Regards sur le remaniement en Arabie saoudite: significations et implications
Le remaniement effectué le mercredi 29 avril 2015 par le Roi Salman ben Abdul Aziz Roi de l’Arabie Saoudite a soulevé nombre de questions sur ses significations et ses implications.
La question la plus importante qui s’est posée se rapporte à l’éventuel lien entre ce remaniement que d’aucuns ont appelé «la tempête de l’aube» et l’opération de «la tempête décisive» lancée par le Royaume Saoudite contre le Yémen depuis le jeudi 26 mars 2015.
Cette question est d’autant plus justifiée que ce remaniement qui est intervenu au milieu d’une conjoncture spécifique, revêt des significations bien particulières surtout au vu de certains de ses éléments...
Aussi, vais-je, dans cet article, procéder à une lecture de ce remaniement et tenter d’appréhender ses tenants et aboutissants.
1/ Les principaux éléments du remaniement
A mon avis, les éléments les plus importants de ce remaniement sont les suivants:
- Le révocation du Prince Moqren ben Abdul Aziz, demi-frère du Roi Salman ben Abdul Aziz de sa fonction de Prince Héritier et son remplacement par son neveu le Prince Mohammed ben Nayef qui était, jusque-là, second dans l’ordre de succession.
Selon le décret y relatif, cette décision a été prise à la demande du Prince Moqren ben Abdul Aziz, lui même.
Il convient de souligner que c’est la première fois dans l’histoire du Royaume qu’un prince héritier est relevé de ses fonctions, et que le mandat du Prince Moqren ben Abdul Aziz a été le plus court, puisqu’il n’a été nommé à ce poste que le 23 janvier 2015. - La nomination du Prince Mohammed ben Nayef qui est âgé de 55 ans Prince Héritier, et en même temps, Vice-Premier Ministre et Président du Conseil pour les affaires politiques et de sécurité.
A ce titre, il est le premier et le plus jeune petit-fils du Roi Abdul Aziz, fondateur du Royaume, à être nommé à ce poste. - La désignation du Prince Mohammed ben Salman, fils du Roi, qui est âgé de 35 ans seulement, Vice Prince Héritier et, en même temps, deuxième Vice Président du Conseil des ministres, Ministre de la défense et Président du Conseil économique et de développement.
Il est à noter qu’il est le plus jeune membre de la famille royale à assumer la fonction de Vice Prince Héritier. - Exemption du Prince Saoud Al-Faisal, 75 ans, le plus ancien ministre des affaires étrangères dans le monde de ses fonctions à la tête de ce Ministère où il a passé 40 années, (depuis octobre 1975).
Là aussi, il a été précisé que cette exemption est venue à la demande du Prince Saoud Al-Faisal, en raison de son état de santé.
Toutefois, eu égard à sa longue expérience et son haut rang, il a été nommé Ministre d'État, membre du Conseil des Ministres, Conseiller et Envoyé Spécial du Roi et chargé de superviser les affaires extérieures.
Il est à signaler qu’à l’occasion de ce vaste remaniement auquel il a procédé le 29 janvier 2015, c’est-a-dire une semaine après son intronisation, le Roi Salman a maintenu le Prince Saoud Al-Fayçal qui a l'âge de soixante-quinze ans, à son poste bien qu’il ait été absent du Royaume. En effet il était parti, le 24 Janvier 2015, aux Etats Unis où il a subi, avec succès, une opération sur le dos, et durant son absence, des rumeurs ont couru sur l’imminence de sa démission. - la nomination, à sa place, de l’Ambassadeur du Royaume à Washington Adel al-Jubeir.
C'est un diplomate de carrière, connu pour ses compétences diplomatiques, il est le premier saoudien en dehors de la famille royale à être nommé à ce poste.
Il est à signaler, qu’à l’occasion de l’opération de «la tempête décisive», il est apparu presque quotidiennement pour rendre compte, à partir de Washington, de l’évolution de cette opération.
2/ Le remaniement dans l’optique des cercles officiels saoudiens
Bien qu’ils admettent que le remaniement a surpris ou suscité des réserves, les cercles officiels saoudiens estiment que ces attitudes relèvent ou bien de réactions hâtives ou bien d’une lecture erronée du vrai sens des décisions royales.
