« It's politics, stupid! »
A mon article paru voilà deux semaines sur Leaders, intitulé « Pleins pouvoirs au Président », j’ai reçu, curieusement, de nombreuses réactions téléphoniques. Je classerais les intervenants en trois catégories :
- Ceux qui argumentent que le Président a déjà les pleins pouvoirs et qu’il n’a pas besoin de plus pour « avoir les mains libres » ;
- Ceux qui affirment que lui donner les pleins pouvoirs, c’est les donner à son « entourage » qui, sinon d’en abuser, les utilisera du moins à mauvais escient.
- Ceux, ineffables et ineptes, qui pensent que j’ai écrit un article « dans le sens du poil ».
J’ai pourtant bien souligné que cette proposition « est présentée quel qu’aurait été le nom du Président, du moment qu’il est élu par le peuple », tout en insistant sur le fait que « cette forme de gouvernance, restreinte dans le temps, est destinée à assumer pleinement sa double fonction de commandant en chef et de réformateur en chef » et « qu’il s’agit ici d’une attribution précise, légale mais à caractère exceptionnel ».
Je savais que le caractère un brin provocateur de cet article allait entrainer quelques réactions primaires, mais c’est le droit de chacun de penser ou de commenter comme il l’entend.
Le fait est que BCE, bien avant les élections, a soupesé le poids respectif des forces politiques qui auront à le soutenir ou à s’opposer à lui. Se détachaient largement et avec évidence le parti Ennahdha, en tant qu’opposition politique et idéologique majeure et l’UGTT, en tant qu’opposition « sociale et économique », plus ou moins appuyée par la quatrième force électorale issue des législatives, le Front Populaire.
BCE a vite saisi qu’il lui serait périlleux de conduire le pays en ayant simultanément ces deux oppositions face à lui. Mais il savait aussi qu’elles étaient, par nature, irréconciliables : si elles ne pouvaient pas s’unir toutes les deux avec lui pour faire traverser au pays le gué de l’instabilité, du déclin et de tous les dangers, il était très difficile qu’elles puissent s’allier contre lui.
Il lui fallait donc faire un choix. S’inspirant du modèle algérien récent, il a choisi la stabilité politique et la sécurité en s’alliant à Ennahdha, étant convaincu qu’il pouvait trouver, dans un second temps, un modus vivendi avec les « forces sociales ». A-t-il eu tort ? A-t-il eu raison ? Seule l’Histoire le dira. Avait-il la possibilité, par tempérament ou par nécessité, de confier le chantier socio-économique à un homme au dessus du lot, ayant à la fois la loyauté, la qualification et l’autonomie nécéssaires pour conduire un gouvernement resserré, compétent et efficace, sans trop céder aux jeux des alliances? Je pense que oui, sinon, il songe déjà sûrement à corriger le tir avant l’hiver prochain. Car si sa légitimité électorale est incontestable, cela ne suffit pas ; elle devra être confortée par sa réussite aux plans politique, social et économique. A défaut, elle serait inexorablement érodée.
Face à tout cela, lors des dernières campagnes législative et présidentielle, tous les candidats n’avaient d’autres objectifs, selon leurs propres dires, que d’œuvrer pour la concorde nationale, travailler pour la cohésion de la société et son essor, défendre la souveraineté du pays, s’unir contre les “actions barbares” dont ont déjà été victimes de nombreux tunisiens, civils, soldats et policiers… et bien d’autres promesses.
Aujourd’hui, si l’opposition (celle qui qui a perdu les élections, car il y a l’autre, celle qui participe au pouvoir et qui est à l’affût), si l’opposition donc a tout à fait le droit de contester la gouvernance, les prises de décision, les maladresses ou les incapacités du pouvoir en place, il serait utile qu’elle adopte une posture constructive, en proposant des alternatives, et surtout, en tenant sa promesse de consolider la sacro-sainte concorde nationale. C’est dans ce cadre qu’il s’avère utile et patriotique de soutenir le Président, afin de surmonter, ensemble, les difficultés du pays.
Les chicaneries sur les déclarations de Sarkozy, les infamies sur la banalisation de l’acte de brandir le drapeau noir, les petitesses sur la pertinence des mesures prises par le Gouvernement ou sur l’opportunité de proclamer l’état d’urgence, les critiques sur le mur de protection dans le sud tunisien, tout cela n’est que petite politique au ras des pâquerettes
Alors, à tous ceux qui ont compris mes écrits à l’envers, je finirai en parodiant le mot d’un grand politique contemporain en leur disant : « It's politics, stupid! »
Taïeb Houidi