Sauver la saison touristique : La responsabilité des nôtres, avant la solidarité des autres
A quelques semaines du début de l’été, la question est sur toutes les lèvres. Dans les médias, dans les cafés, dans les familles, on se demande, désemparés, comment sauver la saison touristique après les multiples attentats qui ont secoué la Tunisie, et en particulier après l’attentat du musée du Bardo ?
Il ne faut pas être inquiet outre-mesure nous dit-on. Car le monde est au chevet de la Tunisie ; les chancelleries étrangères, les vedettes internationales, les citoyens des cinq continents : tous viendront passer leurs vacances dans notre pays pour relancer notre tourisme et épargnerà notre économie la faillite.Tout cela se fait dans une atmosphère des plus bienveillantes, avec les remerciements de notre gouvernement, et sous les applaudissements des Tunisiens, heureux et fiers de cet élan de générosité à leur égard, qui leur permet d’éviter une catastrophe sans avoir à fournir trop d’efforts.
C’est donc à une formidable scène de liesse et de solidarité que nous assistons aujourd’hui. La ministre du Tourisme, reconvertie un temps en guide touristique auprès d’une poignée de personnalités françaises, enfonce le clou du dévouement pour promouvoir la destination Tunisie etexhorter les étrangers à venir dépenser quelques euros dans nos hôtels. A grands coups de communication, le gouvernement tente le tout pour attirer les touristes, en utilisant, de manière systématique, le ressort de la solidarité internationale.Et nous savons désormais, élément rassurant, que la Tunisie a des amis sur lesquels elle peut compter.
Pouvoir compter sur les autres, c’est bien. Mais savoir compter sur soi, c’est inestimablement mieux. Dans cette perspective, le bon sens politique aurait commandé, avant de demander l’aumône sur la scène internationale, de provoquer l’union sacrée entre les Tunisiens et leur Etat dans le cadre d’une entreprise nationale de mobilisation et de soutien en faveur du tourisme.
Cette entreprise aurait d’abord supposé que le gouvernement tînt un discours de responsabilité aux Tunisiens vivant sur le territoire national, les sensibilisant à lanécessité de voyager dans les limites de nos frontières et d’approvisionner le tourisme intérieur. L’a-t-il fait ?Non. Elle aurait également requis la mise en place d’une stratégie d’incitationpour attirer le plus grand nombre de familles tunisiennes à fréquenter les lieux touristiques, et de leur offrir ainsi la possibilité de se divertir et de contribuer dans le même temps à compenser des pertes qui s’annoncent conséquentes. Le gouvernement y a-t-il pensé ?Non plus.Cette entreprise aurait enfin conduit à engager tous les consulats dans une vaste opération auprès des Tunisiens résidents à l’étranger afin de les persuader de l’importance de retourner en Tunisie cet été. Là encore, personne à bord.
Tourné vers l’extérieur, cherchant ses appuis ailleurs que chez son propre peuple, condamnant les Tunisiens à être les spectateurs passifs de leur destin, voilà ce qui caractérise, depuis longtemps, pour ne pas dire depuis toujours, le gouvernement des affaires publiques dans notre pays. N’est-il pas remarquable que plus de cinquante ans après notre indépendance, nous soyons toujours à la merci du sort, priant aujourd’hui pour les touristes comme on priait hier pour la pluie ? Est-ce celle-là l’indépendance que nous fêtons chaque 20 mars ?
Il y a aujourd’hui une bannière sous laquelle tous les Tunisiens doivent se ranger. Cette bannière, c’est le patriotisme. Malheureusement, et à force d’avoir été utilisé, en particulier par les politiques, ce mot a été dénaturé, dévalorisé, au point de ne plus rien signifier pour nos concitoyens. Mais nous devons malgré tout lui redonner du sens. Tisser le plus grand drapeau du monde n’a rien de patriotique ; c’est de la démagogie et du folklore. Le patriotisme dont la Tunisie a plus que jamais besoin, c’est un patriotisme concret, et pour ce qui concerne le tourisme, l’engagement de tous les Tunisiens qui le peuvent, avec les possibilités qui sont les leurs, de se rendre dans les stations touristiques et de soutenir les hôteliers, les restaurateurs et les commerçants locaux.
Avant de demander aux autres d’êtres solidaires avec nous, nous devons donc, nous-mêmes, nous montrer solidaires avec notre propre pays. Ce n’est qu’à cette condition que nous nous extrairons du misérabilisme et de la faiblesse dans lesquels on veut nous cantonner ; et c’est à ce prix que nous nous sortirons de la spirale de la dépendance pour aborder un avenir fait de souveraineté et de fierté.
Selim Ben Hassen