Pour ces cercles, le remaniement s’inscrit dans le cadre du parachèvement du processus de la réorganisation du pouvoir et de la mise au point d’une nouvelle feuille de route pour le Royaume sous le règne du Roi Salman, qui, faut-il le rappeler, a accédé au trône le 23 janvier dernier.
A leurs yeux, outre qu’elles sont conformes aux lois fondamentales du Royaume, les décisions royales, notamment celles relatives à la désignation du Prince Héritier et du Vice-Prince Héritier, ont pour objectif principal de maintenir la stabilité du Royaume et de conforter la pérennité de la famille régnante.
Toujours pour ces cercles, les Saoudiens sont, en général, satisfaits de ces décisions qui répondent aux besoins impérieux de la difficile conjoncture actuelle engendrée par les mutations radicales provoquées par le «printemps arabe» qui, remarquent-ils, a semé le désordre et le chaos dans certains pays de la région, et particulièrement au Yémen.
A cet égard, l’attribution des affaires politiques et de sécurité au Prince Mohammed ben Nayef qui a conduit, au péril de sa vie même, le combat contre les terroristes, et des affaires de défense au Prince Mohammed ben Salman qui a dirigé l’opération de «la tempête décisive», devrait contribuer à protéger le pays contre les dangers qui le guettent. Menacé, à l’intérieur, par le terrorisme et de l’extérieur par le comportement hostile du rival Iranien, le Royaume veut démontrer à travers le choix du Prince Héritier et du Vice-Prince Héritier sa volonté de mettre sa défense aux mains d’une direction jeune, énergique et déterminée.
Répliquant aux remarques relatives à l’âge du Prince Mohammed ben Salman, les cercles officiels saoudiens rappellent que nombre de grands dirigeants du monde ont accompli leurs prouesses lorsqu’ils étaient dans la fleur de l’âge...Le meilleur exemple en est le Roi Abdel Aziz, fondateur du Royaume qui a commencé à récupérer le territoire de ses ancêtres et à unifier les parties de la péninsule arabique à l’âge de 17 ans...
Et puis, font-ils remarquer, le Royaume qui est une jeune nation et où la jeunesse représente environ 60 pour cent de la population, a impérieusement besoin de rajeunir sa classe dirigeante pour pouvoir aller au devant des préoccupations et des revendications de sa jeunesse.
Conscient de cette nécessite impérieuse, le Roi Salman en a fait, dès son accession au trône, une de ses hautes priorités.
Parallèlement, il a fait de la compétence son autre haute priorité et le critère de choix de ses proches collaborateurs.
A cet égard, il a affirmé dans un discours qu’il a prononcé il y a quelques semaines, qu’il n’existait aucune différence entre un citoyen et un autre que par la compétence.
Le remaniement, affirme-t-on, est venu corroborer ces propos et cette vision par les désignations tant aux postes de souveraineté qu’aux postes ministériels.
Dans ce contexte, il est à relever qu’en dépit de leur récente nomination à leurs postes, les ministres de la santé et de l’habitat ont été demis de leurs fonctions pour cause de négligence.
En tout cas, concluent les cercles officiels saoudiens, le vrai sens du remaniement ne peut être saisi que si l’on prend en compte les traits distinctifs de la personnalité du Roi Salman que d’aucuns appellent, désormais, le «Roi intrépide», d’une part, parce qu’il a osé lancé l’opération de «la tempête décisive» pour prévenir les exactions de l'Iran et contrecarrer ses visées hégémoniques dans le Moyen-Orient, et d’autre part parce qu’il a osé effectuer ce remaniement qui constitue un changement qualitatif, audacieux et sans précédent dans l’histoire de la politique saoudienne.
3/ Le remaniement dans l’optique des observateurs
Tant à l’intérieur qu’à l'extérieur, le remaniement qui est venu à un moment où le Royaume Saoudien est en pleine guerre contre le Yémen, et où la région vit des bouleversements sans précédent, a fait l’objet de nombreuses remarques qui peuvent être résumées comme suit:
- le remaniement a enfreint la règle de la succession, qui, jusque-là, s’était faite d’une manière linéaire (entre les 35 fils du Roi fondateur Abdel Aziz).
