La Tunisie et la campagne «où est le pétrole?»: que des conneries!
L’effervescence constatée ces derniers jours par rapport à la question des ressources énergétiques en général, les ressources pétrolières en particulier ne pourra pas passer inaperçue. Elle montre qu’en Tunisie, la responsabilité de tous les acteurs (Etat, société civile, citoyens, partenaires, etc) n’est pas encore assumée et que le chemin vers un véritable changement reste encore semé d’embûches.
Vraisemblablement, la cacophonie engendrée était une véritable occasion qui a poussé à poser plusieurs interrogations : est-ce la bonne question ? Est-ce qu’il figure, quelque part, une désorientation (ou une manipulation) ? Où est le gouvernement ? etc.
Une question mal posée?
La question « où est le pétrole ? » qui a été posée prouve que les tunisiens viennent juste de commencer à spéculer sur la présence de l’or noir dans leur sous-sol ! Or, à cause d’une ignorance des faits, ces mêmes tunisiens ne savaient probablement pas que plus de 60% des entreprises étrangères installées en Tunisie opèrent dans le secteur énergétique et que, selon plusieurs experts en la matière, la Tunisie possède un potentiel intéressant en termes d’hydrocarbures conventionnels. Sinon, qu’est ce qui explique la chute vertigineuse des réserves pétrolières sur le territoire tunisien ? Pourquoi autant d’opacité sur les sites pétroliers, surtout ceux de Hammamet et de Beni Khalled ?… [1].
D’autre part, la forme avec laquelle la question était posée confirme une négligence d’autres sujets connexes qui ne sont pas sans importance. En effet, bien qu’il soit légitime de demander des comptes, il est également judicieux de se poser des questions du genre : « quel est le mode de gestion des ressources nationales ? » ou « où sont affectés les 4 milliards de dinars encaissés à titre d’impôts provenant du secteur ? » ou « quel impact du secteur énergétique sur le développement durable ? », etc.
Une foule désorientée?
A première vue, la campagne menée sur les réseaux sociaux et colportée ensuite pour atteindre les rues donne à penser que les citoyens sont désormais vigilants. Or, bien que ce genre de réaction est salué (tant que cela reste dans le cadre du respect de la loi et de la pratique des libertés), aller jusqu’à bloquer complètement les sites et demander la nationalisation du secteur énergétique prouve que la foule est probablement désorientée. En effet, faute d’une négligence de la réalité, entretenue par certains discours populistes, cette foule ne savait peut être pas que l’Etat est incapable de mener à lui seul les travaux d’exploration et d’exploitation et qu’il est inapte à contrôler et à suivre les productions provenant des différents gisements. Imaginons pour une seule minute une nationalisation d’un secteur où rien n’est maîtrisé : ni l’aspect technique, ni l’aspect opérationnel, ni même l’aspect financier !!!
D’autre part, les tunisiens savent [par contre] qu’ils vivent dans une ère où la malversation et la corruption sont un peu partout : évasion fiscale, contrebande, pratiques douanières illicites, blanchiment d’argent, etc. Pourquoi pas donc une campagne généralisée ayant pour slogan : « où est la transparence ? » ou « tous contre la corruption » ou « unissons-nous contre la malversation » !!!
Il est grand temps de demander des comptes lorsqu’il s’agit des affaires publiques, surtout que la nouvelle constitution offre le cadre adéquat pour pratiquer sa citoyenneté. Mais, réclamer sa part du gâteau avant de s’impliquer activement dans la vie publique ou avant de « prioriser » les différentes problématiques s’avère inacceptable.
Un secteur mal gouverné?
La frénésie de ces derniers jours contre les acteurs du secteur énergétique montre que rien n’a été fait dans ce secteur. En effet, bien que la nouvelle Constitution inclue les dispositions relatives à la transparence et la redevabilité (articles 12 et 13), la gouvernance reste lamentable. Désormais, le rapport de la Natural Ressource Governance Institute [2] n’a-t-il pas classé dernièrement la Tunisie 28ème sur un total de 59 avec un indice de gouvernance des ressources naturelles n’atteignant même pas les 50 sur un total de 100.
D’autre part, il est inquiétant de constater un laxisme flagrant de la part des autorités alors que plusieurs rapports établis, que ce soit par des institutions indépendantes ou par des commissions de contrôle administratif, sont déjà prêts. Le rapport de la commission de feu Abdelfattah Amor, le rapport de la cour des Comptes n°27, le rapport conjoint des 3 structures publiques (contrôle général des finances, contrôle général des services publics et contrôle général du domaine de l'Etat et des affaires foncières), pour ne citer que ces trois, n’ont-t-ils pas soulevés déjà des failles au niveau de la production, des déclarations et de la gestion des ressources énergétiques ?!!!
Visiblement, le gouvernement continue toujours à diluer la question de l’énergie et de camoufler la réalité chaque fois que les dossiers sont évoqués. L’ajournement de l’adhésion de la Tunisie à l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE) et le refus d’application des conventions internationales, surtout celles liées à la lutte contre la corruption, montrent que les responsables n’ont pas l’intention de transpercer l’opacité entourant le secteur et de régler une bonne fois pour toute la question de la gouvernance.
Clairement, la spéculation sur l’existence ou non des ressources énergétiques (notamment pétrolières) ne doit pas se poser. Il est vrai que ce dossier doit être ouvert sérieusement, mais en même temps, d’autres dossiers connexes doivent être traités convenablement (blanchiment, douanes, fiscalité…). L’implication de tous les acteurs concernés est inévitable : transparence, responsabilisation et gouvernance sont les maîtres mots.
Dr. Aram Belhadj
Universitaire
[1] Il ne faut pas non plus faire l’amalgame entre une économie où figurent des ressources énergétiques non négligeables et une économie de rente basée sur la production et l’exportation de l’énergie.
[2] C’est une organisation non gouvernementale qui promeut la gestion responsable, efficace et transparente du pétrole, du gaz et des ressources minières.
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