La décentralisation, alternative pour une autre manière de faire la gouvernance et développement (Deuxieme Partie)
 
                  Certains économistes et praticiens, tout en capitalisant les réalisations en matière de décentralisation, apportent certaines critiques et proposent d’autres manières de faire, en dépassant notamment l’approche actuelle de la Banque Mondiale (BM) dans le domaine de la gouvernance, qui pour eux ne doit pas être cloisonnée dans une vision managériale ni dans l’illusion de la bonne gouvernance présentée comme un modèle standard dominant (une approche du global au local).
La nouvelle approche préconisée de la gouvernance s’intéresse plutôt à l’organisation dans le temps du processus par lequel s’accommodent, se mettent en œuvre et se corrigent les politiques publiques par une construction démocratique du local au global aussi bien au niveau d’un pays, d’une région ou au niveau mondial.
Les modes de gestion actuels des territoires sont encore dans certains pays en contradiction avec l'importance que revêtent ceux-ci, puisque la pratique de la centralisation ne permet pas l'invention de réponses locales pour d’autres alternatives de développement, ni pour d’autres modes de gouvernance des territoires, afin de transformer le local en global par le biais d'alliances concrètes entre territoires.
Territoire et développement
Le territoire doit reposer sur les liens entres les différents  acteurs et non sur les structures. Ceci permet de  décloisonner les  différents systèmes et de générer une synergie globale des acteurs de  toute nature: collectivités territoriales, réseaux professionnels,  établissements scolaires et universités, pôles technologiques, instituts  de recherche, entreprises,… 
  L’intelligence collective prendra lieu et  place des solutions standards  dans les territoires, et une approche projet collectif dépasse celle de  structures. Il est donc impératif de sortir de la  logique dominante et  rudimentaire de  concurrence, de compétition et de classement et aller  vers  une logique de réseaux qui rend indispensable une vision globale  et partagée des acteurs. 
  Cette vision globale permet d’évaluer de près les forces vives au niveau  local et, sans aucun a priori, les possibilités d’interactions entre  les différents acteurs. Elle pousse l’élu, les décideurs, les chefs de  réseaux et tous les citoyens à une veille permanente pour sortir des  impasses et identifier les pistes innovantes. Cette stratégie, qui nous  fait tant défaut à cette heure, pourra alors être conceptualisée et mise  en œuvre dans le futur.
  Si on pousse l’analyse encore plus, certaines réflexions dans ce domaine  affirment que les mouvements de décentralisation sont une réaction  contre une architecture verticale ou « par le haut » du paradigme de  développement, de l’action publique et de la pratique démocratique.
  A ce niveau, le territoire se révèle ainsi, un niveau nécessaire et  essentiel pour la gestion cohérente des ressources naturelles.  L’appropriation de l’Etat de ces ressources à travers une réglementation  protectrice ou une gestion publique directe ne définit plus les  conditions de la gouvernance dans le domaine de la gestion de ces  ressources ni des relations entre l’homme et la biosphère, mais plutôt  un ensemble complexe de régimes de propriété, de règles juridiques, de  pratiques et d’apprentissage de relations entre acteurs. 
  
  C’est ainsi que les plans de développement seront conçus au niveau local  en tenant compte des spécificités de chaque territoire, de ses forces  et de ses faiblesses, de ses besoins et de ses moyens.
  
  Le territoire permet aussi de donner un sens social et sociétal à la  démocratie qui connait aujourd’hui une crise de confiance entre le  politique et le citoyen. En effet les élections au niveau local se font  de plus en plus d’une manière directe (choix de personnes et non de  listes et permet aux électeurs  de révoquer leurs élus  s’ils ne sont  pas fidèles à la charte liant l’élu à l’électeur).
La dynamique du local
Le local donne aussi une dynamique citoyenne à la démocratie par une  approche participative dans la gestion des biens et des liens publics.  Nous pouvons citer comme exemple le «budget participatif» (BP) de Porto  Alegre au Brésil (une ville de 1,5 million d’habitants). Adoptée depuis  1988, cette expérience s’est développée depuis  en Brésil (plus de 200  villes en 2004 dont les municipalités ont adopté le (BP))  puis  en  Amérique latine et d’autres régions du monde telle que l’Europe,  l’Afrique, l’Amérique du Nord. 
  
  Environ 10% des municipalités de l’Amérique Latine ont adopté le (BP) au  cours des vingt dernières années. Globalement, plus de 3000 expériences  ont été répertoriées au niveau mondial avec des objectifs et des  modalités différents. 
  
  De ce fait, le budget participatif consiste tout simplement en une  nouvelle manière de faire la gouvernance et  la gestion de la vie  publique ,qui nous permet de sortir des rapports de clientélisme qui  dominent la vie politique et d’améliorer la justice sociale en donnant  un pouvoir de conception, de décision et de contrôle à tous les  citoyens, quel que soit leur niveau social, leur origine, leur sexe.
  
  La participation s’effectue sur une base territoriale et thématique. La  ville  Porto Alegre a été organisée en 16 secteurs, doté chacun d’une  assemblée sectorielle, où les citoyens  discutent de leurs besoins avant  de les prioriser. En parallèle, les commissions thématiques se  réunissent pour établir des priorités en matière de services publics  (transport, d’éducation, etc.) et de développement économique. Le nombre  de participants est passé de quelques centaines au début de  l’expérience à plus de 150 000 à la fin des années 2000.
  