En effet, le Roi Abdel Aziz a institué cette règle afin de permettre à tous ses fils d’avoir une chance d’accéder au trône.
Or le relèvement du Prince Moqren ben Abdel Aziz amorce la modification de cette règle et risque de constituer pour la famille régnante une source de tension sérieuse, puisqu’il renforce l’emprise sur les affaires de l’état de la branche du Roi Salman (en l’occurrence la branche Soudairi) de la famille royale, qui avait, dit-on, perdu en influence sous le Roi Abdallah. - Mise à part la désignation de Mohammed ben Nayef comme Prince Héritier, il semble que le remaniement a provoqué le mécontentement de la deuxième génération, surtout en raison du limogeage du Prince Saoud Al-Faisal Ministre des Affaires Etrangères, et du choix du Vice Prince Héritier parmi la troisième génération.
Sachant que la deuxième génération qui compte parmi ses rangs le Prince Bandar ben Sultan est connue pour son opiniâtreté et sa capacité de nuisance, peut créer des problèmes au Roi et un conflit ouvert entre les trois générations de la famille régnante risque donc de s’éclater.
En outre, les rivalités entre le Prince Mohammed ben Nayef et son oncle le Prince Mutib ben Abdel Aziz, d’une part et entre lui et son cousin le Prince Mohammed ben Salman, d’autre part risquent de s’exacerber, surtout que la génération des petits-enfants est animée d’un esprit contestataire et rebelle. - contrairement à ce qu’affirment les cercles officiels saoudiens, les limogeages semblent être la résultante des trois facteurs suivants: le premier est le conflit persistant entre les différentes générations de la famille régnante, depuis une vingtaine d’années et qui s’est attisé durant les cinq dernières années du règne du Roi Abdallah.
Le deuxième est à caractère économique. Elle est relative aux inégalités entre les différentes couches sociales de la population saoudienne. Le paradoxe est flagrant entre la richesse de ce pays qui produit 14 millions de barils de pétrole et en exporte 12 millions par jour, et la pauvreté d’une grande partie de ses habitants
Le troisième est à caractère politique et est relatif d’une part à la nature du régime et à ses liens avec le système néo-colonialiste mondial c'est-à-dire avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Occident et l'OTAN, et d’autre part et c’est le plus important à ses ingérences de plus en plus fréquentes et de plus en plus prononcées dans les affaires intérieures de certains pays de la région telles l’Égypte et surtout la Syrie.
A ce propos, il faut noter que certains Saoudiens, y compris parmi la famille régnante ne dissimulent pas leur refus de la guerre contre le Yémen.
Ce refus ne procède pas d’un sentiment d’amour pour le pauvre peuple yéménite mais plutôt d’un sentiment de crainte que leur pays s’embourbe dans le terrain marécageux du Yémen et ne saura s’en sortir.
Parmi les opposants à la guerre contre le Yémen, il y a surtout le Prince Mutib ben Abdel Aziz et le Prince Al-walid Ben Talal ainsi que de nombreux princes de la deuxième génération. - Si certains Saoudiens ont vu dans le remaniement un signe de fermeté qui permettrait de serrer les rangs de la famille régnante et du peuple saoudiens, d’autres estiment, par contre, qu’il est le produit du malaise qui frappe la famille royale à cause de l’opération de «la tempête décisive».
Pour eux, c’est ce malaise qui a dicté et peut être précipité ce remaniement, et ce en vue de mettre à l’écart ceux qui s’opposent à l’opération de «la tempête décisive» et de donner à la position de famille régnante davantage de cohérence et plus d’unité afin qu’elle puisse affronter les difficultés qui naîtraient de l’enlisement dans le bourbier Yémenite. - certains observateurs estiment que les décisions du Roi Salman portent les empreintes du Prince Mohammed ben Nayef, qui, avant la disparition du Roi Abdullah ben Abdel Aziz, a été en charge d’organiser l’avenir de la famille régnante à partir de Washington.
Nommé, en récompense, Prince Héritier, il a profité de la guerre contre le Yémen pour précipiter la décision de l’éloignement de son oncle le Prince Moqren ben Abdul Aziz dont la mère est yéménite.
