Foreign Policy : La Tunisie a besoin d’un « New Deal »
Dans une tribune publiée par la revue américaine Foreign Policy, Mohamed Malouche et Abdulwahab Alkebsi appelle à un changement profond de l’approche économique et sociale en Tunisie. La création de l’emploi, il ne faut pas tout attendre de l’Etat, c’est au secteur privé de s’en charger qui doit aussi porter les réformes. Tout un programme. Extraits.
La vieille promesse de l'emploi fournis par le gouvernement est vouée à l’échec. La Tunisie a besoin d'un « new deal », un nouveau contrat social entre un gouvernement qui crée les conditions pour la croissance économique et un secteur privé qui s’efforce d'atteindre son plein potentiel, créant ainsi des emplois de meilleurs qualité et des opportunités pour lesquels les Tunisiens sont sortis dans les rues.
L’attaque terroriste du 18 Mars au Musée du Bardo à Tunis a de nouveau attiré l'attention du monde sur la Tunisie, le berceau du printemps Arabe. Alors que les autres pays arabes dont la population s’est soulevée en 2011 ont depuis dégénéré dans la violence et la répression ou entamé quelques réformes marginales, la Tunisie semble avoir émergé de sa révolution victorieuse, redonnant une lueur d'espoir dans la région, une véritable « success story » obtenue par le compromis et l'intégration. Il est cependant important de se rappeler que les manifestations du Printemps arabe ont été déclenchées par des griefs économiques. Les objectifs fondamentaux de la révolution incluent non seulement la liberté politique - qui en Tunisie a été en partie atteinte- mais aussi à mettre un terme à la domination d’une administration sclérosée et d’une minorité bien connectée.
La Tunisie a besoin d’actions immédiates pour réformer son économie. L'objectif devrait être de construire une économie plus ouverte, plus équitable, et où les entreprises privées seraient soutenues par l’Etat au lieu d’être ralenties. En bref, l'État et le secteur privé doivent matérialiser la volonté populaire de réforme pour remodeler le rôle de l'Etat en Tunisie.
Ces réformes ne peuvent pas être laissées au seul gouvernement. La Tunisie n’a pas besoin d’un autre programme de création d'emploi dans le secteur public qui ne fera que perpétuer la fausse promesse de l'Etat employeur pour chaque citoyen. Partout dans le monde Arabe, ce modèle a laissé place à une bureaucratie inefficace et un chômage douloureux chez les jeunes.
La meilleure chose que le gouvernement Tunisien puisse faire pour son économie fragile est de déblayer les obstacles qui empêchent les entreprises privées de se développer, d’augmenter leur productivité, leur compétitivité, et leur capacité d’embauche.
Les petites et moyennes entreprises sont le vecteur de création d'emplois dans une économie de marché, mais en Tunisie, elles se heurtent à des obstacles bureaucratiques prohibitifs. Même par rapport à un pays développé fortement réglementé comme la France, l’établissement d'une entreprise en Tunisie nécessite deux fois plus d'étapes dans la procédure et coûte près de 5 fois plus (en pourcentage du revenu par habitant) . Chacune de ces étapes est une occasion pour les fonctionnaires corrompus d’exiger un pot de vin - et de retarder le processus jusqu'à ce qu'ils soient payés. Cela contribue à expliquer pourquoi tant d'entreprises tunisiennes - représentant plus d'un tiers du PIB du pays - opèrent de manière informelle. Lorsque les entreprises ne sont pas officiellement enregistrées, elles ne paient pas d'impôts, ont des difficultés à accéder au capital et donc d’embaucher des travailleurs. Aujourd’hui en Tunisie, de nombreux entrepreneurs préfèrent la clandestinité que d'affronter des lois et règlements opaques et contradictoires destinés aux entreprises formelles.
Une économie moderne nécessite évidemment des règles et règlements, mais ceux-ci doivent être mis en œuvre de façon juste et servir l'intérêt public. La structure réglementaire de l'époque Ben Ali a besoin d'une refonte complète - avec la participation des syndicats, des groupes de la société civile, et, surtout du secteur privé. Pour atteindre cet objectif, les associations professionnelles devraient consolider leurs liens et élaborer des mécanismes efficaces pour propulser une réforme ouverte et transparente. Seules ces organisations peuvent appeler tous les groupes clés qui stimulent la croissance économique - de petites et moyennes entreprises aux micro-entrepreneurs à des vendeurs ambulants informels -a une conversation sur la façon de réformer l'environnement réglementaire de manière à faciliter le remplacement de l'ancien système corrompu avec des règles équitables qui s’appliquent de la même façon à tout le monde.
Cela mènera le pays vers l'avant sur le plan économique mais aussi va l’aider à consolider ses acquis démocratiques fragiles : les mêmes institutions qui permettent aux Tunisiens d'enregistrer leur propriété va les protéger contre l'exploitation par des responsables gouvernementaux. Les mêmes règles qui facilitent l'entrepreneuriat créeront de nouvelles opportunités économiques pour les chômeurs. Les mêmes réformes qui améliorent l'éducation publique vont créer un groupe de jeunes désireux et capables de revendiquer des droits et des libertés politiques.
La Tunisie a une histoire progressive et de solides fondamentaux : une population instruite, une tradition de participation des femmes dans l'économie et la politique, et une société civile dynamique. Elle peut devenir un centre économique dans la région. Mais sans progrès économique et un nouveau contrat social entre l'Etat, la population et les entreprises qui favorisent la croissance économique, la Tunisie perdra sa valeur ajoutée et les objectifs de la révolution seront en danger. Les Tunisiens ne doivent pas permettre à des actions violentes de quelques-uns de les détourner de leurs objectifs de reformes structurelles.
Mohamed Malouche – President du Conseil d’administration de Tunisian American Young Professionals (TAYP)- Washington D.C.
Abdulwahab Alkebsi – Directeur Régional MENA au Center for International Private Enterprise (CIPE)- Washington D.C.
Ceci est le résumé d’un article publié sur le site de Foreign Policy Magazine (https://foreignpolicy.com/2015/04/11/tunisians-next-big-step-arab-spring/)