Michel Foucault en Tunisie
«J’étais venu en Tunisie à cause des mythes que tout Européen se fait actuellement de la Tunisie : le soleil, la mer, la grande tiédeur de l’Afrique, bref, j’étais venu chercher une thébaïde sans ascétisme.
A vrai dire, j’ai rencontré des étudiants tunisiens, alors ça été le coup de foudre. Il n’y a probablement qu’au Brésil et en Tunisie que j’ai rencontré chez les étudiants tant de sérieux et tant de passions si sérieuses, et ce qui m’enchante plus que tout, l’avidité absolue de savoir».
Ce fervent éloge est signé Michel Foucault. Tiré d’une interview publiée dans La Presse de Tunisie en avril 1967, il figure en 4e de couverture du dernier numéro de la revue américaine CELAAN. Organe du Centre d’Etudes des Littératures et des Arts d’Afrique du Nord basé au Skidmore College (Saratoga Springs, New York), cette revue qui publie des articles en anglais et en français, est dirigée par un de nos compatriotes, le professeurHédi Abdel-Jaouad, auteur de plusieurs ouvrages dont le célèbreFugues de Barbarie, Les écrivains maghrébins et le surréalisme.
Après avoir consacré tout un numéro en 2013 à son collègue tuniso-canadien Hédi Bouraoui ( Hédi Bouraouietl’écriturePluriculturelle) sous la direction de Abderrahman Beggar, le professeur Abdel-Jaouad s’intéresse de nouveau à notre pays. Le dernier numéro s’intitule en effet ‘Michel Foucault en Tunisie’.
Le philosophe français, on le sait, avait enseigné à l’université de Tunis pendant deux ans(1966-1968). Cette jeuneinstitution était alors en pleine effervescence à la suite d’un large mouvement de contestation estudiantine. Michel Foucault avouera plus tard avoir été «profondément impressionné par ces filles et ces garçons qui s’exposaient à des risques formidables en rédigeant un tract, en le distribuant ou en appelant à la grève. Ce fut pour moi une véritable expérience politique».(p.3)
Comme on le devine, les interventions dans ce numéro n’ont pas manqué de souligner l’influence de ce séjour dans les écrits du philosophe. Si, pour Gérard Deledalle, son collègue à Tunis ce passage en Tunisie fut un ‘tournant’ où le philosophe délaissa le structuralisme pour l’analyse pragmatique (note n°11, p.41), pour Hédi Abdel-Jaouad, la ‘halte tunisienne’ a été déterminante dans le développement de la carrière du philosophe. Elle «ne fut, dit-il, ni fortuite, ni capricieuse mais plutôt stratégique», l’occasion «non seulement (de) marquer son passage de la périphérie vers le centre, mais aussi (de) consacrer le triomphe du structuralisme au dépens de cet existentialisme dont il devient le fossoyeur». (p.1)
Dans son analyse intitulée ‘Multiple Foucault’, Abdel-Jaouad a évoqué la tension qui existait alors au pays et le jeu du pouvoir en place, responsable d’un climat d’intolérance etd’incompréhension au sein de l’université, poussant Foucault à «entamer un tournant politique aussi surprenant pour lui-même que pour ses amis, allant jusqu’à s’instituer défenseur de la cause estudiantine en Tunisie» (p.3)
Outre le vibrant témoignage de Jalila Hafsia et ses épanchements nostalgiques tirés de son livre Instants de vie. Chronique familière, Tunis, 2012, vol.IV, le lecteur trouvera dans ce numéro une profusion de détails sur Michel Foucault fournis par ses anciens étudiants dontAhmed Hasnanoui, Jamila Ben Mustapha, Rachida Triki, Fethi Triki, Zeineb Ben Saïd Cherni, Sayed Mazouz et le regrettéAhmed Othmani décédé en 2004 (Voir : http://www.leaders.com.tn/article/7676-ahmed-othmani-une-vie-militante ).
Parmi les articles scientifiquesen anglais qui, soit dit en passant, ne manquent pas de conférer à cette revue ce ‘caractère universel’qui la qui rend si précieuse, celui de Mischa Benoit-Lavelle, ‘Foucault in Tunisia : chronological essay’ est un travail remarquable et exhaustif, agréable à lire. L’auteur, journaliste de profession, a séjourné à Tunis en tant que chercheur au Centre des Etudes Maghrébines relevant de l’American Institutefor Maghribi Studies. Nous en recommandons très chaudement la lecture.
CELAAN, Michel Foucault En Tunisie (1966-1968), vol. 12, Number 1 & 2, Spring 2015
Rafik Darragi
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