Une interview de l'ambassadeur de Cuba à Tunis: Pourquoi la coopération bilatérale est inexistante?
Fidel Castro, Che Guevara, les cigares. C’est à peu près tout ce que Cuba évoque aujourd’hui pour nos jeunes.Pourtant, c’est le pays qui a tenu tête à la première puissance mondiale sans jamais flancher malgré un blocus économique pendant plus d’un demi-siècle, qui a failli provoquer une guerre atomique entre les Etats-Unis et l’ex-Urss (la fameuse crise des fusées de 1962.
Cette situation va prendre fin incessamment. Des négociations, au départ secrètes puis au grand jour, viennent d’être couronnées à Panama où s’est tenu les 10 et 11 avril le 7e Sommet des Amériques par la rencontre entre le président américain Barack Obama et le chef de l’Etat cubain Raul Castro. Moment historique s’il en fut, puisque pour la première fois depuis la révolution cubaine, un président américain s’asseoit à la même table que son homologue cubain pour évoquer la normalisation des relations entre les deux pays qui ne sont séparés pourtant que par quelques encablures.
Ce geste marque le retour de Cuba au-devant de la scène, un pays à la dimension de la Tunisie : 109.000 km2 de superficie pour 11 millions d’habitants. Ce que l’on sait moins c’est que des relations diplomatiques ont été établies dès 1959 entre Tunis et La Havane. Depuis 1962, une ambassade cubaine est installée à Tunis, ce que la majorité des Tunisiens ignorent, alors que notre pays est représenté à La Havane par un ambassadeur non résident. Actuellement, c’est notre chef de mission à Ottawa qui couvre Cuba. Dans une interview accordée à Leaders, l’ambassadeur cubain à Tunis, M. Serafin Gil Rodriguez Valdès, a évoqué les relations entre les deux pays à ce moment historique et n’a pas manqué de se féliciter des «bons rapports d’amitié et de respect mutuel» qui ont toujours ponctué les liens entre nos deux pays marquant l’appréciation de La Havane pour le «vote tunisien positif» en faveur de la résolution cubaine à l’Assemblée générale de Nations unies pour la levée du blocus contre son pays.
D’emblée, le diplomate qui officie tout seul à la mission cubaine, assisté d’employés locaux,(une formule dont pourrait s’inspirer notre ministère des Affaires étrangères) tient à circonscrire l’entretien à ce pour quoi il est accrédité à Tunis, faire connaître son pays et promouvoir les relations bilatérales. Concernant le premier point, il ne se fait pas prier pour souligner les deux plus grandes réussites de la révolution cubaine, l’éducation et la santé. Pour l’éducation, le taux d’analphabétisme a été ramené de 30% avant la révolution à 0%. Avec l’élévation du niveau moyen de l’enseignement, l’illettrisme a été également vaincu. En matière de santé, Cuba dispose des meilleurs indicateurs de l’Amérique latine et parfois du monde : espérance de vie à 78 ans, mortalité infantile à 4,4 pour mille, mortalité maternelle à l’accouchement de 22 pour 100.000. Des médecins cubains sont envoyés dans le cadre de la coopération de par le monde. Ils sont quelque 20.000 médecins travaillant dans 122 pays, en Afrique, en Amérique latine et ailleurs. Cuba a développé la recherche en médicaments, vaccins, biotechnologies et génétique de sorte que des médicaments de première qualité pour le traitement du cancer ou du diabète sont actuellement produits dans ce pays. Notre interlocuteur estime qu’il y a là un domaine de coopération privilégié avec la Tunisie. Il en a parlé avec le ministre de la Santé Saïd Aïdi qu’il a trouvé réceptif et fort intéressé, nous dit-il.
Autre domaine de coopération traditionnel entre les deux pays, le sport. L’école cubaine dans les sports individuels est fort connue et prisée dans le monde. Ainsi en boxe et judo notamment, des entraîneurs cubains avaient exercé en Tunisie, de même que des étudiants tunisiens avaient fait leurs études dans les instituts sportifs cubains. «La Tunisie a manifesté son intention de recruter des techniciens cubains en boxe et nous avons présenté à cet effet plusieurs CV de champions olympiques cubains, mais cela ne s’est pas encore concrétisé», a regretté l’ambassadeur qui se propose de parler de nouveau de ce projet avec les autorités sportives tunisiennes.
Quid des échanges commerciaux ? Ils sont nuls de part et d’autre, se désole le diplomate. Il fut un temps où la Tunisie exportait du phosphate et importait du sucre. Ce n’est plus le cas depuis plusieurs années. Avec le développement du secteur agricole à Cuba, le phosphate tunisien intéresse de nouveau les Cubains, mais serions-nous en mesure de le leur fournir ? L’huile d’olive intéresse aussi les Cubains, non pour la consommation locale mais pour satisfaire les besoins des 3 millions de touristes qui visitent annuellement l’île et dont le nombre est appelé à croître de façon exponentielle avec le retour des Américains. Les Français, les Allemands, les Italiens, les Britanniques mais aussi les Canadiens sont de plus en plus nombreux à se rendre à Cuba. Le taux de croissance du tourisme a été de 16% en 2014, nous dit notre interlocuteur.
Tributaire de l’Union soviétique, l’économie cubaine a subi les contrecoups de l’effondrement de l’Urss. Ainsi de 1991 à 1995, le PIB cubain a chuté de 35% et le commerce avec le reste du monde de 80%. C’est le plus grave recul en temps de paix. Mais depuis, l’économie cubaine a commencé à remonter la pente lentement mais sûrement. Outre la stimulation du tourisme, des efforts particuliers ont porté sur le secteur de l’agriculture grâce à la distribution des terres agricoles et sur les services à travers le développement de certaines activités privées. Une loi pour l’encouragement des investissements a été adoptée et des grandes infrastructures ont été mises en place comme le port de Mariel destiné à recevoir un million de containers par an et qui a été réalisé avec l’assistance financière du Brésil.
Cuba entretient de bonnes relations d’amitié avec le monde arabe, tient à souligner l’ambassadeur cubain à Tunis. Des ambassades cubaines sont accréditées dans pratiquement tous les pays arabes, à l’exception notable du Maroc. Nous disposons d’une grande ambassade à Riyad en Arabie Saoudite, tient-il à préciser. Il rappelle que son pays soutient la cause du peuple palestinien. La Havane a rompu ses relations avec Israël depuis 1973 et n’est pas prête à les reprendre tant que les Palestiniens ne recouvrent pas leurs droits, souligne-t-il.
S’il est seul à l’ambassade, l’ambassadeur Rodriguez Valdès peut compter sur les quelques dizaines d’anciens étudiants tunisiens dans les universités cubaines, en sport et en ingénierie notamment, qui continuent à manifester leur attachement à leur pays de cœur. La communauté cubaine en Tunisie, quant à elle, compte en tout et pour tout deux dames mariées à des Tunisiens vivant l’une dans les faubourgs de Tunis et l’autre à Sousse.
Raouf Ben Rejeb