«Ravages» de Mouldi Kefi
Vous connaissez l’ambassadeur, passé ministre des Affaires étrangères, dans le gouvernement Béji Caïd Essebsi, au lendemain de la révolution en 2011. Vous apprécierez le nouvelliste. Mouldi Kéfi est en effet revenu à son violon d’Ingres, comme il nous écrit de Prague : « gribouilleur des nouvelles ». L'une d'elles a été retenue par Edilivre- France qui l'a récemment publiée dans une compilation de 100 nouvelles dans le cadre de son concours annuel " 48 heures pour écrire ".
Il a accepté de gratifier les lecteurs de Leaders de l'une de ses récentes nouvelles, intitulée « Ravages », d'une actualité brûlante. Titulaire d'une maîtrise en philosophie de la faculté de lettres de l'université de Strasbourg, il n’a cessé d’affûter une plume aussi raffinée que poétique. Ses passages en postes diplomatiques à Prague, Berlin Est, Moscou et Londres, puis en tant qu’ ambassadeur de Tunisie au Nigeria (1990-1994), en Russie (1996-1999) et en Indonésie (2002-2005), lui ont permis d’élargir ses horizons et d’enrichir sa culture.
L'ambulance roulait à vive allure sur le bitume glissant. Les roues s'engluaient dans les crevasses remplies d’eau. C'était la saison des pluies et depuis trois jours, les trombes continuaient de s'abattre sur Freetown. Le soleil a complètement disparu derrière les nuages menaçants. Le bruit strident de la sirène déchirait le silence de la nuit africaine, chaude et humide. Les rafales d'eau fouettant le pare-brise du véhicule sanitaire aveuglaient le conducteur. Il peinait à trouver son chemin dans les dédalles mal éclairées de la ville.
Après avoir roulé près de deux heures, qui lui semblèrent une éternité, il aperçut enfin, sur sa droite les lumières de l'aéroport et s'engouffra dans le sentier cahoteux qui le mena jusqu'à la piste où un petit avion attendait. Plusieurs personnes habillées comme des extraterrestres étaient au pied du Falcon 900 LX. Le chauffeur donna un coup de frein brusque, ouvrit la portière, sauta de l'ambulance et se dirigea vers l'arrière du véhicule. Lui aussi portait la même combinaison que le groupe qui se trouvait déjà sur place.
On extirpa de l'ambulance une sorte de bulle en verre ressemblant plus à une torpille qu'à une civière. Elle fut placée sur un chariot puis dirigée vers l'appareil dans lequel on l’engouffra. Du cockpit, le pilote et son second regardaient avec une curiosité teintée de peur la scène qui se déroulait en bas. Les consignes étaient strictes: en aucun cas, ils ne devaient quitter leur siège. Sans vêtements de protection, ils étaient sûrs d'attraper la crève. Même l'air autour de leur carlingue pouvait être dangereux pour eux. Il ne fallait surtout pas plaisanter avec la Nouvelle Peste Noire du XXIème siècle!
Dans la bulle aseptisée dans laquelle on le rapatriait vers Paris, le patient eut la sensation de planer hors du temps. Après avoir été trimbalé pendant plusieurs heures, il pouvait enfin se reposer. Il était certes très fatigué, mais il acceptait stoïquement sa situation. Il ne ressentait aucune douleur physique, pourtant il avait la sensation que son corps se vidait.
Pendant les deux semaines qu'il venait de passer en Sierra Leone, Dr. Hakim Ali avait vu des dizaines de malades perdre leur sang jusqu'à épuisement et puis succomber à ce nouveau fléau qui a frappé l'Ouest de l’Afrique. Comme si les guerres civiles qui ont ravagé la région pendant des décennies (et le terrorisme qui est apparu récemment au Nigéria avec la secte terroriste Boko Haram) ne suffisaient pas!
Il était convaincu que son heure était venue.
Comme dans un rêve, le film de sa vie commençait à se dérouler devant lui. Il se voyait petit garçon avec son tablier d'écolier et son cartable sur le dos, aux mains de son père l'escortant pour la première fois à l’école. Il avait laissé sa maman à la maison et en pensant à elle et à ses yeux rougis, son cœur se serrait. Il se mordait la lèvre pour ne pas pleurer. Vingt ans plus tard, ses parents étaient à ses côtés quand il soutint son doctorat sur les maladies tropicales contagieuses. Cette fois, les larmes de sa mère étaient de joie. La fierté se lisait dans ses yeux embués.
