M. le Chef du Gouvernement, Les Tunisiens s’inquiètent et s’impatientent, changez de stratégie!
atériels
Une ambiance plutôt morose règne sur le pays :
- des menaces sécuritaires évidentes et toujours grandissantes,
- des difficultés économiques qui s’aggravent, les investisseurs nationaux et étrangers sont encore réticents, certains de ceux déjà installés dans le pays l’ont quitté, de nouveaux départs ne sont pas à écarter,
- les ressources financières se raréfient : le tourisme est en nette régression, les activités d’extraction de phosphate et d’industries chimiques connexes sont à ce jour, le 28 mai, totalement à l’arrêt,
- les grèves à répétition de tout type, réglementaires et encadrées par les syndicats, sauvages et improvisées par la base…, dans des secteurs des plus stratégiques et sensibles : l’Education nationale (Ecole de base et secondaire), le transport public, la santé, la justice, la STEG, des sit-ins et autres modes de protestations, se succèdent à un rythme effréné, des juges qui décident une grève, il est vrai pour des motifs autre que matériels, mais quand même de cinq jours ouvrables, et ils n'en sont pas à leur première grève !!!
Face à cette grave situation, que font alors les Tunisiens: Gouvernement, responsables de tout bord, élite et citoyens ordinaires pour sauver le pays?
- des revendications dépassant, et de loin, les ressources disponibles; alors que faire me diriez-vous ? Dans de telles situations, le bon sens, la chose la mieux partagée entre nous tous, nous commande d’établir un ordre de priorité des besoins et revendications à satisfaire, naturellement dans les limites des ressources disponibles; exactement comme ferait un bon père de famille de modestes revenus. Par exemple, au lieu de tenter un incompréhensible et finalement inutile bras de fer avec le Syndicat des professeurs du secondaire, il fallait demander à la Centrale Syndicale (l’UGTT) de participer à établir l’ordre de priorité à suivre, entre l’augmentation des salaires des nombreuses dizaines de milliers des professeurs et instituteurs en exercice et le recrutement d’un certain nombre parmi ceux encore en chômage. Ainsi, prenant part à la prise de cette décision, la Centrale Syndicale ne pouvait que contribuer à convaincre ses affiliés et le peuple en général, du bien-fondé des décisions prises et assumer ainsi ses responsabilités. Dans pareilles situations, la tâche principale du Gouvernement consiste bien à établir les priorités nationales, priorité d’allocation des rares ressources disponibles et priorité en termes d’urgence de réalisation. Malheureusement, la Tunisie, confrontée à de graves difficultés, souffre d’un manque flagrant de leadership capable d’établir les priorités en faisant participer, et par là responsabiliser, les principaux acteurs concernés. Certes, ce n’est pas une affaire aisée, il s’agit bien de jeter les bases d'une gouvernance démocratique pour un peuple qui s’efforce encore à frayer une place parmi les nations dignes de respect, mais on en est encore au stade " sauvetage et survie " qui exige de tous les Tunisiens des sacrifices. L’heure de bénéficier des dividendes de l’ère démocratique n’a pas encore sonné.
- Face au marasme général, règne une crise de confiance entre les principaux acteurs nationaux : Gouvernement/différents corps sociaux ; Gouvernement / Syndicats sectoriels; UTICA / UGTT ; ARP / Corps des magistrats ; ces mêmes magistrats / Avocats … chaque partie s’opposant farouchement à son vis-à-vis, s’efforce à lui imposer sa vision des choses, non pas par la concertation et la raison, mais en brandissant sa détermination à ne pas céder quitte à menacer les intérêts de la collectivité, de la pure surenchère jusqu’auboutiste ! En revanche, les solutions constructives concertées, pouvant donc constituer un début de réponses aux vrais défis, restent plutôt rares.
