Bourguiba : Une Statue et un Statut

Depuis les  élections de 2014 et le succès des « Bourguibistes », des voix s'élèvent pour remettre la statue équestre de Bourguiba à son lieu d'origine. Il se trouve que sa place actuelle (La Goulette) nous rappelle un merveilleux moment de la Tunisie moderne: le 1er juin 1955, ce jour ou une foule immense est venue accueillir si Lahbib. Ce retour triomphal était une véritable fête, une victoire d'un peuple qui aspire à la liberté et la dignité. Bourguiba monté sur son cheval était devenu le chef naturel de l'étape à venir et pendant trente ans a incarné le pouvoir en Tunisie.                                                                                                                         

Le Président Bourguiba a dirigé le pays certes avec fermeté et passion mais aussi l’intelligence de laisser travailler les professionnels. Ainsi durant les deux premières décennies malgré des épisodes douloureux, l'enthousiasme a fait avancer les choses, les intervenants avec peu de moyens et une expérience limitée ont réussi de belles prouesses dans beaucoup de domaines.

Sur le plan politique, dès les premiers jours de l'indépendance, acquise  moins d'un an après ce retour, des étapes de la démocratisation ont été franchises: Emancipation de la femme, proclamation de la République rédaction d'une constitution moderne. Sur le plan social et économique bien de réalisations ont vu le jour. A l'époque les médias faisaient l'éloge du travail et du savoir.

Malheureusement au milieu des années soixante-dix, les choses ont commencé à changer, le processus de démocratisation de la société était remis en cause avec notamment la présidence à vie octroyée à Bourguiba. Le culte de la personnalité était matérialisé par la statue équestre du Président sur la place 3 aout 1903.

En janvier 1978, en écoutant sur France inter le premier ministre tunisien de l'époque Feu Hedi Nouira s'exprimer sur les tristes événements du jeudi noir, j'étais sidéré par une réponse qu'il a faite au journaliste. Quand ce dernier l’interpela sur la gravité de tirer sur la foule, le deuxième personnage de l’Etat a répondu tout simplement que cette décision le dépassait. Nous étions désormais une autocratie affirmée, acceptée par la classe politique et matérialisée par la statue du Président Roi sur son avenue.                           

Après cet épisode, on espérait que les choses allaient évoluer avec les élections de 1981. Malheureusement le parti du président à vie ne pouvait pas partager le pouvoir. Les élections étaient  falsifiées ce qui a entrainé le pays au chaos avec la révolte du pain. En ce 3 janvier 1984 encore une fois des tunisiens tiraient sur des tunisiens. Pendant des semaines la ville s'endormait des 8 H du soir, couvre-feu oblige, l’économie aussi et le pays est allé tranquillement à la banqueroute en 1986. Comme pour masquer une réalité pénible les medias aux mains des « Bourguibistes » accentuaient l'éloge du combattant suprême et ses réalisations. Ils on fini par ternir la fin de son règne et amener le régime de Ben Ali. La statue a été finalement déboulonnée.

Aujourd'hui, d’autres « Bourguibistes » voudraient la remettre a sa place initiale, j'ai juste envie de leur dire : laissez-le reposer en Paix, cette façon de l'aimer lui a fait tellement de mal vivant. Pour se rendre compte de ce qu'il a subit ; il suffit de comparer les treize années qu'il a passées après la présidence (1987-2000) avec les treize ans vécus  par Mandela après son unique mandat présidentiel (2000 -2013).
 Aujourd’hui Nida avec ses 39% aux dernières élections est arrivé aux premières loges du pouvoir. A l'instar d'Ennahdha et ses 38% en 2011 qui a opéré des changements dans son discours, ce courant de pensée a une occasion historique de se remettre en cause, la possibilité de réussir là ou il a échoué en 1971 au congrès de Monastir et après le changement de 1987 soit de construire enfin un parti démocratique. Il y va de son intérêt et de l'intérêt de la Tunisie. Ce scénario est préférable à celui de la remise en cause du processus démocratique engagé et surtout de la justice transitionnelle que le projet de loi de la réconciliation proposé par la Président de la république cherche à dépasser.

Cette justice transitionnelle est une solution trouvée par l'Humanité représentée par les nations unis en 1948 pour aider les sociétés à se débarrasser des rancœurs. Elle constitue une véritable psychanalyse dela société et il est normal qu'elle angoisse certains. C'est une expérience difficile qui a besoin de temps pour se mettre en place. Excepté l’expérience marocaine car la décision du Roi feu Hassan II en 1999 elle a toujours demandé plusieurs année de préparation du terrain. Elle a besoin d’un climat politique apaisé et beaucoup de préparatoires avec notamment une couverture constitutionnelle.
 Certains donnent l'exemple de la réussite de ce processus en Afrique du sud, qui n'a pas perdu de temps pour le  faire. Il se trouve que plus de six ans sépare la fin déclarée de l'Apartheid le 02 février 1990 par le Président De Klerk et le démarrage des travaux  de la commission Vérité et réconciliation. Il a fallu l'élaboration d'une constitution provisoire en 1993, des élections en 1994, la création de la commission en 1995 et une nouvelle constitution en 1996. La première audience a eu lieu le 15 Avril 1996. 

L’expérience tunisienne de la transition démocratique, malgré des moments difficiles et des actes tragiques, reste aujourd'hui un exemple à suivre. Il serait dommage de remettre en cause la marche suivie pour des futilités du type Bourguiba est au-dessus du questionnement d'autant plus et à titre personnel je pense  que Bourguiba verra son statut renforcé une fois la Tunisie réconciliée avec son histoire.

Farhat Hached
Chirurgien dentiste