Lorsqu'il avait appris il y a deux mois qu'Ebola décimait les populations de certaines contrées de ce continent qu'il aime tant , et où il s'était rendu plus d'une fois surtout en voyages d'études , il n' a pas hésité à demander à y revenir afin d'aider ses collègues sur place à éradiquer ce fléau ou du moins à réduire les ravages causés par la maladie qui s'est propagée dans la sous-région comme un feu de brousse . Il espérait vaincre le virus comme ses collègues l'avaient déjà fait au Congo où il était pour la première fois apparu il y a près de vingt ans.
Son père lui disait souvent que le courage s'illustre en servant le malheur. En redonnant espoir à des petites gens vivant dans une précarité révoltante et en allégeant leurs souffrances, il ne faisait que son devoir en respectant le serment d'Hippocrate et en plus, il réalisait son propre bonheur. Son altruisme était enquelque sorte une forme d’égoïsme. A son épouse qui lui reprochait son audace de s'embarquer dans une aventure aussi périlleuse, il répondait invariablement qu'être courageux, ce n'est pas être audacieux mais vertueux.
Il voulait aussi prouver que parmi les français convertis , il n' y a pas seulement des "coupeurs" de têtes qui ont subi un lavage systématique et pernicieux de cerveau à la manière des jeunes des années 70 devenus des marionnettes entre les mains des gourous des sectes . Sa vocation à lui est de sauver des vies et non pas d'en faucher. Il laisse cette activité macabre aux lâches et aux désaxés. Les idéologues qui les ont formatés avec leurs sermons haineux sous couvert de prosélytisme pour en faire des assassins (les nouveaux "Hashashins") qui ne tuent que sous l'effet de la drogue d’ailleurs, n'ont rien à voir avec la religion musulmane.
Leurs prêches appelant à tuer les infidèles ne sont pas sans rappeler ceux de certains télévangélistes américains. Mais à la télévision, est venu s'ajouter un puissant média qui permet aux nouveaux bigots de toucher le plus grand nombre possible de jeunes déboussolés. Les chaines satellitaires financées par de riches oligarques rétrogrades et soutenus par des régimes qui ont peur de la lumière de la démocratie et de la liberté, fleurissent comme des champignons et font des ravages parmi la jeunesse de nombreux pays.
Les guerres de religions ne datent pas d’hier. Elles remontent à la fin du premier Millénaire lorsque des Papes illuminés et assoiffés de richesses décidèrent d'aller guerroyer au Moyen - Orient, afin soit - disant de libérer le Saint Sépulcre des mains des " Infidèles «. Pendant les croisades, ce terme à connotation péjorative désignait ainsi les Musulmans. Plus tard, il fut employé par l'Inquisition pour stigmatiser les Maures et les Juifs.
Aujourd’hui, les fanatiques islamistes l'utilisent contre tous ceux - fussent- ils musulmans - qui ne partagent pas leurs dogmes extrémistes, lesquels sont aux antipodes de ce que prêche l’Islam, symbole d'amour et de tolérance à l'instar d'ailleurs des deux autres religions monothéistes, le Judaïsme et le Christianisme. Le Coran accorde à Moïse et Jésus le statut de prophètes au même titre qu'Abraham et Mohamed (que le salut d'Allah l’accompagne). Il ordonne également aux Musulmans de respecter et de protéger la vie et les biens des gens du Livre.
Malheureusement et au même titre que tous ceux qui avaient utilisé auparavant la foi des gens crédules pour les dominer, les faux dévots des temps modernes n'emploient le sacré que pour assouvir leurs bas instincts profanes : pouvoir, argent et sexe. Frustrés, refoulés et obsédés, ils ont besoin d'un Freud pour analyser et comprendre leur comportement morbide.
Les pauvres bougres endoctrinés qu'ils envoient au front comme chair à canon, ne représentent pour eux qu’une source supplémentaire d’enrichissement, une marchandise au même titre que la traite des blanches, le trafic de stupéfiants ou la vente des armes. Les souffrances qu'ils causent aux vieilles mères éplorées et aux veuves esseulées sont le cadet de leurs soucis. Et ils osent affirmer, sans vergogne, qu’ils agissent au nom d'un Dieu qui appelle à l'amour du genre humain et d'une religion qui ordonne de ne point tuer son prochain.
