‘Que nous arrive-t-il nous autres Tunisiens ?’, c’est à peu près l’équivalent en français du titre du présent article, formulé en parler tunisien. Une expression fort brève mais parfaitement intelligible. Cela correspond par ailleurs au titre d’une chanson très populaire, dont le refrain, fort à propos, est ‘Que Dieu nous garde du mauvais œil !’.
Pour revenir à ‘la question titre’ ou ‘la question chanson’, certains diraient ‘la question rengaine’, est-il vrai que tout l’édifice péniblement construit pendant quatre longues et terribles années d’inquiétudes et de risques majeurs est entrain de s’effondrer sur nos têtes ? Qu’est-ce qui justifie le scepticisme intégral distillé à longueur de journées et de manière systématique, depuis le premier jour de prise de fonction du nouveau Gouvernement, et même avant, si on compte le vote de non confiance de députés portant les couleurs du parti vainqueur des élections et à l’origine de la formation dudit Gouvernement ?
La raison principale - si on met de côté le jeu des forces de tout ordre qui veulent ‘se démarquer’ dans un but de positionnement et elles sont aussi nombreuses qu’insoupçonnables - du sentiment d’insatisfaction pourrait se trouver au niveau du poids de l’immense frustration née de quatre années d’errance en termes de gouvernance et de maitrise des désordres, et l’immense espoir de voir cela changer. Radicalement et très vite.
Et c’est à ce niveau que se situe l’incommensurable déficit de communication du Gouvernement et des partis politiques y participant. Communication seulement dirions-nous ? Pas uniquement. Car, en plus de la forme il s’agit également du fond. En effet, au-delà de la consistance des différents programmes électoraux, et plus particulièrement celui de Nida Tounes, non seulement les électeurs avaient-ils ‘la tête ailleurs’, autour notamment de la vitale question ‘partiront-ils, partiront-ils pas ?’ et n’ont ainsi généralement pas accroché quant auxdits programmes’, mais il y a surtout un aspect ‘manque de précision’ assez déroutant, dont l’impact se ressent aujourd’hui, une fois retombées toutes les fièvres électorales.
Ainsi, quelque soit le caractère génial des ‘propositions de Gouvernement’ du ou des partis aux affaires, c’est au niveau de la clarté et pertinence des objectifs et des moyens de leur réalisation que se situe l’enjeu ; ‘le Pourquoi ?’, ‘le Quoi ?’, ‘le Comment ?’, ‘le Quand ?’, ‘le Qui?’ et ‘le Combien ?’, par grande action, ont souvent manqué d’être présentés, dans le cadre et la trame qui conviennent, avant que tout cela ne soit synthétisé par secteur, par zone géographique, par catégorie sociale bénéficiaire et par type d’acteur impliqué, ainsi que les différents liens en amont et en aval qui transforment tout listing d’idées en une véritable alchimie. Pour avoir éludé la mise en relief des véritables défis et la manière ordonnée, progressive et interactive de s’y prendre, on a aménagé un confortable nid pour l’installation d’un certain nombre de doutes, dont certains s’avèrent redoutablement profonds.
Car, qu’est-ce qui fait que - au-delà de la volonté de manipulation qui ne manque pas mais est-ce si étonnant que cela ? - la revendication sociale ou socio-régionale peut prendre un caractère ‘déboussolé’, si ce n’est le flou qui peut dominer en termes de perspective.
En effet, en l’absence de perspective précise de réponse à telle ou telle revendication, c’est la posture de ‘ce qui n’est pas obtenu tout de suite ne le sera jamais !’ qui devient le seul moyen de dialogue. De sourds.
Un ordonnancement rationnel de la démarche programmatique aurait pu ainsi faire apparaitre que, de la situation d’enfer d’où l’on revient la progression ne peut qu’aller crescendo, timide et lente la première année, 2015, avec une prédisposition positive à la croissance la deuxième année, 2016, une véritable possibilité de décollage l’année suivante, 2017, et une expansion certaine les deux dernières années, 2018 et 2019.
Sur la base de telles anticipations qualitatives, des croissances chiffrées suivantes : de 3,5%, 4,5%, 5%, 6% et 6,5% pour respectivement les années 2105, 2016, 2017, 2018 et 2019, deviennent ‘réalistiquement’ envisageables . Or, si la moyenne quinquennale de croissance, sur la base de ce qui précède, est de 5% sur l’ensemble de la période, pendant les deux premières années, 2015 et 2016, on ne pourra ainsi réaliser que 27,7% du total de la croissance quinquennale. Autrement dit, le plus gros de la croissance, près des trois quarts (72,3%) de l’ensemble, et son équivalent en emplois, ne seront réalisés que pendant les 3 dernières années de la période 2015-2019!
Ainsi, s’agira-t-il d’être conscient que le plein emploi ce n’est pas pour demain. Si l’on s’y prend collectivement comme il convient et que l’on s’engage dans une dynamique solidaire, enthousiasmante et mobilisatrice, les retombées seront très positives avant la fin de la présente législature.
Mais, en attendant, beaucoup peut être fait pour atténuer les effets de la crise, car c’en est une. Pour les jeunes, au moyen essentiellement de la formation et de la formation alternée, de qualité, rémunérée et à vocation d’insertion. Pour les catégories à faibles revenus il s’agira de la réalisation du PMD ou le ‘Paquet minimum de la dignité’, englobant l’amélioration immédiate, effective et qualitative des équipements et services publics de base notamment dans le monde rural, la péréquation en matière de tarifs et de prix de produits de première nécessité, les allocations ‘pauvreté’, l’encadrement des prix à la consommation, soit autant de mesures à portée de la main, dont le coût est maitrisable mais dont l’impact social est grandissime.
Avec ce type d’approche de priorisation, de marquage et de différenciation nets des étapes, on peut lancer les grands chantiers de transformation du modèle de développement, dont la création de pôles technologiques de croissance et d’industrialisation dans dix gouvernorats du Sud et de l’Ouest, la création d’une méga Banque du développement régional, la mise à niveau qualitative des principaux réseaux de desserte interrégionale et internationale et la décentralisation universitaire conséquente en constitueront des axes phares, avec la certitude d’être non seulement compris par le plus grand nombre de citoyens mais également soutenu.
Et c’et à ces conditions, et seulement à elles seules, que l’on pourrait demander à nos concitoyens de prendre l’habitude d’écouter plus souvent notre populaire et joyeuse chanson ‘Alla, Alla, Ech Bina !’ ; ils pourraient trouver dans sa joyeuse tonalité de quoi se remplir de plus d’optimisme, pour mieux supporter la sinistrose dans laquelle certains persistent à nous y tenir immergés.
Boujemaa Remili