- Quant aux Gouvernements successifs et à quelques différences près, ils n’ont pas trouvé de plus facile que d’endetter davantage le pays et risquer d’hypothéquer son avenir. Pis encore, l’obtention d’un important crédit même avec 6% de taux d’intérêt, est devenue, pour certains hauts responsables, un élément de fierté et un indicateur de compétence ! Le comble est qu’on s’endette non pas pour investir dans des projets en mesure de relancer les activités économiques et créer de l’emploi et de la richesse, mais plutôt pour consommer plus et céder aux revendications de ceux qui ont déjà un emploi ! Est-il encore nécessaire de rappeler que l’endettement public incontrôlé et particulièrement celui qui ne crée pas des richesses, mène tout droit à l’érosion de la souveraineté nationale et à de nouvelles formes de colonisation, certes toujours plus soft et plus indirectes;
- Le Gouvernement actuel, n’arrive toujours pas, sur le plan du leadership à jouer le rôle qui lui incombe. L’absence du Chef du Gouvernement sur la scène médiatique et publique est notable, se contentant de brèves apparitions médiatiques en réponse aux questions de journalistes, alors que le pays brûle : de violents heurts entre protestataires et Forces de Sécurité Intérieure ont fait un mort, des blessés et la mise à feu d’un poste de la Garde Nationale à Dhéhibat au mois de mars dernier; même scénario à El fawar (région de Kébili) en avril; des grèves répétées des nombreuses dizaines de milliers de professeurs du secondaire, l’arrêt total d’extraction de phosphate au bassin minier et activités industrielles connexes aux ICM de Gannouch, les grèves des instituteurs du primaire, les récents heurts entre les habitants de Jemna et El Goulaa dans la région de Kébili avec le recours encore une fois au "rach" et son lot d’une vingtaine de blessés… Aucun de ces fâcheux événements n’a justifié, aux yeux du Chef du Gouvernement, une intervention exhaustive, sur une station TV nationale lors de laquelle, il informerait le peuple des réalités des faits et lui expliquerait les mesures prises pour y faire face et celles envisagées pour éviter le renouvellement de tels incidents! Le bateau malmené par les vents et les vagues, semble sans commandant, et un bateau dans une telle situation risque fort de couler! Faut-il rappeler que dans les phases difficiles de l’histoire d’un pays où tout est remis en question et quand les repères disparaissent, les peuples ont surtout besoin de leaders et pas seulement de grands gestionnaires, des leaders dont la seule apparition sur la scène, inspire confiance, assurance et motivation, aux nationaux pour consentir les plus durs sacrifices pour réussir le sauvetage et aux étrangers pour venir investir. Ne sommes nous pas en guerre contre le terrorisme ? Ne sommes nous pas tellement endettés qu’il n’est pas exagéré de parler de risque d’hypothéquer l’avenir du pays? L’économie, n’est-elle pas au bout du gouffre? Notre unité sociale n’est-elle pas menacée par des dissensions à connotations régionales, sectorielles et même tribales qu’on croyait définitivement enterrées ? Il semble qu’au nom du ʺdevoir d’optimismeʺ pour préserver ce qui reste encore du moral national, on s’interdit d’appeler un chat un chat, d’où la politique de l’autruche jusqu’à ...qui sait ?
C’est bien ce manque de communication de la part des hautes autorités qui laisse libre cours aux plus drôles supputations et rumeurs, voir "winou el pétrole ?". Dans les périodes difficiles, le peuple a besoin de voir ses chefs sûrs d’eux-mêmes, aux commandes, bien tenir ses destinées en main et lui indiquer l’objectif à atteindre, le chemin à suivre pour y parvenir et surtout lui justifier les sacrifices à consentir; cela le rassure, le met en confiance et l’incite à contribuer activement à la réalisation des objectifs fixés par ces mêmes chefs. Les grands Hommes d’Etats, Bourguiba, Reagan, Nasser, De Gaulle pour ne citer que ceux là, doivent leur réussite à leur qualité de grands communicateurs et de pédagogues, ils n’étaient pas forcément de grands gestionnaires, mais plutôt de véritables ʺ Leaders ʺ, des meneurs d’hommes.
- Le manque d’initiative de la part du Gouvernement et sa posture trop réactive et tardive face surtout aux revendications sociales, ont laissé les contestataires conclure que ce Gouvernement finit toujours par céder, donc il faut tenir bon, même en franchissant toutes les lignes rouges et en faisant fi des valeurs de citoyenneté, de sacrifice au profit de la solidarité nationale, de l’intérêt général, de l’obligation d’assurer un service public minimum, du bon ordre des priorités nationales etc. Ainsi, les positions des protestataires se durcissent, les grèves se renouvellent, se prolongent et paralysent les activités des citoyens, les études des élèves, annulent leurs examens et touchent des corps qu’on croyait au dessus de ce mode de protestation et d’expression, tel le corps des magistrats. Une logique revendicative s’est développée : chaque augmentation de salaires d’un corps professionnel, porte en elle les justificatifs et les germes de nouvelles revendications d’un autre groupe ayant quelques traits communs avec le premier, donc "le pourquoi pas nous" ? N’y a-t-il pas nécessité d’arrêter cette spirale sans fin ? Oui, à travers une refonte générale de la grille des salaires dans la fonction publique, un grand et difficile chantier, nécessitant entre autres la conclusion avec les partenaires sociaux dont notamment l’UGTT, d’un accord sur cette démarche, la Centrale Syndicale doit continuer à assumer ses responsabilités nationales.
