la patrie considéré comme un principe du libéralisme est une obligation dans la religion musulmane, et comme le dit un dicton: « L’amour de la patrie est un acte de foi ».
Les enseignements à retenir sont multiples, à savoir tout d’abord, que le progrès d’un pays ne peut se réaliser que de l’intérieur, et par le moyen de ses forces vives; chaque fois qu’un pays étranger s’est immiscé dans les affaires de notre pays, le citoyen tunisien s'est trouvé marginalisé. On se souvient de l’impact négatif du Protectorat sur les agriculteurs Tunisiens à qui on avait arraché leurs terres pour les octroyer aux colons. Le refus du président Bourguiba de dédommager ces derniers lors de la nationalisation des terres en 1964 était une manière de protester contre les abus de la colonisation. N’a-t-il pas dit pour justifier son initiative : « Qu’ils s’estiment heureux qu’on ne leur ait pas demandé de dédommager les tunisiens de leur souffrance et de tous le mépris qu’on a affiché à leur égard ».
Il se trouve également que la colonisation française a impliqué les Tunisiens dans ses propres guerres. 65000 tunisiens ont été engagés sous le drapeau Français durant la première guerre mondiale. Ce chiffre est d’autant plus élevé que la population tunisienne ne dépassait pas à cette époque les 2 millions ; les soldats tunisiens constituaient avec les autres maghrébins la première ligne de front ; le sang maghrébin versé dans cette guerre valait moins cher que le sang français ; 45000 furent tués ou blessés.
Peut-on parler d'Oumma tunisienne?
Le deuxième enseignement à retenir est que notre appartenance méditerranéenne n’est pas antinomique avec notre personnalité arabo-musulmane, et qu’il est tout à fait possible de concilier les deux, vu notre position intermédiaire, à mi-chemin entre l’orient et l’occident.
L’idée de l’Etat-Nation que Bourguiba avait voulu ancrer dans les esprits, au début de l’indépendance, s’est révélée irréaliste car on ne peut pas parler d’une nation « Oumma » tunisienne mais d’une patrie, la Tunisie. Derrière l’idée du Président Bourguiba se cachaient deux motivations: la première c`est l’influence de la pensée française fondée sur le principe de l’Etat-nation, sur la formation de Bourguiba. La deuxième est le différend qui opposait Bourguiba à Nasser, leader du nationalisme arabe ; notion que Bourguiba voulait ignorer allant jusqu’à dire que la Tunisie ne faisait pas partie de la nation arabe au sens scientifique du terme, que notre lien avec le monde arabe faisait partie d’une histoire révolue et que nos intérêts se trouvaient avec l’occident ; Marseille est plus proche de nous que Bagdad, Damas ou Le Caire, et il est plus facile de traverser la Méditerranée que le Sahara Libyen.
Cette idée fut à l’origine du nom donné au parlement et aux différentes institutions du pays, On utilisait l'adjectif "Quawmi" plutôt que "Watani". Même si les deux termes se traduisent par "nationale" en français, la nuance entre les deux est de taille dans la langue arabe
Cette prise de position de Bourguiba a eu un impact sur l’adhésion de la Tunisie à la Ligue arabe qui n’eut lieu qu’en octobre 1958, alors que l’adhésion aux Nations Unies suivit immédiatement l’indépendance (octobre 1956).
Le processus de retour sur cette position a commencé timidement sous le président Bourguiba pour s'affirmer ouvertement après le 7 novembre 1987 qui a consacré la réconciliation de la Tunisie avec son identité et son appartenance arabo-islamique.
Le troisième enseignement important est que les prétentions des Tunisiens ne devraient pas dépasser les moyens dont dispose le pays.
En effet, certaines priorités se sont imposées pour faire face au fléau intégriste qui menaçait le Maghreb ; il fallait opter d’un côté pour la sécurité, et de l’autre combattre l’ignorance et la pauvreté dont se nourrit l’intégrisme.
Une fois ce défi surmonté, un autre s’impose, celui de la mondialisation, obligeant le pays à redoubler d’efforts pour réduire le chômage et la pauvreté, et éradiquer l’ignorance et l’obscurantisme, ce qui n’est pas une tâche de tout repos.
Nous sommes à une étape de notre histoire où l’on a besoin d’être solidaires, de mettre l’intérêt du pays au dessus de tout le reste, et de renforcer le sentiment patriotique chez les jeunes qui représentent l’espoir de la Tunisie de faire partie des pays démocratiques et développés.