Du Népal à Gaza : «Compassion» israélienne à géométrie variable.
L’occupation de la Cisjordanie, les enfants palestiniens jetés dans les geôles israéliennes (lire notre article traitant de l’emprisonnement de la fillette Malka al Khattib), les progrès du mouvement BDS notamment dans les campus américains et la vente par la grande multinationale Véolia de ses parts dans des entreprises israéliennes visées par la campagne de boycott, les retombées de la guerre de Gaza et sa reconstruction impossible du fait de l’obstruction des sionistes ainsi que mille autres injustices envers le peuple palestinien et quelques échecs diplomatiques* font que, dès qu’une catastrophe se produit sur terre - catastrophe nucléaire après le tsunami à Fukushima au Japon, tremblements de terre et ouragans à Haïti et maintenant le Népal - Israël se précipite pour prouver qu’il est un Etat « cent pour cent » normal, « comme la Suède et le Japon » s’amuse un pamphlétaire. Un journal israélien n’hésite pas à railler cette propension calculée à « la compassion » et à préciser que Gaza n’est qu’à 70 km de Tel Aviv… alors que Katmandou est au bout du monde ! D’où cette acerbe critique du directeur de Human Rights Watch qui a reproché à Israël sa mise en scène de l’aide d’urgence qu’il apporte au Népal dévasté alors qu’il continue à empêcher la reconstruction à Gaza. « Il est plus facile de s’occuper d’un désastre humanitaire lointain que de celui plus proche provoqué par Israël à Gaza » a écrit M. Kenneth Roth en commentant l’annonce par Israël d’un vol de 260 médecins de l’armée et personnels militaires à destination de la capitale du Népal.
Israël va tendre une main secourable aux sans-logis dans l’Himalaya, lui qui a démoli, en 2014, les maisons de 1177 Palestiniens - dont la moitié sont des enfants - à Jérusalem et en Cisjordanie. Pour le seul mois de janvier 2015, Israël a détruit 77 habitations mettant 110 Palestiniens dehors, au beau milieu de l’hiver. (Amira Hass, Haaretz, 1er février 2015). Israël tend une main secourable aux Népalais, lui dont les avions américains F-16, les tanks Merkava et les bombes ont provoqué « un décor de séisme » à Chajaya (Bande de Gaza) dont « 90% des maisons ont été anéanties » entre le 8 juillet et le 26 août 2014. « C’est la main armée de l’homme qui a fait de Chajaya une ruine » écrit sobrement Piotr Smolar dans le Monde du 5 mai 2015 (p. 2). C’est du reste un terrible document que publie, en première page, ce numéro du Monde (et le Mond.fr) où l’on lit, incrédule et horrifié : « J’ai visé des cibles civiles, parfois juste pour le plaisir » avoue un militaire. Une soixantaine de soldats et de participants israéliens à l’offensive contre Gaza en 2014 dénoncent, via l’ONG « Rompre le silence** », les odieuses et inhumaines méthodes de « l’armée la plus morale du monde » aux dires de Netanyahou en septembre 2014. Le pire est que le nouveau chef d’état-major promu par Netanyahou en février dernier avertit qu’Israël, en cas de guerre contre le Liban, userait là encore «d’une force disproportionnée ». Comme à Gaza. « Un philosophe » et un général major israéliens ont théorisé le fait qu’Israël se dégage des lois de la guerre car pour « Israël, les conventions de Genève ne sont pas adaptées à un conflit asymétrique ». Ce qui veut dire que la distinction entre combattant et civil est obsolète ! Israël s’arroge le droit de tuer ce qui bouge ! Y compris les enfants jouant sur une plage ou réfugiés dans une école de l’ONU ! « Guerre asymétrique oblige » prétendent les généraux et les philosophes sionistes !