- Malheureusement, aucune partie ne semble prête à assumer sa part de responsabilité dans ce qui menace le pays. Au fait, cette responsabilité est largement partagée, bien sûr à des degrés différents, par l’ensemble des composantes du pays, du sommet de l’exécutif en passant par l’ARP, les partis politiques, l’élite, les organisations nationales syndicales et patronales, celles de la société civile pour engager aussi le citoyen ordinaire. Néanmoins, c’est à l’Etat et plus précisément au Gouvernement en charge des destinées du pays, qu’incombe la plus grande part de responsabilité dans ce qui se passe dans le pays. Bien entendu, cette responsabilité ne se limite pas seulement aux conséquences des choix et décisions du Gouvernement, mais elle couvre aussi celles dues au manque d’initiatives, à l’attentisme et l’indécision face à la dégénérescence de la situation. Gouverner c’est essentiellement décider, faire des choix, prévoir et à défaut prendre à temps, avec l’audace et la détermination requises, des décisions qui permettent de surmonter les problèmes et les difficultés rencontrées, et ce, même au risque de ne pas contenter tout le monde. Evidemment la concertation des instances nationales concernées reste toujours recommandée, elle pourrait contribuer à dégager un consensus autour des choix à adopter et par là, garantir le maximum de chances de succès de la mise en œuvre des décisions du Gouvernement.
Quelques recommandations à l’attention de M. le Chef du Gouvernement
1. Etablir au plus vite, en concertation avec les partenaires sociaux, UGTT, UTICA, Partis Politiques au pouvoir et autres instances concernées, une feuille de route nationale précisant surtout les grandes réformes à entreprendre, l’ordre de priorité à accorder aux problèmes à résoudre, aux revendications sociales à satisfaire, celles à reporter pour plus tard… bref, les grandes lignes d’un programme d’action qui a manqué à ce gouvernement. Il est probable que tout n’aura pas le consentement de toutes les parties, mais en fin de compte, il revient au Gouvernement d’assumer la responsabilité de trancher et passer à la concrétisation des choix arrêtés; la concertation n’est pas forcément synonyme d’unanimité.
2. Fournir au peuple, sans alarmisme et sans embellissement non plus, la vérité des données réelles du pays et l’informer régulièrement sur l’évolution de la situation économique, l’avancement des grands projets et des réformes en cours, les échéances à venir... Le manque d’informations favorise les rumeurs, l’intox d’où le marasme, le manque de confiance, le désespoir et les heurts. M. le Chef du Gouvernement doit revoir d’urgence sa politique de communication et prévoir des rendez-vous médiatiques plus ou moins périodiques, tous les 30 ou 45 jours par exemple, pour informer et rassurer le peuple en expliquant les décisions et les objectifs pour l’étape à venir en utilisant surtout un langage simple, direct mais de contenu concret, s’adresser à la raison des tunisiens mais aussi à leur cœur, c’est ainsi que vous arriverez à les convaincre des dures décisions qui les attendent et des sacrifices qui leur sont demandés. De grâce, évitez les discours solennels en arabe littéraire, adressez-vous directement aux tunisiens dans leur dialecte quotidien.
3. Lier, dorénavant, toute augmentation de salaires à la croissance du PIB pour la fonction publique et de la production pour les entreprises privées. Autrement, comment justifier les importantes augmentations de salaires décidées récemment dans la fonction publique au titre de 2014 et annoncer de nouvelles négociations au titre de 2015 et 2016, alors que le taux de croissance pour le premier trimestre 2015 n’a même pas dépassé 1,7% ? Les augmentations des salaires doivent aller de paires avec la croissance et la production des richesses. L’établissement de ce rapport Salaires/Production est de nature à remettre les tunisiens au travail avec un réel esprit de citoyenneté responsable qui doit remplacer au plus vite la mentalité de l’Etat providence qui doit tout offrir: éducation, santé, emploi… alors que le citoyen, se tient libre de tout engagement et devoir envers la collectivité; cet esprit du « citoyen assisté par un Etat paternaliste » des premières années de l’indépendance doit laisser la place à celui du « citoyen responsable, en charge de sa destiné et surtout engagé activement et à part entière dans la chose publique » bref avec des droits mais aussi des devoirs de citoyenneté.
