L 'art de s'autodétruire lentement mais sûrement
Tel le "TITANIC" dont le commandant avait ignoré pas moins de sept messages-radio l'avertissant de la présence d'icebergs, le paquebot TUNISIE continue à ignorer les signaux parvenus de toute part: Il continue sur sa lancée avec un modèle socio-économique insoutenable.
Une erreur a été fatale au Titanic: Il a excessivement freiné. La perte de vitesse rendit en fait plus difficile et plus lent le virage. Freiner n'a donc fait que retarder le choc de quelques minutes, et a, au contraire, empêché le navire de se redresser suffisamment, offrant ainsi tout son flanc à la lame de glace.
C'est exactement l'image qu'offre la Tunisie à l'heure actuelle où l'erreur commise consiste à stopper l'investissement public, à financer la consommation par un endettement excessif et à retarder les réformes.Tout cela en berçant l'opinion publique d'illusions d'un décollage imminent. La suite est connue. Le pays affronte une crise sans précédent et s'engage dans un processus diabolique d'auto-destruction.
Le mot "crise" est relativement impropre. Le dictionnaire le définit ainsi: "Brusque accès, forte manifestation d'un sentiment, d'un état d'esprit". Il s'agit donc d'un phénomène limité dans le temps et qui, par son caractère aigu, est voué à se résoudre rapidement en débouchant sur une solution immédiate ou sur la destruction. Il ne s'applique pas à un pays qui connait une fièvre qui dure depuis longtemps alors que le propre même d'une fièvre est sa brièveté.
Un pays sans vision globale de la marche du monde et de l'Histoire, sans pensée éclairant l'horizon, sans projet de société compatible avec le destin de l'humanité dans son ensemble, sans politique économique productive et compétitive, sans élite engagée dans la nécessaire réforme de l'esprit du citoyen pour le ramener sur la voie de la rationalité, du sérieux et du progrès... Ne peut pas prétendre à un avenir mais doit s'attendre à un effondrement sanglant.
Un pays qui n'est pas géré mais juste tenu, une économie concédée à la mafia, " berlesconisée " à outrance, une société livrée au charlatanisme sont condamnés au désordre et à la guerre civile. Que de fois n'a-t-on pas vu cela à travers l'Histoire? C'est dire que l'art de s'auto - détruire nous est familier dans notre sphère arabo - musulmane.
Dans les années 90, les Tunisiens regardaient au-dessus et autour d'eux pour estimer, au jugé, la distance qui les séparait des nations plus avancées qu'eux ou de niveau comparable. Il y en avait peu... en Afrique, dans le monde arabe, notre voisinage et même au sud de l'Europe. Aujourd'hui, nous regardons au-dessous et derrière en nous demandant s'il y a plus bas sur les degrés de l'échelle ou plus retardataires pour fermer la marche du convoi humain en ce troisième millénaire. Il n'y en a pas!! Les peuples burkinabé et burundais, pauvres parmi les plus pauvres de la planète, sont passés devant!!
Notre pays, c'est une évidence, est très atteint en termes psychologiques et moraux et il sera difficile de lui faire remonter la pente.
Mais ce n'est pas tout, il y a aussi le risque de destruction extérieure auquel il peut être confronté comme cela est arrivé à des pays de son niveau qui, même dans leurs pires cauchemars, n'ont pas imaginé se retrouver dans la situation où ils sont.
Si nous ne connaissons pas nos fragilités ou les dissimulons à l'opinion publique, les autres, adversaires en puissance et ennemis potentiels, les connaissent bien et savent quoi faire le jour où notre tour viendra d'être déstabilisé ou dépecé. Je gage que les plans d'attaque sont dans les tiroirs de plusieurs états- majors militaires proches ou lointains.
La spirale infernale qui est en train d'aspirer les pays arabo-musulmans l'un après l'autre pourrait nous happer en cas de troubles intérieurs graves. Sans parler des impondérables, terme sous lequel on peut ranger beaucoup de choses allant des émeutes aux calamités naturelles.
En raison de la concordance de sa morale avec celle de cette contribution voici l'histoire de la grenouille (lue quelque part ).
" Imaginez une marmite remplie d'eau froide dans laquelle nage tranquillement une grenouille. Le feu est allumé sous la marmite, l'eau chauffe doucement. Elle est bientôt tiède. La grenouille trouve cela plutôt agréable et continue à nager. La température continue à grimper. L'eau est maintenant chaude. C'est un peu plus que n'apprécie la grenouille, ça la fatigue un peu mais elle ne s'affole pas pour autant.L'eau est cette fois vraiment chaude.La grenouille commence à trouver cela désagréable mais elle s'est affaiblie, alors elle supporte et ne fait rien. La température continue à monter jusqu'au moment où la grenouille va tout simplement finir par cuire et mourir ".
Si la même grenouille avait été plongée directement dans l'eau à 50°, elle aurait immédiatement donné le coup de patte adéquat qui l'aurait éjectée aussitôt de la marmite.
Cette expérience montre que lorsqu'un changement s'effectue d'une manière suffisamment lente, il échappe à la conscience et ne suscite la plupart du temps aucune réaction, aucune opposition, aucune révolte. Si nous regardons ce qui se passe dans notre société depuis la révolution, nous constatons que nous subissons une lente dérive à laquelle nous nous habituons. Des tas de choses qui nous auraient horrifiés il y a 20 ou 30 ans ont été peu à peu banalisées et nous dérangent mollement et finissent carrément indifférents la plupart des gens.
SAINT AUGUSTIN disait: " A force de tout voir, on finit par tout supporter; à force de tout supporter, on finit par tout tolérer; à force de tout tolérer, on finit par tout accepter; à force de tout accepter, on finit par tout approuver "
Alors si nous ne sommes pas, comme la grenouille, déjà à moitié cuits, donnons le coup de patte salutaire avant qu'il ne soit trop tard.
Mohamed Kasdallah