Tunisie, quand l’étatisme tue l’État
Faut-il dire la vérité au risque de déplaire, offusquer, choquer, heurter, agiter le débat public, créer la polémique et au risque de donner le tournis aux tenants de la bien-pensance? Oui. Incontestablement oui.
Il existe une question qui mérite d'être débattue avec la plus grande sincérité, celle de la conception de l’État par les Tunisiens. Ces derniers, du moins une majorité importante d’entre eux a une conception très interventionniste de l'État, ils sont partisans d’un État-providence poussé à l’extrême. Pour eux, l'État existe pour s’occuper d’eux du berceau jusqu’au tombeau. L'État est une assistante sociale, pis encore, l’État doit être une maman poule. L’État doit s’occuper de tous les champs de la vie sans exception sinon, il est honni, décrié, insulté, malmené et traité de tous les noms. Et oui, c’est ainsi. Beaucoup de Tunisiens sont à l’image de ces enfants égoïstes et capricieux, qui le jour où leurs parents n’ont plus les moyens de leur offrir ce qu’ils veulent, deviennent insolents, ingrats et désobéissants. Bon nombre de nos compatriotes « lynchent » l’État et déversent toutes leurs colères et leurs frustrations sur cette entité quand elle n’arrive plus à tout leur offrir et à leur donner satisfaction.
Et la classe politique actuelle surtout les partis et les sous-partis aux abois, apôtres du populisme, de la médiocrité, de la haine et de la rancune sont prêts à tout pour revenir sur la scène publique et se refaire une virginité y compris en dessinant leurs adversaires en «traîtres» à la botte des compagnies étrangères. Et y compris en alimentant des tentatives insurrectionnelles causées par exemple par la sinistrement célèbre campagne « Winou el Pétrole » qui n’a pour objectif que vendre des chimères à nos concitoyens et à renforcer l’assistanat. Et là, je voudrai attirer l’attention sur le fait que la photo officielle qu’ont choisi les instigateurs de cette campagne en noir sur fond jaune n’est pas sans rappeler le symbole de Rabia al Adawiyya des Frères musulmans égyptiens. Ça en dit long sur l’innocence et la spontanéité de cette campagne fomentée par ces partis.
Donc une grande partie des Tunisiens a biberonné cet étatisme poussé à son paroxysme durant des décennies. Le phénomène n’est donc pas récent, il remonte au lendemain de l’indépendance. Certes à cette époque, cette conception est compréhensible et légitime. La Tunisie avait besoin d’un État puissant, présent sur tout le territoire de la République afin de fédérer les citoyens de la jeune nation indépendante et de faire en sorte que leur allégeance soit à l’État-nation et non à la tribu ou à la région. Également, il fallait bâtir une vraie école qui éduque et enseigne, il fallait moderniser le pays et le sortir de l’archaïsme. Mais surtout à cette époque nous n’avions pas une vraie économie nationale, c’était une petite économie agricole. Les secteurs secondaire et tertiaire étaient quasi-inexistants, il fallait donc créer un tissu économique. Le choix d’un État-providence était par conséquent justifié.
Également, il fallait revenir à la formation et à la sensibilité politique de notre premier président Habib Bourguiba. Le fondateur de la Tunisie moderne vécut dans le Paris des années 1930, époque de la IIIème République. Et l’un des partis les plus influents de cette IIIème République fut le Parti radical. Ce parti de centre gauche était le parti de la laïcité –il sera à l’origine de la loi de 1905, loi de séparation des Églises et de l’État –, de la mission civilisatrice de l’école et avait une conception interventionniste de l’État. Ce parti fascina et façonna l’étudiant que fut Bourguiba. C’était d’abord le parti de Clémenceau et ensuite celui de son cher Mendès France qu’il appréciera tout au long de sa vie. Le Parti radical est communément appelé « le plus vieux parti de France ». Sous la Vème République, il s’affaiblit suite à la bipolarisation de la scène politique. Il finira par se scinder en deux, le Parti radical valoisien -par référence a son siège au 1er place de Valois dans le 1 er arrondissement de Paris- transformé par Jean-Louis Borloo en UDI (Union des Démocrates et Indépendants) et le Parti Radical de Gauche (PRG) des rangs duquel est issue l’actuelle Garde des Sceaux Christiane Taubira.
De ce fait, l’état de la Tunisie au lendemain de l’indépendance et la formation politique de son leader justifiaient à l’époque cet État-providence.
Mais aujourd’hui, ce n’est un mystère pour personne et il est un constat on ne peut plus clair, le pouvoir central étouffé par sa propre bureaucratie et son administration pléthorique n’est plus capable de tout assurer aux citoyens, il fait face à de graves difficultés économiques. L’État ne peut plus être la maman poule qu’il était. L’État doit certes se concentrer sur l’état actuel de l’enseignement qui ne cesse de se dégrader et doit tout engager afin de réformer le secteur de la santé publique. Faire un tour dans un de nos hôpitaux est une épreuve. Ces deux chantiers sont prioritaires pour l’État tunisien. Mais l’État doit se désengager du secteur économique, ce n’est pas à l’État de créer des emplois. L’État doit créer les conditions favorables et propices à l’investissement des acteurs locaux et étrangers et doit permettre au secteur privé de se dynamiser afin de résorber le chômage.
Je sais que ce j’écris risque de provoquer des tachycardies à ce que j’appelle les «réformatophobes» qui passent leur temps à diaboliser le libéralisme et à le caricaturer comme le méchant monstre père de tous les dangers. Toutefois, je leur dirai que primo, nous n’en avons cure de leurs discours hypocrites, démagogiques, caduques et populistes. Qu’ils arrêtent de vendre du vent aux Tunisiens et de leur dire que l’État doit les employer, les choyer et tout leur offrir. L’État n’en a plus les moyens et ils doivent le comprendre une bonne fois pour toute. Secundo, qu’on arrête de raconter des mensonges et des contre-vérités au sujet du libéralisme.
Le libéralisme avant d’être économique - avecAdam Smith – est une philosophie politique inaugurée par John Locke. Ce n’est ni l’islamisme, ni le panarabisme, ni le socialisme et encore moins le communisme qui ont bâti leur doctrine sur les libertés. Mais c’est le cas du libéralisme.
Nous savons pertinemment qu’en Tunisie, il est tellement plus à la mode et plus facile d’être un gauchiste grincheux allergique au libéralisme. Il est toujours plus aisé d’aller faire les fanfarons sur les plateaux télés en insultant la Banque mondiale – banque de développement que des incultes présentent comme une cupide banque d’affaires sans scrupules – et le FMI, véritable tête de turc de nos réformatophobes. Il faut leur dire qu’ils n’avaient qu’à ne pas dégrader les finances publiques pour ne pas emprunter de cette institution monétaire qui ne prête qu’aux États en proie à des difficultés extrêmes.
Je sais pertinemment que beaucoup m’envient ma liberté de ton car les opportunistes et les carriéristes se drapent dans le conformisme et dans le politiquement correct de peur d’être attaqués de la part de telle ou telle parti politique et de crainte de ne plus faire l’unanimité pour occuper tel ou tel poste. Ils préfèrent renoncer à leur liberté d’expression par souci de carriérisme. Leur posture est pitoyable. Je préfère de loin le camp de ceux qui disent la vérité et qui œuvrent pour faire avancer ce pays. En espérant que la Tunisie renonce à cet étatisme qui transforme le citoyen responsable en usager assisté.
Chedly Mamoghli