Liberté, que de crimes commet-on en ton nom!
Pour avoir été sevré de liberté pendant des décennies, le Tunisien voue à la démocratie un véritable culte qui tourne souvent au fétichisme. c’est le principal acquis de la révolution. C'est pourquoi, ll y tient comme à la prunelle de ses yeux. Il veut en jouir tout son soûl, la dorloter, la consommer sans modération. Tout se passe comme si, pour lui, la démocratie doit être totale ou elle n’est pas. Il n'est donc pas question de restriction aux libertés quelles qu'en soient les raisons. Il est interdit d'interdire même pour la bonne cause.Quand le gouvernement présente un projet de loi contre les agressions des forces armées, on pousse des cris de vierges effarouchées et on réclame son retrait pur et simple, sous prétexte qu'il prévoit «des mesures liberticides» alors qu’il s’agit d’un simple projet qui devra passer au crible du parlement, d’abord, en commission, ensuite, en séance plénière. Le hasard a voulu qu’en France, on s’apprête à déposer devant le parlement un projet de loi sur le renseignement destiné à renforcer la lutte contre le terrorisme. Il y a eu certes des remous, mais cela n'a rien à voir avec la levée des boucliers à laquelle on a eu droit en Tunisie alors que toutes les mesures qui ont été rejetées par notre classe politique y sont: écoutes téléphoniques, surveillance, contrôle de l’internet. On a même entendu un élu UMP reconnaître que son parti aurait fait les mêmes propositions s’il était au pouvoir. A la guerre comme à la guerre. C’est à de telles attitudes qu’on reconnaît la maturité d’un peuple et de ses élites. Sommes-nous devenus plus démocrates que les Français? Devons-nous attendre un siècle pour voir notre classe politique faire preuve du même sens de la responsabilité? Oublie-t-on que la sécurité est la première des libertés et que face à la menace que représente aujourd’hui le terrorisme, l’angélisme et le juridisme n’ont jamais constitué la meilleure réponse.
Comment convaincre aujourd’hui les Tunisiens que la démocratie seule ne nourrit pas son homme, que trop de liberté tue la liberté, qu'elle s'arrête là où commence celle des autres et qu’elle doit être réglementée pour éviter qu'elle ne se transforme en malédiction. Il y a un temps pour tout. Un temps pour le rêve et un temps pour le travail, un temps pour la déconstruction et un temps pour la reconstruction. De toutes ces considérations, le Tunisien n’en a cure, pour le moment. Il est sur un nuage et semble s’y plaire. Il se réfugie dans ses rêves. Il est déréalisé et se laisse glisser sur la pente savonneuse de la contestation tous azimuts, profitant du délitement de l’Etat. On repense au vieux proverbe arabe الشــيء إذا بلــغ حــدّه انقلــب إلى ضـــدّه
(Arrivée à son terme, la chose se retourne en son contraire). La liberté tourne au défoulement collectif. oOn manifeste à tout propos. On demande l'impossible.
Liberté, que de crimes, que de dérapages commet-on en ton nom depuis la révolution ! Dans le bassin minier, dans les entreprises publiques, dans les universités, les lycées. Dans l’impunité la plus totale et en l’absence de toute réaction de la part de la société civile, des partis et des syndicats , on ressort les vieilles antiennes de la lutte des classes et du vilain capitaliste qui sont passées de mode depuis longtemps. En revanche, pas un mot, pas une virgule sur les pertes provoquées par ces mouvements sociaux (on parle d’un milliard de pertes par an, rien que pour le secteur minier) de la part de l'opposition. Il n'est pas question de s'attaquer à la classe ouvrière. Vox populi, vox dei. Et gare à celui qui s’écarte du politiquement correct et de la pensée unique. Il est aussitôt désigné à la vindicte publique. A cause de cette impunité aussi, la Tunisie n’a jamais compté autant de journaux de caniveau qu’aujourd’hui. En comparaison, le défunt Hadeth de triste mémoire était d’une probité intellectuelle irréprochable. A longueur de colonne, l’honneur de citoyens est traîné dans la boue. Encore et toujours au nom de la sacrosainte liberté d’expression.
Il y a deux siècles, Goethe écrivait : «Si j’avais à choisir entre l’injustice et le désordre, je préférerais l’injustice au désordre». Persévérer dans la voie de la contestation permanente, serait suicidaire, ce serait courir le risque de voir à la fois se perpétuer l’injustice et s’installer le désordre.
Hédi Behi