Dr. Hakim Ali avait épousé l'Islam par amour. Lorsque son chemin avait croisé sur le parvis de l'Esplanade à Strasbourg, il y a près de cinq ans, celui de celle qui allait devenir la compagne de sa vie, le jeune étudiant Alain avait immédiatement su qu'ils étaient destinés l'un pour l’autre. Seulement voilà, elle était tunisienne issue d'une famille musulmane traditionnelle. Ses parents ne voyaient aucun inconvénient à ce qu'elle convole en justes noces avec celui qu'elle s'est librement choisie à la seule condition qu’il devienne musulman. Il n'eut aucune hésitation à franchir le pas. Il changea de prénom et de religion. Il ne l'a d'ailleurs jamais regretté.
Allongé dans la bulle transparente, le médecin ressentait sous son dos le ronronnement diffus des moteurs de l’avion, mais ne l’entendait pas. Ce qu'il écoutait maintenant c'est la douce musique, suave et mélodieuse ayant bercé son premier slow dans les bras de sa dulcinée. C'était un 31 décembre, et plusieurs étudiants avaient décidé de fêter ensemble le Nouvel An dans une sympathique discothèque de la Place du Corbeau non loin de la célèbre Cathédrale de la capitale mondiale de la choucroute.
Elle était assise à une table avec trois autres filles. Lorsque ses copines furent invitées à aller sur la piste pour danser, elle demeura toute seule, sirotant un Coca-Cola. Sa longue chevelure noire couvrait son front et elle avait les yeux baissés. Depuis un moment, il la scrutait intensément. Il ne pouvait pas détourner son regard de ce beau visage qui lui rappelait Claudia Cardinale ou Gina Lollobrigida des années 60.
Il sentait qu'elle était mal à l'aise et son air triste et timide lui fit un effet qu'il n'avait jamais ressenti auparavant. Son cœur se mit à battre et il hésita à aller lui demander de danser avec lui. Puis, elle releva la tête et vit qu'il lui souriait. Elle esquissa un faible sourire et il pensa tout de suite à la Joconde: Mona Lisa! pensa-t-il. Diantre, s'exclama-t-il, mais c'est l'étudiante que j'ai vue il y a deux semaines en sortant de la Faculté et qui est partie en courant pour monter dans le bus ! Ses cheveux de jais sont restés gravés dans sa mémoire. Et elle là assise, en chair et en os, à quelques mètres ...
Il prit son courage à deux mains et se dirigea vers le box où elle était installée. Au moment où elle portait sa limonade à ses lèvres, il l'apostropha : " vous voulez danser, Mademoiselle ? "Elle marqua un temps, hésita sur la réponse à donner, posa son verre et finit par se lever. Ses joues étaient en feu. Aucun son ne sortit de sa bouche."
"Je parie que vous êtes étudiante", lui lança-t-il. Elle opina de la tête.
"Pour être honnête, je vous ai vu quitter la Faculté il y a quelques jours et comme je suis physionomiste, je n'oublie jamais un visage, surtout s'il est aussi ravissant que le vôtre ! "Elle essaya de se dégager de son étreinte pour revenir à sa place. Il comprit immédiatement qu'il est allé trop loin et qu'elle n'est pas le genre de fille à se laisser facilement embobiner. Il lui demanda de l'excuser si elle s'est sentie offusquée."
"Pour me faire pardonner ma goujaterie, voulez-vous que je vous offre à boire ?" lui murmura-t-il à l’oreille.
"Non, merci, je n'ai pas soif" répondit-elle.
Son accent, en roulant le "r" était celui d'une étrangère. Une voix douce presque inaudible, qui lui fit oublier la musique ambiante et le brouhaha qui les enveloppait.
" Vous n'êtes pas française ? " demanda-t-il nonchalamment.
" Non ».
" Italienne , alors , ou Espagnole ? Peut-être Portugaise ? "
" Je suis Tunisienne " .
La Tunisie. En repensant au pays natal de sa femme, il se dit qu'ils sont peut-être en train de le survoler à ce moment même. Il se rappela de son arrivée à l'aéroport de Tunis- Carthage et de l'accueil plutôt réservé et de la curiosité dont il fut l'objet de la part de la famille de celle qui était désormais sa petite amie. Accompagné de ses parents, ils étaient venus demander officiellement la main de Malika Yacoubi.
