News - 02.07.2015

Fatma Marrakchi Charfi : Une frappe au cœur de l’économie !

Une frappe au cœur de l’économie !

Ce n’est peut-être pas très décent à l’heure actuelle de parler des lourdes retombées qu’aura l’opération terroriste qui s’est passée le 26 juin, dans un grand hôtel à Sousse, sur l’économie tunisienne. Mais il faut bien qu’on en parle hélas ! Le tourisme est une activité vitale pour le pays dans la mesure où il emploie près de 400 000 personnes et constitue un des principaux secteurs pourvoyeurs de devises, puisqu’il fournissait 12% des recettes courantes au cours de la décennie 2001-2010, contre 7% uniquement en 2014.

Pour comprendre l’effet de la chute prévisible des recettes touristiques sur l’économie tunisienne, essayons de placer le secteur touristique dans un contexte global et focalisons nos propos sur la structure du compte courant. Etant structurellement négatif, le déficit courant n’est autre que le besoin de financement en capitaux par rapport à l’étranger.

D’où provient ce déficit courant (besoin de financement) ?

L’examen du graphique 1 nous montre que le déficit courant provient d’un déficit commercial structurellement et historiquement déficitaire et en exacerbation depuis 2011. Historiquement aussi, ce déficit a toujours été, au moins partiellement, compensé par la balance des services qui a toujours été excédentaire, notamment grâce au secteur du tourisme. En effet, les recettes touristiques couvrent approximativement 50% des recettes totales au niveau des services au début des années 2000 et de 40% depuis 2011. Par ailleurs, les recettes touristiques au 20 juin 2015 (avant l’attentat de Sousse) étaient à 1.125 millions de dinars contre 1.352,8 millions de dinars à la même date de l’année 2014, soit 227,8 millions de dinars en moins. De ce fait, la saison touristique actuelle ne s’annonçait pas sous les meilleurs auspices, mais vraisemblablement, le plus dur reste à venir.

Si le tourisme qui ramène du cash en devises fait défaut après cet attentat qui vient s’ajouter à celui du Bardo, quelles sont les possibilités pour l’économie de financer ce déficit commercial exacerbé ? Nous devons pouvoir compter sur le rapatriement des revenus des travailleurs tunisiens à l’étranger qui peuvent d’ailleurs passer une partie de leur séjour dans des hôtels. Toutefois et comme le montre le graphique1, les revenus des travailleurs tunisiens à l’étranger ont augmenté en 2014 mais restent très faibles par rapport au déficit commercial (ils auront donc du mal à remplacer les recettes touristiques).
Ainsi et le moins qu’on puisse dire, la marge de manœuvre dont dispose ce gouvernement est très étroite puisque beaucoup de facteurs qui ne lui sont pas tous exogènes lui échappent. En effet, la détérioration du déficit courant, qui a atteint 8,9% du PIB à la fin de l’année 2014, reste envisageable car très dépendant d’une éventuelle envolée des prix du pétrole, d’une non-reprise des exportations de phosphate et d’une mauvaise récolte (que ce soit dans le secteur oléicole ou du blé).
Comment combler ce besoin de financement ? Recourir à l’endettement extérieur, est-ce inévitable?

Théoriquement, deux solutions seraient envisageables :

  •  Les investissements directs étrangers pourraient jouer ce rôle, mais les investisseurs ne semblent pas se précipiter dans un climat d’insécurité, d’instabilité et d’incertitude, ce qui est tout à fait normal, si on sait, par ailleurs que l’investissement local n’est pas au rendez-vous non plus. En effet, ce dernier est non seulement en berne, mais déjà, l’investissement budgétisé a du mal à être exécuté.Si l’investissement étranger n’est pas au rendez-vous, seul l’endettement extérieur permet de combler ce besoin de financement. Toutefois, cette source de financement est très coûteuse. En effet, la dernière sortie sur les marchés internationaux a coûté cher à la Tunisie, avec le gouvernement Jomaa (un taux de 5,75% hors commissions) et d’autres sorties nous coûteront probablement encore plus cher, étant donné les attentats qui ont frappé notre pays. Les agences de notations internationales, qui font la pluie et le beau temps, il faut le dire, sont très sensibles à la violence et à l’instabilité. Même si en mars 2015, Fich Rating a révisé la note souveraine de la Tunisie de négative à stable, soit de «BB-» à «BB», n’oublions pas que cette même agence l’a abaissée, en 2013, de «BB+» à «BB- », à cause de l’intensification de la violence et de l’instabilité sociale. Ainsi, les conditions d’emprunt peuvent devenir plus dures. A titre de comparaison, l’Egypte est sortie sur le marché international, le 4 juin 2015, pour une demande initiale de 2 milliards de $, elle n’a pu prélever que 1 milliard 500 mille $ au taux de 6%. Au total, la rareté de devises fera pression sur la valeur du dinar qui reprendra sa tendance de plus en plus baissière après la bouffée d’oxygène dont il a bénéficié au premier trimestre 2015. Cette tendance aura un impact négatif sur l’inflation qui a tendance à s’installer et à « se plaire » depuis 2012 sur un plateau variant entre 5,5% à 6%. La dépréciation du dinar contribuera aussi à renchérir l’équivalent en dinars de la dette libellée en devises. Ainsi, si les activités à l’export ne redémarrent pas, il faudrait contracter de nouvelles dettes pour payer le service de la dette et aussi les salaires des fonctionnaires et non plus pour investir et produire des richesses et faire de la croissance.
  •  Ainsi plus que jamais, les Tunisiens résidant à l’étranger doivent rentrer en Tunisie en été, pour renflouer les avoirs en devises et si possible passer quelques jours dans les hôtels.
  • Les autorités doivent contrôler les excursions organisées par les tour-opérateurs locaux pour freiner l’érosion en devises, parce que comme le montre le graphique 2, l’importation des services touristiques évoluent depuis 2010 à un rythme effréné par rapport aux exportations de ces mêmes services. Le secteur des phosphates doit redémarrer de nouveau et chercher sa vitesse de croisière.Les syndicats, le patronat et l’Etat doivent négocier une trêve pour stabiliser le pays et éviter un creusement des deux déficits, courant et budgétaire (les revendications salariales ne feront qu’aggraver le déficit budgétaire). Sachant que la concomitance des deux déficits est une menace pour l’économie tunisienne en l’état actuel des choses.

 

  •  La priorité des priorités du gouvernement doit être la lutte contre le terrorisme. Le contrôle au niveau des mosquées doit être effectif. Les jeunes revenants de la Syrie doivent être répertoriés et ne doivent pas être perdus de vue. Il faut que les familles de ces « jihadistes » soient impliquées par une lourde contravention (ou toute autre lourde sanction) quand un membre de la famille se trouve impliqué dans un acte terroriste.


Bref, des mesures fortes et urgentes doivent être prises et auraient dû l’être déjà après l’attentat du Bardo. Quels genres de réformes peut-on entreprendre dans un environnement instable avec des tensions sociales et avec en prime un chaos libyen juste à nos portes ? Sachant que les institutions internationales conditionnent leur aide par l’implémentation de ces réformes qui portent notamment sur la recapitalisation des banques publiques, la refonte du code d’investissement ainsi que sur plusieurs projets de loi dont le partenariat public-privé (PPP) et la loi sur la constitution et la gestion de la société d’actifs, le mot d’ordre serait vigilance, vigilance et vigilance ... Puisque reprise économique et terrorisme ne font pas bon ménage.

F.M.C.

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