Bajbouj en Amérique
La visite officielle que vient d'entreprendre le chef de l'État aux États-Unis marque une étape décisive dans l'impulsion des relations bilatérales tuniso-américaines, relations historiques caractérisées par une grande intensité lors de la lutte pour l'indépendance - surtout après la Seconde Guerre mondiale - et tout au long de l'ère bourguibienne.
Ces relations ont connu une certaine animosité atteignant même le stade de la tension à la fin des années Ben Ali, les câbles diplomatiques révélés par WikiLeaks en attestent. Ce n'est un mystère pour personne, les Etats-Unis ont œuvré pour la chute de l'ancien régime et pas seulement en Tunisie. La donne avait changé, l'heure n'était plus au soutien des régimes autoritaires, ils s'y sont désolidarisés et ont favorisé les mouvements de résistance non-violents dans les pays de la région.
Après la chute de l'ancien régime et tout au long de la transition démocratique, l'engouement pour la Tunisie n'a pas fléchi et son avenir politique a été scruté par les Américains, qu'ils soient acteurs étatiques ou non étatiques. Certains étaient animés par une réelle sincérité et une volonté de voir le modèle démocratique émerger, ils croient dur comme fer dans les valeurs universelles. D'autres le sont beaucoup moins, ils sont plus dans l'opportunisme et ont vu dans cette transition démocratique une occasion inespérée pour être plus influents auprès des nouveaux décideurs , qu'ils appartiennent à la classe politique en gestation ou à la très dynamique société civile. On peut penser au très contesté milliardaire George Soros né György Schwartz et à son Open Society Foundations, connu pour être avec le sénateur McCain - inamovible sénateur de l'Arizona depuis 1987 et actuel président du Comité des forces armées du Sénat américain - parmi les principaux relais du sionisme à Washington. BHL, en dépit de sa grande influence dans la sphère politico-médiatique, a été déclaré persona non grata en Tunisie et sommé de quitter le territoire tunisien mais pas George Soros, est-ce parce qu'il s'agit d'un gros poisson? Le déclarer persona non grata fâcherait les décideurs américains et provoquerait des ennuis pour la diplomatie tunisienne?
Cependant, il ne faut pas tomber dans l'anti-américanisme primaire et infructueux, cher aux populistes et aux démagogues, car il existe outre-Atlantique des hommes politiques et des décideurs sincères et admiratifs de ce que représente la Tunisie. Par conséquent, il faut œuvrer à la consolidation des liens dans tous les domaines. Avoir d'excellentes relations avec les États-Unis n'est pas synonyme d'aliénation et de renoncement à notre propre souveraineté , comme veulent le laisser entendre certains. Ils crient sur tous les toits que la Tunisie en devenant allié majeur des États-Unis non membre de l'OTAN deviendra un valet de l'Amérique, ils oublient parfois qu'eux- mêmes sont connus pour leur servilité à des États satellites de l'Amérique dans la région. À bon entendeur, salut!
Il ne faut être ni un État satellite sans dignité ni un Don Quichotte des temps modernes, ceci ne servira à rien, c'est prêcher dans un désert. Avoir des relations privilégiées et intenses n'empêche pas de dire la vérité et d'exposer sa vision sur les sujets abordés. Surtout si le gouvernant n'est pas tributaire d'une quelconque force étrangère, n'est pas un fantoche, dans ce cas il est fort de son assise populaire et il n'a donc rien à craindre en étant franc. Bourguiba l'a été avec les Américains après le bombardement de Hammam Chott par l'aviation israélienne en 1985. Il a eu recours bien sûr à sa subtilité et à son génie politique resté intact malgré son âge avancé. Car au début, les Américains ont soutenu les Israéliens et allaient bloquer la résolution au Conseil de sécurité de l'ONU. Bourguiba s'était senti trahi par les Américains . Il avait convoqué l'ambassadeur américain à Tunis et lui avait dit " imaginez qu'un homme qui a toujours aimé une femme , qu'elle le trompe après tant d'années. C'est ce qui s'est passé dans cette affaire ". L'Amérique qui a toujours fasciné Bourguiba l'avait trahi et déçu et il menaça de rompre les relations diplomatiques s'ils bloquaient la résolution. La ténacité et le franc-parler de l'homme d'État finirent par payer. La résolution n'a pas été bloquée, ce fut la première et la dernière fois.
Actuellement, il est tout à fait concevable d'impulser nos relations avec les États-Unis dans le domaine de la défense, celui de l'économie ou de la coopération académique. C'est dans ce sens qu'est intervenu le mémorandum d'entente ( مذكرة تفاهم ) signé entre les deux pays. Certes, il s'agit d'une déclaration de principe ne comportant aucun engagement et dépouillée de tout aspect contraignant mais les accords contraignants suivront pour concrétiser le mémorandum.
Il nous incombe également de diversifier nos relations avec d'autres puissances émergentes, il est tout à fait louable de dynamiser nos rapports avec nos partenaires traditionnels, cependant, il faut le faire aussi avec des pays comme la Chine ou encore l'Inde qui vit actuellement ses " Trente Glorieuses ". Nous espérons donc voir prochainement le président Caïd Essebsi accompagné d'une délégation économique importante à Pékin et à New Delhi . L'avenir de la Tunisie est de s'inscrire dans la mondialisation et d'aller chercher la croissance là où elle se trouve. Et ceci n'est pas antinomique avec la préservation de nos spécificités , bien au contraire, c'est une occasion pour mieux se faire connaître.
Chedly Mamoghli