La loi sur la réconciliation nationale et économique: le pourquoi d'une mesure salvatrice
Le dernier Conseil des ministres a adopté un projet de loi organique qui met en place les bases d'une réconciliation nationale sur les plans économique et financier. Ce projet vise à réunir les conditions d'un redémarrage de l'économie nationale après les déboires des quatre dernières années. Il introduit plus de rationalité dans le dispositif judiciaire en consacrant la commission vérité et dignité à la justice transitionnelle telle qu'elle a été conçue dans la plupart des pays qui ont connu des expériences similaires, et en mettant un dispositif particulier pour les affaires économiques et financières qui tient compte de la nature des infractions commises et de l'urgence de traiter ces questions compte tenu de la situation dans laquelle se trouve le pays sur le plan économique et financier, une situation qui ne permet plus d'attendre si le pays veut éviter une faillite qui pointe déjà à l'horizon..
Contrairement à ce que prétendent certains, le projet tient enfin compte de l'arsenal juridique mis en place depuis 2011. C'est d'abord un projet de loi organique, texte de même valeur juridique que le texte qui a instauré la justice transitionnelle. De plus, le projet est loin d'être anticonstitutionnel comme le prétendent ceux qui font de la justice transitionnelle un instrument de vengeance et un gagne-pain ! Et d’ailleurs, il y a des instances habilitées à juger de la constitutionnalité des lois, qui examineront en temps opportun ce projet et s’exprimeront sur sa constitutionnalité.
Le pourquoi de cette loi:
Ce projet tient compte d'une situation économique catastrophique sur tous les plans: une croissance qui n'a pas dépassé 1,5% par an durant les cinq dernières années, un volume de chômage qui ne cesse d'augmenter, des fondamentaux déséquilibrés, une inflation galopante, une baisse conséquente et chronique de l’investissement...etc.
L’augmentation de la dette publique de 40% du PIB en 2010 à 56% et peut être même plus en 2015, montre que le pays est rentré dans une spirale qui peut mener à une situation similaire à celle que connait la Grèce aujourd'hui avec en moins le soutien de l'Europe.
A l'origine de cette situation, un ensemble de facteurs au premier rang desquels se situe l'exclusion d'un nombre important d'hommes d'affaires et pas des moindres de la sphère d’activité. Ces derniers ont vu leurs activités gelées suite aux procès engagés à leur encontre et aux décisions d'interdictions de voyage dont ils ont été frappés. Par ailleurs, la bonne marche des entreprises expropriées dont le poids dans le secteur privé est assez conséquent, a été quasiment bloquée! Pire encore, elles sont devenues un fardeau pour la collectivité et ont alourdi les pertes assumées par les Banques. Côté Administration et entreprises publiques, une démobilisation totale a été observée. Ces structures ont même perdu leurs meilleures compétences poussées à la retraite ou parties de leur propre gré ne pouvant plus exercer dans un contexte hostile
Les procès intentés à l'égard des premiers responsables de ces structures ont fini par démobiliser non seulement les personnes concernées directement par ces procès, mais également leurs collègues ou ceux qui travaillent sous leur ordre qui ont peur d'être poursuivis pour un oui ou pour un non en justice. Le cas de cette Banque de la place dont l'activité de crédit a été complètement gelée parce que son personnel de la direction de crédit est tenu à répondre aux sollicitations de la justice d’une manière incessante, est plus qu'édifiant ! Il en dit long sur la situation de blocage dans laquelle se trouvent l'Administration et les Banques. Quand aux entreprises publiques, le cas de la Compagnie de phosphate de Gafsa, du Groupe chimique et des sociétés de pétrole sont à méditer. Dans un tel contexte, l’économie ne peut redémarrer que si ces structures importantes reprennent le travail dans de bonnes conditions. Et c'est là un des objectifs majeurs du projet de loi sur la réconciliation nationale et économique. En effet, ce projet en précisant que seuls les actes de corruption et de détournement des deniers publics pour compte propre restent objet de poursuites judiciaire, introduit une précision fondamentale qui encourage les cadres à reprendre l'initiative et les sécurise dans l'exercice de leurs fonctions.
Le contenu et la constitutionnalité de cette initiative :
L'initiative vise trois catégories: la première catégorie concerne les agents publics ou assimilés poursuivis dans des affaires de ce que l'on appelle abusivement « FASSAD » pour lesquelles la loi distingue entre les cas de corruption avérée et de détournement de fonds publics pour compte propre qui resteront objet de poursuite judiciaire, et le cas de ceux qui n'ont tiré aucun bénéfice des affaires pour lesquelles ils sont poursuivis, qui ont été simplement objet de pressions et qui ont cédé compte tenu des risques qu'ils encouraient ainsi que leur familles à cause de ces pressions. Pour ces derniers, la loi prévoit un abandon des poursuites et nul doute que ces derniers se mettront à la disposition de l'Etat pour sauver ce qui peut-être encore sauvé !
Pour les autres catégories et en particulier les hommes d'affaires, la loi prévoit une procédure de transaction qui serait menée par une commission composée des différentes parties concernées y compris la commission vérité et dignité et siégeant auprès du Chef du gouvernement.
Pratiquement, la personne concernée présente une demande qui est examinée par la commission et celle-ci statue sur la demande, évalue les préjudices et décide du montant de la pénalité exigée. Le montant collecté servira à financer les projets d'infrastructure et les programmes de développement régional qui sans ces ressources additionnelles, resteront encore pour plusieurs années dans les tiroirs !
En ce qui concerne la constitutionnalité de cette initiative et contrairement à ce que prétendent certains, le texte présenté au Conseil des ministres est tout à fait conforme à la hiérarchie des lois telle que le prévoit la constitution. C’est d'abord une loi organique de même catégorie juridique que celle qui a défini le contenu de la justice transitionnelle et donc l'amendement est tout à fait légale. Quand à la référence de la constitution à la justice transitionnelle, elle ne fait qu'instaurer le principe renvoyant à une loi organique, le soin d'en définir le contenu. Or l'initiative de réconciliation ne touche pas le principe de la justice transitionnelle, elle apporte quelques retouches au contenu .
L'initiative est loin donc d'être anticonstitutionnelle et de toutes les manières, encore une fois, il est bon de rappeler qu’’il y a des structures dont le rôle est de traiter de la constitutionnalité des lois et qui statueront au moment opportun.
Dans l’intérêt suprême de la Tunisie et afin de réunir les conditions de la relance économique du pays, nous pensons objectivement qu’il est fondamental d’avoir le courage politique nécessaire et le sens de l’Etat et de la haute responsabilité pour pouvoir tracer le cap et assurer LA vraie transition tout en réglant les affaires du passé dans la transparence et la primauté du droit. Il ne s’agit en aucun cas de blanchir les malfaiteurs de l’ancien régime mais d’assurer plus de probité et d’efficience dans le traitement des dossiers tout en plaçant l’intérêt de la Tunisie au dessus de tout esprit de vengeance ou tentatives de soumission à des transactions malsaines profitant aux «nouveaux privilégiés» de la République et même à certains partis politiques qui se reconnaîtront!
Dr Moez Joudi
Président de l’Association Tunisienne de Gouvernance (ATG)