Réhabilitons la Sagesse
Le monde où nous vivons est complexe, dur et à plusieurs égards incertain. Il suscite de nombreuses inquiétudes, mais laisse entrevoir, en même temps, beaucoup d’espoir, et une multitude d’opportunités pour les peuples et les pays qui sauront en tirer profit, à condition que la sagesse humaine qui a su, par le passé, relever de grands défis, retrouve sa place en tant que qualité devant régir les comportements, à l’échelle individuelle et collective.
Je suis de ceux qui considèrent qu’il existe une forte analogie entre les grandes lois qui régissent le monde matériel et celles qui régissent le monde social. Bien entendu, cela ne signifie nullement que l’être humain, en tant qu’être social, serait réductible à une modélisation mathématique; loin s’en faut. Ce serait même, à la limite absurde.
Il est possible en revanche de conjecturer qu’il existe un parallèle entre les grandes lois qui régissent les systèmes physiques, à une échelle macroscopique, et celles selon lesquelles se comportent les individus, en société, à un moment donné et dans des circonstances déterminées.
Certains objecteront peut-être que cette analogie est admise depuis longtemps et appliquée précisément dans certaines sciences sociales. C’est ainsi par exemple, que la grande révolution qu’ont connue les sciences économiques, à partir des années vingt du siècle dernier, a consisté essentiellement en le passage de celles-ci de sciences plutôt expérimentales, basées sur l’observation et l’empirisme, selon une approche phénoménologique, à de véritables sciences utilisant les pratiques et les ressources des sciences exactes, avec l’adoption de lois et de modèles mathématiques pour les besoins de l’analyse, de l’interprétation et de la prédiction du comportement social. De même, des travaux de penseurs éminents, tels que ceux du grand chimiste belge et prix Nobel, Prigogine, se sont également intéressés à cette analogie par le passé, en utilisant le concept d’entropie qui mesure, en gros, le désordre dans un système matériel.
Tout ceci est vrai ; mais il semble néanmoins qu’il demeure là un champ immense d’investigation et de recherche susceptible d’aider à la compréhension de nombreux phénomènes sociaux et que cela dépasse le simple comportement marchand des individus.
Gare aux changements brusques
le monde physique, en particulier, nous apprend, à travers de multiples expériences que la nature a horreur des changements brusques, qu’il déteste les forts gradients, comme on dit dans un langage un peu savant. Car les changements brusques conduisent souvent à des fragilités et à des instabilités. C’est ainsi, par exemple, que la variation brusque de la température d’une barre de fer fragilise cette dernière et que le changement brusque dans l’itinéraire d’un véhicule peut conduire à son renversement.
En outre, le physicien a besoin, pour l’étude d’un système matériel, de définir au préalable un référentiel d’espace-temps dans lequel doit s’effectuer cette étude. Un changement ou un mauvais choix d’un tel espace peut conduire à des conclusions erronées.
L’histoire, qui constitue le meilleur éclaireur dans toute étude sociale, nous apprend que ces règles sont généralisables à un système social. Les sociétés supportent, en effet, souvent mal les changements brusques- les forts gradients- et toute œuvre humaine qui voudrait s’inscrire dans la durée, se doit de se placer dans un référentiel d’espace temps approprié, faute de quoi, elle se trouve vouée à l’échec et peut même parfois conduire à des résultats contraires à ceux escomptés.
Mais en même temps, l’être humain, en tant qu’agent social, de par sa complexité, n’est pas réductible à une représentation binaire, il n’est pas noir ou blanc, il ne peut être caractérisé par les seuls chiffres zéro et un ! Il est la résultante d’une constitution génétique qui lui est propre, d’un héritage historique et culturel qui lui est spécifique. Il est enfin conditionné par un environnement individuel et social déterminé, dont il n’est pas toujours maître et dont il ne peut se défaire. Tous ces facteurs contribuent à façonner l’individu et influent sur sa façon d’être et d’agir.
Néanmoins, l’individu dans sa dimension sociale s’approprie, dans une quête naturelle de repères, un ensemble de valeurs communes qui fondent précisément son identité. Si bien qu’il est à la fois unique et multiple, complexe mais partage des valeurs communes, et ce sont précisément ces valeurs communes qui en font un être social.
Ceci conduit à réfuter deux modes de comportement, générateurs de conflits inutiles et de régression, parce qu’ils contredisent précisément l’une des lois qui régissent le monde social dont on vient de parler.
Le premier consiste à ne voir que la partie pleine d’un verre et le deuxième consiste, au contraire, à n’y voir que la partie vide. Ce sont deux comportements extrêmes, et aussi bien le monde physique que le monde social, comme il est dit précédemment, supportent mal l’extrémisme. Ces deux attitudes fragilisent l’argumentation et situent ceux qui les adoptent dans des référentiels en décalage par rapport à la réalité et conduisent par conséquent à de fausses analyses, à des diagnostics erronées et donc, quelle que soit par ailleurs la qualité du raisonnement qu’on fait à partir des déductions qu’on en tire, à des solutions qui ne peuvent être les bonnes.
Eviter les positions extrêmes
Ne voir que la partie pleine du verre, conduit à une forme pernicieuse de complaisance, empêche de voir la réalité en face, confine dans une posture d’autosatisfaction stérile, et comme nous vivons dans un monde dynamique où les transformations sont extrêmement rapides, une telle attitude ne peut conduire finalement qu’au recul et à la régression.
A contrario, ne voir que la partie vide du verre conduit à se placer dans un référentiel d’espace temps en rupture avec la réalité et confine dans une posture négativiste, stérile, et en fin de compte, contre productive.
Il convient par conséquent de puiser dans l’immense champ de la sagesse pour que chacun, indépendamment de ses convictions idéologiques et de sa position, prenne la peine de respecter les grandes lois que nous enseignent l’histoire et le savoir des hommes, d’accepter la remise en question, de reconnaître et respecter l’autre dans sa diversité, et d’éviter surtout les deux attitudes extrêmes dont on vient de parler. Car, la vérité sociale n’est souvent pas unique et il est illusoire d’en revendiquer le monopole.
La sagesse nous dicte également de reconnaître qu’il y a avantage à voir tout autant la partie pleine du verre qui fournit l’énergie et l’espoir nécessaires pour aller de l’avant, que la partie vide qui incite à l’humilité, à l’effort et à la remise en question, qualités indispensables à tout progrès. En effet, toute œuvre humaine visant l’intérêt général est digne de respect, mais en même temps et quelle qu’en soit la perfection, elle reste toujours inachevée et sujette à des améliorations et des corrections possibles.
Ce n’est qu’à ce prix, en réhabilitant la sagesse, en évitant les positions extrêmes, que se fédèrent les énergies et les intelligences ouvrant la voie à une exploitation optimale des opportunités qu’offre le monde complexe où nous vivons, pour le bien de tous et pour offrir l’espoir aux générations futures, ressort de tout progrès.