UTM : Quid de la Recherche Scientifique et Technique?
L’Université de Tunis El Manar (UTM) a organisé dans les locaux de l’Institut Pasteur une journée marathon dédiée aux structures de Recherche. Tous les Directeurs de Laboratoires (LR) et d’Unités de Recherche (UR) y ont été conviés. D’autres responsables du domaine ont également été invités à cette manifestation.
Après la cérémonie d’ouverture présidée par le Ministre de l’E.S.R.S, plusieurs données importantes ont été communiquées à l’assistance par le Président de l’Université et le Directeur Général de la Recherche Scientifique. Un organigramme de mise en place d’une meilleure visibilité intérieure et extérieure dans ce secteur a été également proposé. Le débat qui a suivi a soulevé un grand nombre de questions qui ont été examinées en détails dans les ateliers de l’après-midi.
C’est ainsi qu’on apprend que l’UTM abrite 37.000 étudiants dont 3.200 Doctorants répartis en majorité sur 60 laboratoires et 61 Unités, soit 35% des Doctorants du pays et 21% de l’ensemble des structures de Recherche (277 LR et 304 UR au total). 35% des thèses soutenues en 2014 émanent de l’UTM et près de 5.800 publications ont vu le jour pendant la même année. 5 Ecoles Doctorales parmi un total de 37 et 16 Unités de Service Commun pour la Recherche (USCR) parmi les 66 appartiennent à l’UTM.
Ce potentiel considérable de moyens humains et matériels qui s’est constitué progressivement au cours de près de 40 ans contribue significativement au placement du pays à la 52ème position dans la production scientifique à l’échelle internationale et à la troisième position à l’échelle africaine (après l’Egypte et l’Afrique du Sud). Il confère aussi à l’UTM la responsabilité, voire l’obligation, de réfléchir sur les nombreuses questions qui se posent depuis longtemps dans ce secteur, en particulier, la stratégie de la Recherche, les difficultés de gestion des fonds, l’entretien des appareillages, la visibilité, la relation avec l’environnement socio-économique etc.
Il faut toutefois rappeler que les premiers balbutiements par lesquels est passée la Recherche dans le Pays datent du milieu des années 70 avec le retour des jeunes Docteurs tunisiens fraichement formés en Europe. Cette phase a duré plusieurs années au cours desquelles la Recherche Scientifique ne bénéficiait officiellement d’aucun crédit. Les chercheurs se débrouillaient comme ils pouvaient pour avoir quelques subsides, c’est ainsi par exemple, qu’au département de chimie de la Faculté des Sciences de Tunis (FST), le peu d’argent disponible pour la recherche provenait de ce qui restait des crédits accordés à l’enseignement. Quelques équipes ont pu bénéficier de mini-fonds accordés dans le cadre de programmes particuliers définis par le Ministère (PNR, FORESMAT, EURESMAT ….). Cette politique de recherche orientée a démarré à la fin des années 70 avec les contrats institués par feu Ezzeddine Makhlouf et avait suscité la résistance de la majorité des Universitaires, très soucieux à l’époque de leur indépendance intellectuelle. La même réaction a été enregistrée plus tard face à l’initiative du Ministère d’évaluer l’enseignement et la Recherche (voir L’Observateur N° 159, 1996, page 22).
L’attribution officielle de crédits pour la Recherche-formation (ARUB) n’a vu le jour qu’en 1994 à l’initiative de Brahim Baccari et Moncef El Gaïed. Elle n’était pas passée inaperçue dans la presse nationale (voir ‘Réalités’ N°466 du 23 au 29 sept. 1994, page 31). Plus tard, le secteur s’est consolidé progressivement grâce au dévouement d’autres responsables, en particulier feu Ali El Hili, convaincus eux aussi que le salut du Pays ne pouvait provenir que du développement de la Science. Et la Recherche a commencé à connaitre une certaine visibilité à la suite de la publication à la même année (94) par la Direction Générale de la Recherche Scientifique et Technique (DGRST) de la première version de l’annuaire des chercheurs et des équipes abritées par les 23 Institutions Universitaires de l’époque (actuellement elles sont au nombre de 198). L’année 96 a vu paraître la loi d’orientation de la Recherche et les décrets d’application qui régissent la constitution des Laboratoires et des Unités de Recherche, qui étaient jusque-là dénommées ‘équipes’ dans les 3 annuaires édités par la DGRST.
Cette croissance fulgurante en moyens et en production dans une société lestée par le carcan administratif d’un autre âge, a été certes initiée par les Pouvoirs Public, mais le combat de longue haleine des Universitaires en a été le moteur. Elle a conduit à l’officialisation de l’existence de plusieurs entités et doit pouvoir passer au stade de l’excellence. Elle fait face depuis longtemps à un grand nombre de problèmes qui ont déjà fait l’objet de débats antérieurs et ont été remis sur le tapis au cours de cette journée. Des propositions concrètes ont été faites à la fin de cette rencontre. La plus importante me semble être celle qui consiste à doter l’UTM du statut d’EPST (Etablissement Public à caractère Scientifique et Technique), susceptible en principe, d’apporter une grande souplesse dans la gestion des fonds, de résoudre le problème de l’entretien des appareillages et de faciliter l’interaction des structures avec son environnement socio-économique.
Espérons que cette rencontre ne tombera pas dans les oubliettes comme les précédentes et qu’elle incitera les décideurs à prendre enfin le taureau par les cornes.
Mohamed Jemal
Professeur émérite à la FST