Il est à noter que cette décision a été précédée par l’envoi des troupes de la garde nationale, dirigée par le Prince Mutib ben Abdallah, à la frontière avec le Yémen, par un ordre royal rendu public le 21 avril 2015, juste avant l’annonce de l’arrêt de l’opération de «la tempête décisive» et ce sous le prétexte de participer à la protection du Royaume contre la menace Yéménite.
Il est également à noter que selon certaines sources proches de la famille régnante, le Prince Mutib ben Abdallah qui ambitionnait de succéder à son père, avait, auparavant (en juin 2012) été à l’origine de la mise à l’écart du Prince Mohammed ben Nayef, du ministère de l'intérieur et de la nomination, à sa place du Prince Ahmad ben Abdul Aziz. Mais le Prince Mohammed ben Nayef, a pu reprendre ce département, cinq mois après, suite à des explosions suspectes. - S’agissant, maintenant, du peuple saoudien, il est à craindre que l’opération de «la tempête décisive» ne ravive les tensions entre ses différentes composantes tribales et religieuses.
En outre, les formes de discrimination sectaire, ethnique et même économique risquent de s’aggraver, en raison de la diminution probable des ressources financières du pays a cause de la guerre contre le Yémen.
Certes, le Royaume sera amené à essayer de remédier au problème de l’iniquité de la répartition des richesses du pays, mais le vrai problème demeurera d’éviter que cette guerre n’exacerbe les discordes entre les composantes du peuple saoudien, d’autant plus que le fléau du sectarisme qui s’embrase dans plusieurs régions dans le monde arabe, peut les contaminer surtout si les jeunes des deux sectes, sunnite et chiite, tombent dans le fanatisme, font prévaloir les intérêts de leur secte au détriment des intérêts nationaux et répondent aux appels à la violence. - l’Arabie saoudite et les pays du Golfe qui ont accumulé durant les cinq dernières années pour plus de 220 milliards de dollars d’armements, semblent être poussés par leurs fournisseurs (les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France) à utiliser cet arsenal afin, entre autres, d’avoir la possibilité de le renouveler.
Il est donc à craindre que l’opération de «la tempête décisive» ne soit que le prélude d’une série de guerres que ces pays seront conduits à mener dans ou contre d’autres pays de la région.
A cet égard, il faut noter que la décision de former la Force Arabe de Défense Commune qui sera chargée de mener des «interventions militaires rapides» n’est pas fortuite. Le Secrétaire Général de la Ligue des Etats Arabes ne s'y est pas trompé quand il l'a qualifiée de «développement historique».
D’ailleurs l’Arabie Saoudite, et ses alliés ne cachent pas leur intention de poursuivre leurs actions sous le prétexte d’empêcher le rival iranien d’étendre son influence à toute la région, et d’éradiquer les groupes terroristes qui ne cessent de sévir partout dans le monde arabe.
Conclusion
Au terme de cette lecture du remaniement en Arabie saoudite, je crois qu’il ne sera pas erroné de dire que les implications de l’opération de «la tempête décisive» qui a tendance à s’éterniser, et à se compliquer jour après jour, commencent à se faire sentir tant à l'échelle nationale saoudienne qu’à l’échelle régionale.
En effet, le régime de l'Arabie saoudite que d’aucuns accusent de vouloir essayer, avec ses alliés, de contrôler la décision arabe, risque, désormais, d’être perçu comme un problème et pour son propre pays et pour la région.
En outre, et quelle que soit l’issue de l’opération de «la tempête décisive», il est clair que le monde arabe est aujourd’hui, au bord d’une nouvelle cassure qui sera aussi grave, sinon plus dramatique que celle provoquée par l’invasion du Koweït par l’Iraq.
Cette cassure sera encore plus grave au cas où la Force Arabe de Défense Commune verrait le jour, et entrerait en action dans d’autres pays ou d’autres rgions dans le monde arabe.
En tout cas, face à cette situation et ses éventuelles évolutions, l’heure est à la vigilance pour notre pays, voisin direct d’une Libye en ébullition qui risque d’être un autre Yémen, surtout qu’elle est limitrophe de l’un des plus importants membres de la coalition qui mène l’opération de «la tempête décisive»./.
Mohammed Ibrahim hsairi