La première chose à faire, et la plus importante aux yeux du père de la jeune fille, était de se rendre au bureau du Mufti afin que son futur gendre obtienne une attestation de sa conversion. Elle sera exigée par l'Imam qui unira religieusement les deux époux et par le Maire qui consacrera le mariage civil. La coutume veut que la première cérémonie annonce les fiançailles alors que la seconde précède les noces proprement dites.
Une certaine période sépare généralement les deux événements. Pourtant les deux familles avaient convenu, pour des raisons d'ordre pratique de célébrer les fiançailles et le mariage dans la même journée. Malgré son flegme légendaire, Alain était un peu nerveux. Ses parents donnaient l'impression de se trouver égarés dans un monde à la fois étrange, envoutant et féérique, celui des " Mille Et une nuits".
Ils connaissaient déjà Malika à laquelle leur fils avait donné le sobriquet de " Shéhérazade », mais en France, elle s'habillait et se comportait comme une européenne et rares étaient ceux qui pouvaient deviner qu'elle n'était pas française. Dans ses habits traditionnels dont on l'avait affublée pour sa nuit nuptiale, elle était presque méconnaissable. Tous les siens portaient également un accoutrement assez beau et élégant , mais un peu bizarre pour le vieux couple alsacien .
Aux habits exotiques et aux bijoux rutilants , s'ajoutaient la musique bruyante , les effluves de l'encens , le parfum du musc et du jasmin qui emplissaient l'air ainsi que les mets épicés et les nombreux gâteaux au miel dont les invités s'empiffraient . Le tout arrosé non seulement avec des boissons gazeuses (destinées aux femmes et aux enfants) mais aussi avec quelques bouteilles et cannettes bien corsées . De la bière, des vins blanc, rouge et rosé .
Devant la surprise de leurs invités européens , le beau-frère de Malika leur expliqua que la vigne est cultivée par les Tunisiens depuis plus de deux mille ans et que les conquérants musulmans venus d'Arabie ne l'ont jamais arrachée . Les premiers ouvrages d'œnologie avaient été rédigés à Carthage par l'agronome Magon . Commentant la situation prévalant en Tunisie depuis les élections du 23 octobre 2011, Slim ajouta sur un ton de défiance , que si les « barbus » extrémistes habillés en «kamis » et sandales venus des grottes moyenâgeuses de Tora Bora comptent abolir cette tradition trois fois millénaire , ils s’enfoncent le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Et même au-delà …
Mais ce qui les attendait tard dans la nuit allait leur faire oublier toutes les surprises qu'ils ont rencontrées depuis leur arrivée sur le sol tunisien . Alors qu'ils allaient sombrer dans un sommeil profond , les " youyou" reprirent de plus belle . Au moment où ils allaient se lever , la mère de Malika fit irruption dans leur chambre et exhiba un petit drap taché de sang . Toute la fierté du monde se lisait dans ses yeux .
En pensant à cet épisode croustillant de sa nuit de noces et à la réaction de ses pauvres parents , Hakim Ali sourit malgré la situation dans laquelle il se trouvait . Il se rappela du premier baiser qu'il parvint à arracher à sa nouvelle copine et du mouvement d'effroi qu'elle eut quand il chercha à aller plus loin . Elle le regarda droit dans les yeux et lui asséna tout de go " tu ne toucheras à mon hymen que lorsque nous serons réunis pour le meilleur et pour le pire devant le Tout - Puissant . Si tu veux autre chose tout de suite , tu peux toujours aller le chercher ailleurs ! " .
C'est qu'elle ne mâchait pas ses mots la douce , mais néanmoins farouche arabe ou était-elle Berbère comme elle le lui avait dit lorsqu'ils étaient en voyage de noces au Maroc . En visitant le centre de Fez , ils se sont arrêtés devant une sorte de mausolée . Sa jeune épouse lui avait alors montré un " thabout " - genre de catafalque - recouvert d'un drap vert orné d’arabesques dorés à l'intérieur duquel repose un saint du nom de "Sidi Yacoub" , originaire du Sahara Occidental , et dont des descendants avaient émigré en Tunisie il y deux siècles . D'où son nom de famille Yacoubi avait-elle alors précisé.
Fez et Marrakech ; l'hôtel cinq étoiles où ils avaient passé des moments de volupté, lui reviennent à l’esprit. Jamais il ne s'était imaginé que sa douce moitié, tellement réservée pendant la journée pouvait se transformer en véritable furie la nuit venue. Il avait connu tant de filles avant de se caser, mais c'est sa femme qui lui a fait découvrir le vrai sens de l'amour sous tous ses aspects, y compris charnel.
