Lettre ouverte à Monsieur le ministre de l'Agriculture
Monsieur le Ministre,
je ne vous connais pas , ni de vue ni de voix. votre discrétion est à l'image du statut de notre agriculture: maw2ouda (enterrée vivante). une richesse, un patrimoine, des hommes, des femmes et des milliers d'emplois réels et potentiels écartés de tous les scénarios. (Nous n'avons eu ni conférence de presse sur les récoltes, ni ne l'aurons sur la nouvelle saison). je me demande si votre profil vous permettait de comprendre ou d'aimer l'agriculture. au moins de prendre conscience de son importance. Même en trompe l’oeil, pour ‘’remplir votre poste’’.
je me demande aussi si vous aviez, comme probablement vos prédécesseurs, reçu des instructions pour attendre (التريث). le peuple des agriculteurs, dont je ne suis pas mais en porte la graine, vous a oublié. a oublié l'Etat et ce qu'il ne fait pas pour l'agriculture. vous, comme tous les ministres de l'ancienne et de la nouvelle république, vous n'en portez ni la graine, ni le respect et encore moins la responsabilité...encore une fois même en trompe l’œil
Mais au cas où vous avez l'ambition de passer au ''tourisme'' ou au ''sport'', deux départements plus nobles et plus courus, je vous donne quelques tuyaux d'un fils de la terre grâce au ciel et scientifique grâce à Bourguiba, encore lui, terriblement frustré pour son pays qui a tout raté dans ce secteur par le fait du choix ''stratégique'' d'une tribu.
Monsieur le Ministre,
Passons sur le diagnostic, vous devriez l'observer et même le goûter depuis votre assiette qui déborde de chimie et de plus en plus d'OGM's disséminés, désormais, au grand jour grâce à vos services et à ceux de votre collègue du commerce.
Voici donc, ce que vous et vos prédécesseurs vous vous obstinez à tenir à distance:
1. une agriculture qui prend en considération la bio-diversité des écosystèmes et qui vise à créer une production agricole durable, très économe en énergie et respectueuse des êtres vivants et de leurs relations réciproques, tout en laissant à la nature « sauvage » le plus de place possible.
2. une agriculture qui se construit autour de et avec l'agriculteur qui doit en être le bénéficiaire principal et non les ''habbata'', intermédiaires, spéculateurs et banquiers voraces.
3. une agriculture portée par l'innovation de la planification, la production à la commercialisation et au marketing (des produits et des terroirs). l'activité agricole est certes la production, mais surtout les services et le management qui la portent.
4. avec l'agriculture pilote ou semi intensive, une agriculture de proximité qui nourrit son peuple et casse la spéculation.
5. une telle vision de l'agriculture, élargit le spectre des métiers et des besoins en cadres et ouvriers dans le secteur. des milliers de diplômés du supérieur dont des d'ingénieurs agronomes et même des docteurs en biologie, mais pas seulement, chômeurs longues durées trouveraient leur bonheur dans dans une activité revalorisée, des fermes pilotes ou des startups agricoles ou encore en support aux milliers d'exploitants abandonnés à eux-mêmes.
Tout cela est faisable. Bien sûr et sans aucun doute. Mais vous n'y aviez pas voulu réellement réfléchir ni approfondir les sillons, par choix obstiné.
Les experts tunisiens issus de nos écoles et laboratoires brûlent d'envie de mettre la main à la pâte. Ils se sentent inutiles pour leur pays. Vous les empêchez par votre politique de marginalisation de l’agriculture. Une faute impardonnable.Intégrée sur des décades, cela devient un crime économique avéré et justiciable.
Seule la volonté politique manque à l'appel. Parfois la bonne volonté tout court, dont la vôtre.
Je vous prie, Monsieur le Ministre de bien croire en mes sincères sentiments de désolation et de colère. Puisse votre conscience vous aider à rapporter autour de vous sur ce désastre permanent auquel vous êtes en train de contribuer consciencieusement.
Pr. Bahri Rezig
El Kef
10 08 2015