4. Dans le même ordre d’idée, reporter la mise en œuvre de tous les accords d’augmentation des salaires conclus et non encore concrétisés, jusqu’à atteindre 3,5 ou 4% de croissance du PIB. Ceci ne remet en cause ni le mérite ni la justesse des augmentations décidées, mais faut-il d’abord avoir les moyens pour les accorder? Créons d’abord de la richesse et des emplois aux chômeurs ! Il est vrai que cela semble dur à faire admettre ; mais préférions-nous attendre le jour où le Gouvernement se trouve condamné à réduire les salaires comme cela a été le cas dans d’autres pays en faillite? Attention, il n’y a plus beaucoup de décisions qui pourraient susciter l’euphorie populaire ! Pour les citoyens, c’est le temps des sacrifices et du labeur pour survivre dans la dignité et gagner le respect des autres nations.
5. Accorder la priorité absolue aux chômeurs en investissant dans des projets créateurs d’emplois et de richesses. Ceux qui ont déjà un emploi, ont certainement le droit de voir leur salaire amélioré, mais ils peuvent certainement mieux supporter les difficultés de l’étape que leurs concitoyens encore en chômage, sans revenu ; c’est le sens même de la solidarité nationale et du bon sens, non ?
6. Adopter un discours et un mode d’action guidés uniquement par l’intérêt général, la justice sociale et l’équité entre citoyens, groupes sociaux, corps professionnels et régions ; ne jamais céder aux pressions de certains corps, juste par crainte de leur détermination à défier l’Etat et leur capacité de blocage ou de nuisance à l’intérêt général. N’hésiter pas à imposer le respect de la loi par la force de la même loi. Une loi votée et en vigueur n’a besoin de l’aval de personne pour être appliquée, sinon elle ne le sera jamais. L’Etat doit bien étudier au préalable ses décisions, sur lesquelles il ne doit pas revenir sous la pression et le défi injustifiés de quelque groupe ou organisation que ce soit ; cela va de l’Autorité et de la Crédibilité de l’Etat, le contraire serait la dictature de l’anarchie.
7. Arrêter cette course à l’endettement extérieur, puiser d’abord dans les ressources nationales, solliciter l’orgueil du tunisien pour consentir les sacrifices nécessaires à la préservation de notre souveraineté nationale et notre dignité. S’endetter pour manger tout en bénéficiant de longs week-ends à l’européenne, de très nombreux jours fériés chômés par an, n’a rien de digne et n’attire le respect de personne. Le salut du pays reste dans la détermination de ses citoyens à compter d’abord sur leurs moyens propres, sur leurs efforts et en fin sur les sacrifices qu’ils sont prêts à consentir, d’abord en travaillant plus même pour une rétribution provisoirement en deçà des aspirations. Imitons dans ce domaine les pays qui ont réussi de vrais miracles, pays émergents, BRICS et autres. Au besoin, pourquoi ne pas recourir d’abord aux empreints nationaux ? Pourquoi ne pas limiter, pour quelques années, les importations aux seuls produits d’équipement et ceux de première nécessité ? Pourquoi ne pas créer une caisse de ʺZakatʺ où ceux qui y croient peuvent verser leur dû de Zakat, les autres peuvent y déposer leurs donations, et dont l’Etat pourra profiter pour renflouer ses caisses? Il ya certainement beaucoup d’autres solutions nationales, les spécialistes, économistes et financiers en identifieront certainement d’autres bien meilleures.
Dans un souci de réaliser le plus large consensus possible autour de ces choix il y a lieu d’en débattre au sein et entre les hautes instances nationales dont notamment l’ARP, l’UGTT et l’UTICA. Mais au bout du compte, la décision finale reste du domaine des responsabilités du Gouvernement issu du processus électoral adopté et qui doit bien les assumer.
Enfin, il est à noter que ces modestes suggestions, restent valables pour n’importe quel gouvernement qui serait en charge des destinées du pays pendant cette phase décisive de l’histoire de la Tunisie. Il s’agit d’une approche de sauvetage qui se veut pragmatique, loin des tiraillements politiques, idéologiques ou d’autre nature.
M. le Chef du Gouvernement, on reconnait en vous le grand commis d’Etat, l’homme honnête, intègre … Pour cette étape et pour cette fonction, on attend de vous encore plus d’audace et de détermination face aux difficultés, plus de contacts avec le peuple, les moyens de communication le permettent aisément…le pays est en manque d’un vrai leader, déterminé, rassurant et qui montre le chemin à suivre sans hésitation.
Que Dieu garde la Tunisie.
Mohamed Meddeb