En Israël même où viennent d’avoir lieu les festivités de l’ « indépendance », note Jean Daniel, il y a tant de miséreux à secourir… et de citer ce cri du cœur et de désespoir d’un « juif israélien » qui vit au-dessous du seuil de pauvreté : « En fait, j’aurais dû aller m’installer en Allemagne… Au moins là-bas on m’aurait pris en charge et j’aurais eu une vieillesse heureuse ». Et Daniel de conclure : « [Israël] est en danger lorsque des victimes du nazisme peuvent arriver à regretter le pays qui inventa le totalitarisme concentrationnaire » (L’Obs n° 2633 du 23 avril 2015, p. 5). Et on ajoutera qu’Israël est vraiment en danger lorsqu’il refuse un visa au ministre sud-africain de l’enseignement supérieur Blade Nzimande - secrétaire général du PC du pays - invité par son homologue palestinien. « Le gouvernement israélien essaie d’utiliser tous les moyens dont il dispose pour cacher les atrocités dont il se rend coupable contre les Palestiniens et s’assurer que seul le plus petit nombre de personnes voit réellement ce qui se passe dans les territoires qui sont sous son contrôle » a déclaré le ministre. De son côté, le porte-parole du Ministère sud-africain des Affaires Etrangères proteste : « Le ministre Nzimande est un ministre à part entière. Nous voulons que les Israéliens nous expliquent pourquoi ils refuseraient à un ministre en exercice le droit d’entrer dans leur pays. Une fois que nous en aurons terminé avec les raisons, nous pourrons aborder les questions de fond, mais ce n’est pas une question que nous laisserons en plan ». Israël n’avait pas de ces frilosités à l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud, quand il recevait avec faste les ministres sud-africains racistes dans les années 1970 et 1980 avec lesquels ils avaient de cordiales relations militaires et commerciales !
Israël va porter secours aux Népalais… à l’heure où les Israéliens d’origine éthiopienne manifestent violemment à Jérusalem et à Tel Aviv et coupent des axes routiers importants, provoquant de gigantesques embouteillages. Contre ces manifestants, non-arabes il est vrai, la police israélienne n’utilise ni les balles en caoutchouc ni celles en plomb mais emploie les grenades assourdissantes et lacrymogènes. Ces juifs basanés sont en colère à cause des exactions policières et du racisme des forces de l’ordre et de la société israélienne en général. De la discrimination à l’emploi, au logement, dans l’armée. « Nous ne nous tairons plus. Notre sang n’est pas seulement bon pour les guerres » clame un soldat de 19 ans. Il est vrai que l’exemple vient de haut. S’adressant à la Fédération sioniste anglaise en 1964, Golda Meir, Premier Ministre, déplorait que des juifs de Lybie, du Maroc, d’Iran… « du niveau du XVIème siècle » émigraient en Israël et se demandait « si on pouvait leur faire acquérir un niveau de civilisation convenable ». Comme il est loin le temps où les Falashas étaient déracinés par avion de leurs plateaux éthiopiens avec force publicité et où Israël se posait en refuge ultime de tous les juifs de la terre… Ce que prétend réaliser encore Netanyahou avec son « Etat juif ». Le professeur Zeev Sternhell note** : « Mettre un terme à l’occupation et à la colonisation exige que l’on accepte l’affrontement nécessairement violent avec les colons. Menacés d’une guerre civile, les Israéliens préfèrent encore combattre les Palestiniens ».
Face à Netanyahou et tous ceux qui veulent oublier (on dit « gérer »dans le jargon du milieu politique israélien) le conflit israélo-palestinien en agissant à l’étranger comme si Israël était « un Etat normal comme la Suède ou le Japon», face à ceux qui refusent de voir les 4,5 millions de Palestiniens, Avraham Burg, ancien Président du Parlement (Knesset), regrette que les Israéliens soient « incapables de comprendre la souffrance d’une société, ses larmes et le futur de toute une nation que nous avons kidnappée ». Quant à l’écrivain Amos Oz, il est d’avis que « la gestion » du conflit ne peut que déboucher sur « une dictature de juifs fanatiques ou un Etat arabe en Israël… ainsi que l’effondrement de l’Autorité Palestinienne et l’émergence du Hamas ou d’un groupe encore plus fanatique ».
Mais les sionistes au pouvoir n’ont cure de ces avertissements avisés et paradent au Népal blessé. Ivres de pouvoir, protégés par le veto américain, « ils gèrent » le dernier territoire occupé sur la planète et ses millions de Palestiniens faisant primer la force sur le droit. Jusqu’où ?
Mohamed Larbi Bouguerra
*C’est ainsi qu’après la reconnaissance de l’Etat de Palestine par la Suède et par les parlements français, britannique, irlandais, espagnol, portugais… les Etats Unis exercent des pressions sur la France afin qu’elle ne présente pas au Conseil de Sécurité une motion appelant à la reprise des négociations entre Israël et l’Autorité Palestinienne et fixant une date limite à l’occupation, Jérusalem capitale de deux Etats…. (Barak Ravid, Haaretz, 29 avril 2015).
** « Rompre le silence » avait déjà publié en octobre 2013 « Le livre noir de l’occupation israélienne. Les soldats racontent » Préface de Zeev Sternhell, aux Editions Autrement, Paris.