Ahmed Chtourou, grande figure démocrate, est décédé
L’ancien ministre et grande figure nationaliste et démocrate Maître Ahmed Chtourou est décédé mardi soir à Tunis, à l'âge de 83 ans, suite à une longue maladie. Destourien, il s’était opposé à Bourguiba dont il avait été ministre de la Jeunesse et des Sports (1971- 1973) sous le gouvernement Hédi Nouira, lors de l’éphémère ouverture démocratique du début des années 70. Ahmed Chtourou avait été également Maire du Bardo et député à l’Assemblée nationale, avant de prendre ses distances du parti destourien. Jeune lycéen, il avait participé activement aux évènements du 18 janvier 1952 à Sfax ce qui lui avaiit valu d'être arrêté et condamni à 18 mois de prisons qu'il purgera totalement dans diverses maisons d'arrêt. Nous en rerouverons le récit dans son livre publié en 2010 qui constitue un document hostorique.Il sera finalement libéré et partira poursuivre ses études en Droit et son action militante à Paris, au sein de l’UGET.
Après l’indépendance, Ahmed Chtourou sera affecté à la Kasbah, au cabinet de Behi Ladgham avant d'être envoyé à l'ambassade de Tuniie à Paris, puis, en tant que ministre plénipotentiaire à la mission tunisienne auprès de l’ONU à New York. A son retour il rejoindra le département des relations extérieures du PSD, mais préfèrera rapidement endosser sa robe d’avocat. Il partagera son cabinet, au 33 rue Al Jazeera, qui deviendra célèbre, avec Maître Dali Jazi et accueilleront ensemble un jeune confrère qui ne manquera de se distinguer, Taoufik Bouderbala.
S’il était resté quelques années encore au sein du PSD, c’était pour porter dans ses instances une voix dissidente légitime, forte et respectée. Il ne quittera pas de si tôt les rangs, après le Congrès de Monastir 1 en 1971, continuant à croire à la nécessité de faire évoluer le mouvement destourien et l’amener vers la démocratie. Il finira par rompre les amarres sous Bourguiba, et rallier l’opposition démocratique regroupée alors autour du journal Errai, fondé par Hassib Ben Ammar.
La voix de dénonciation dans tous les procès
Me Ahmed Chtourou ouvrera activement avec d’autres grandes figures démocrates pour la création de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme et se constituera pour assurer la défense des étudiants, militants syndicalistes et politiques dans pratiquement tous les procès, depuis les années 70. Il s’illustrera particulièrement lors du procès des 202 étudiants et celui des syndicalistes de l’UGTT poursuivis après les événements du 26 janvier 1978. Voir un illustre militant nationaliste, de la trempe de Maître Ahmed Chtourou et ancien ministre de Bourguiba défendre des opposants prenait alors toute sa symbolique. Le pouvoir en été fort gêné et redoutaient beaucoup ses plaidoiries et déclarations.
Ce qu’il pouvait tolérer à la limite à Bourguiba, sans cependant s’empêcher de le dénoncer, devenait à ses yeux inacceptable de Ben Ali. Ahmed Chtourou sera alors un opposant irréductible à sa dictature, redoublant d’activisme, malgré un état de santé portant encore les séquelles de la torture et de la prison coloniales. Dans les prétoires des tribunaux, comme sur les colonnes d’Errai et de Démocratie, au sein de la LTDH et les rares espaces de libre expression, il dénonçait avec vigueur, les abus de droit, violation des libertés et captage du pays, bravant harcèlements et intimidations.
Après la révolution, de tous les militants démocrates, il sera pratiquement le seul à ne pas s’afficher dans les médias, fréquenter plateaux télé et radio, heureux de voir finalement sa chère Tunisie, amorcer sa transition démocratique.
Ahmed Chtourou restera pour tous ceux qui l’ont connu un grand militant nationaliste et démocrate qui n’a jamais renoncé à ses convictions ni accepté le moindre compromis, ni sous Bourguiba et encore moins sous Ben Ali. Leader des jeunes lycéens à Sfax, sa ville natale, puis des étudiants tunisiens à Paris, incompris souvent par les siens dans ses positions avant-gardistes, il a toujours été de grande droiture et intégrité. Il incarnait cette génération de jeunes militants destouriens de l’indépendance, pétris de patriotisme, nourris lors de leurs études en France, des valeurs universelles, notamment la démocratie et qui n’ont jamais renoncé à leurs idéaux, lorsque Bourguiba les a appelé à ses côtés pour fonder la République.
Avec la disparition de Maître Ahmed Chtourou, c’est un illustre patriote qui nous quitte, un démocrate irréductible.
Taoufik Habaieb