Avec elle, il avait l'impression de revivre tous les jours la même expérience vécue lors de leur première nuit. Même après la naissance de leur premier bébé, il lui semblait qu'elle n'avait pas encore perdu sa virginité ! Peut-être que Shahrayar avait-il laissé la vie sauve à Shéhérazade, non pas parce qu'elle le transportait avec ses contes dans des mondes merveilleux mais qu'elle s'ingéniait à le porter au septième ciel avec des gestes voluptueux mieux qu’aucune autre femme ne l’ a jamais fait. Cet art doit être inné chez les belles brunettes nées sous le soleil de la Méditerranée ...
Malika lui a donné un joli poupon prénommé Amira, âgée de deux ans. Et s'il s'accroche à la vie plus que jamais aujourd’hui, c'est surtout pour elles, sa Reine et sa Princesse. Après sa courte expérience avec Ebola ces dernières semaines, il savait que ses chances d'en réchapper étaient minimes. Mais il gardait néanmoins espoir. Autant que la peur, l'espoir est certes l'ennemi du courage, toutefois peut-on vivre sans lui ?
L'atterrissage du Falcon à l'aéroport du Bourget le sortit de sa torpeur. Après le long voyage de plus de dix heures, la bulle en verre fut transportée dans un hôpital parisien où les médecins allaient essayer sur leur collègue un nouveau vaccin qui avait déjà donné des résultats probants en Espagne et aux Etats - Unis. Le patient fut placé en quarantaine dans un pavillon isolé. Malika lui rendait visite tous les jours et même s’il lui était interdit de pénétrer dans la chambre où son mari était allongé, elle devait porter une combinaison pour la protéger de tout risque d’être contaminée. Elle était dans le couloir à regarder par la porte vitrée comment les médecins inoculaient la double dose du sérum dans ses veines.
Il ne lui restait plus qu’à prier, ce qu’elle fit avec ferveur et dévotion. Elle invoquait sans cesse le Tout-Puissant et psalmodiait en silence des versets du Saint-Coran assise sur une chaise immaculée au chevet de son époux. On lui avait en effet permis, au bout d’une semaine, de le veiller, jugeant qu’il était désormais hors de danger.
Leurs parents, dans le couloir, avec Amira riant et courant de l’une à l’autre de ses grand-mères attendaient en espérant qu’un miracle se produise. Ils égrenaient des chapelets presqu’identiques en priant le même Dieu et en sollicitant l’intercession auprès de Lui de leurs prophètes respectifs.
Et le Seigneur exauça leurs vœux !
En ouvrant les yeux, Dr. Hakim Ali les leva doucement vers Malika. Celle-ci le regarda tendrement et sourit. Il revenait de loin son baroudeur de médecin !
Lorsqu’il lui avait donné le sobriquet de « Shéhérazade » au début de leur
Rencontre, elle fit de même en l’appelant «Hakim» au lieu d’Alain. Elle lui expliqua que cela voulait dire à la fois «sage» et «médecin» en arabe. Au moment de sa conversion, son futur beau-père avait insisté pour qu’il porte le prénom d’Ali car il avait toujours souhaité avoir un fils qu’il prénommerait ainsi en souvenir de son propre père. Le gendre décida alors d’accéder à sa demande tout en ne se fâchant pas avec sa douce moitié.
En quittant sa chambre, quelques jours plus tard, Malika le tenant par les bras, il fut surpris par l’accueil chaleureux qui lui fut réservé par le personnel de l’hôpital. On le considérait comme un héros. Chaines de radios et de télés voulaient l’interviewer. Il était presque gêné mais n’éluda aucune question. A un journaliste qui lui demandait la raison qui l’avait poussé à risquer sa peau pour sauver d’autres vies dans des contrées lointaines, il cita le poète russe Evgueni Yevtushenko qui avait écrit « un jour, la postérité se rappellera de cette période étrange, de ces temps bizarres où l’honnêteté ordinaire et simple était appelée courage ».
Il avait hâte de prendre sa fille dans ses bras. Elle lui a tellement manqué ces dernières semaines. Elle le vit et vint se blottir contre lui. Il la souleva avec amour et l’embrassa sur la joue en la serrant très forte. Elle enroula ses petits bras autour de son cou, posa son visage sur son épaule en lui chuchotant à l’oreille «papa, je t’aime !» .