  Le schéma suivant résume les différentes étapes de la réflexion et de l’adoption budgétaire :
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Selon certains travaux, il a été constaté (selon les objectifs  locaux) une baisse de la pauvreté, une élévation des recettes fiscales,  une réduction de la corruption, et une meilleure  transparence  budgétaire, ainsi que la surveillance active par la société civile des  travaux engagés par les municipalités.
  
  Le (BP) vise à hiérarchiser les priorités dans les décisions budgétaires  selon les besoins réels des localités et les ambitions des habitants,  en harmonie avec leurs spécificités économiques, sociales ,culturelles  et environnementales  et à réorienter les investissements si besoin  est  ,en faveur des quartiers les plus démunis : à Porto Alegre, par  exemple, les réunions de quartier ont par exemple permis de construire  des équipements et des infrastructures de base dans des favelas (lycées,  écoles, crèches,  etc.).
  En Europe par contre, l’expérience du (BP) a principalement pour  objectifs, la modernisation de l'action publique, la résolution de la  défiance face aux partis politiques qui sont centrales et l'amélioration  de la connaissance budgétaire par le public jeune, dans une perspective  d'éducation à la citoyenneté.
Questions d’intégration
Le territoire devient un lieu privilégié pour coordonner les initiatives de différents acteurs. C’est ainsi qu’on voit naître et se développer dans différents pays de multiples expériences, chartes, projets, pactes ou contrats territoriaux. Nous citons à titre d’exemple l’approche territoriale intégrée (ATI) à Québec – Canada, qui invite les communautés locales à la mobilisation en vue de leur développement. Cette mesure découle de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. L'(ATI) vise la prise en charge collective, en fonction d'une vision commune, globale et intégrée. Toutes les communes ont arrêté leurs plans d’action de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, en tenant compte de leurs problématiques spécifiques et en faisant intervenir tous les acteurs et réseaux .
Un autre exemple de structuration locale, il s’agit d’un projet de mise en place d’un réseau locale d’économie sociale et solidaire au Cameroun, en Afrique « RELEES » .Ce projet vise La dynamique coopérative, le développement des filières agricoles locales, le développement des caisses au sein des coopératives et l’apprentissage de la démocratie.
Si on veut pousser encore l’analyse, nous citons un autre exemple, celui de la Coopérative Intégrale Catalane (CIC) en Espagne. Il s’agit d’une pratique citoyenne d’autogestion qui est en train de progresser dans tous les domaines. Il s’agit de créer un large réseau d’initiatives, de projets concrets et d’entreprises solidaires, dans le but de créer un espace de « relations économiques coopératives et solidaires entre personnes et acteurs économiques. À long terme elle se projette comme alternative à l’économie de marché. La connexion en réseau des différents acteurs se fait dans des espaces multiples selon les territoires et les projets autonomes (collectivités agricoles, industrielles, ou encore d’éducation libre et de santé). L’ensemble de l’organisation, que ce soit au niveau local ou général, est basé sur l’idée de la participation de tous. Les décisions sont prises de manière autonome et décentralisée, par des assemblées ouvertes à tous.
Des commissions de travail (communication, économique, légale, coordination...) et des groupes thématiques (éducation, santé, alimentation, énergie, transport...) permettent de mettre en œuvre les décisions des assemblées et d’impulser de nouveaux projets.
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Toutes ces expériences humaines et bien d’autres, nous enseignent  qu’il n’est plus possible d’ignorer le rôle central que peut et doit  jouer le territoire au niveau économique, social, gestion des  ressources, pratiques démocratiques  citoyennes directes  et  participatives. Il s’agit d’une manière plus générale de son rôle  incontournable dans la gouvernance et le développement, qui place  celui-ci comme  potentiellement le principal «acteur social» du 21eme  siècle selon Pierre Calame. Cela nécessite le développement  d’outils  opérationnels permettant à une société locale dans son ensemble de gérer  au mieux des ressources collectives. 
  
  Le territoire ou le local devient le point de départ d’une nouvelle  architecture de la construction démocratique, économique et sociale des  sociétés, du bas vers le haut, du local au global basée sur le partage  des pouvoirs et des richesses entre territoires, régions et Nations.  C’est ainsi qu’on passe de l’Etat providence basée sur la répartition à  l’Etat Social basée sur le partage. 
  
  Comme l’a si bien  dit un de mes amis : « du local au global, quoi de  plus naturel, de la cellule à l'être...effectivement longue sera cette  bataille... ».
Lire la suite : La décentralisation : réalités, défis et perspectives (Première Partie)
Bibliographie 
  
  * Les horizons de la gouvernance territoriale : réorganisation territoriale de la suisse –Andreas Ladner 2013
  
* Créativité et innovation dans les territoires : rapport du groupe  de travail présidé par  Michel Godet Professeur au CNAM (France 2010)
  
* La décentralisation et démocratie dans le monde : 1er rapport  mondial 2007   élaboré par le groupe  Cités et Gouvernements Locaux Unis  CGLU
  
* La démocratie en miette, pour une révolution de la gouvernance de  Pierre Calame  année 2003
  
* Mission Possible, penser l’avenir de la planète de Pierre Calame année 2003
Sabah Mallek
  Universitaire, spécialiste en finance de développement