Opinions - 27.08.2015

De querelles intestines en querelles économiques et sociales, le monde agricole se meurt

De querelles intestines en querelles économiques et sociales, le monde agricole se meurt en silence

Le peuple tunisien semble ignorer son histoire et l’héritage culturel et sociologique laissé par nos aïeux. Il est allé chercher chez les autres une tradition erronée qu’il a imposée comme la sienne. Nos rues arpentées de noirs fantômes et de sombres barbes hirsutes. Il en a oublié la richesse pour lui substituer l’austérité. Tous les choix faits depuis ce jour de janvier semblent avoir été malheureux. Il en va ainsi des choix économiques. L’agriculture qui aurait pu faire de la Tunisie un nouvel éden pour justifier son appellation de « Verte » est devenue le parent pauvre de notre économie dans ses deux volets, la terre et la mer. On ne parle à ce propos que de désertification, que de crise et d’endettement ou encore de désertion. La terre est devenue la proie de la rapacité des promoteurs immobiliers et de l’urbanisation à outrance. Elle est aussi victime de l’hémorragie humaine due à l’exode rural et la migration des populations vers les grandes villes et à la citadinisation galopante de la population qui souhaite offrir un avenir décent à ses enfants. La mer est une victime du tourisme incontrôlé. Le littoral est accaparé par des chaînes d’hôtels comme plages privées sur des kilomètres comme un mur mercantile. On nous vend ce qui nous est offert par la nature à prix d’or sans aucune considération pour cette nature en retour. Il suffit de voir ce que deviennent très vite des zones vierges lorsqu’elles sont découvertes. Par exemple il faut voir ce qu’est devenu le littoral de la zone Rafraf-El Hmari en l’espace de quelques années. Livrée à la voracité des estivants nationaux venus des quatre coins du monde, cette partie de la côte tunisienne est méconnaissable. Aujourd’hui c’est une catastrophe écologique majeure. La mer est aussi un secteur de l’économie négligé sur le plan des investissements, de la modernisation technologique et de l’aménagement infrastructurel et matériel.

Dans l’Antiquité Magon « Le Carthaginois » avait introduit son traité ainsi : « Que celui qui achètera un champ, vende sa maison, de peur qu'il ne préfère donner ses soins à ses pénates de la ville qu'à ceux de la campagne. Celui qui prodigue tant d'affection à son domicile de la cité, n'a pas besoin d'un domaine champêtre». Cela pour dire à quel point pour lui l’agriculture était importante.

En matière d’économie de notre pays, il est une réalité à propos de laquelle il est inutile de se voiler la face. Le tourisme en Tunisie ne peut plus être la ressource économique principale du pays en ce premier quart de XXIème siècle. Il a pu l’être dans un contexte bien précis jusque dans les années 2000 mais avec la restructuration de l’Europe et ses réformes successives, la Tunisie est très vite passée de mode, devenue une destination au rabais pour des touristes désargentés et pour les retraités.

Avec la conjoncture le tourisme pour la Tunisie est moribond surtout avec les derniers choix qui ont pu être fait entre autre cette année à propos des taxes et des prix. Ces mesures ont eu pour effet d’empêcher beaucoup de nos nationaux à l’étranger de revenir dans leur pays pour les vacances.


Aussi continuer d’investir des sommes faramineuses du budget dans le tourisme et continuer de construire des complexes hôteliers à coup de Milliards, c’est comme essayer de renflouer un navire qui prend l’eau de tous les côtés à la fois. La solution est de stabiliser le secteur et d’établir un statut quo concernant le patrimoine hôtelier et aussi planifier un bilan ainsi qu’une étude qui permettrait le redécollage de tout le secteur.

Pour ce qui concerne la situation économique de la Tunisie, dans l’immédiat, il faut que nous changions notre fusil d’épaule. Nous devons chercher de nouveaux secteurs profitables.

Il en est un tout évident qui a été complètement négligé durant toute la législature Ben Ali et qui continue à l’être aujourd’hui, c’est l’agriculture.

La Tunisie a été dans l’Antiquité et une bonne partie du Moyen-Age une puissance en la matière ayant dans ce domaine fait de l’ombre à la puissance Romaine. Magon Le Carthaginois (IIIème et IIème siècle AC) était considéré dans le monde comme un expert. Son traité sur l’agriculture, estimé dans l’Antiquité, fut l’une des sources les plus importantes sur le sujet pendant plusieurs siècles. Il traitait de tous les domaines du secteur : les plantations, la viticulture et la vinification ; l’apiculture ; l’élevage ; le jonc. Notre histoire est forte de la réputation de Carthage en matière d’agriculture et d’arboriculture. Cette expertise était dictée par une prise de conscience de la nécessité de posséder des ressources alimentaires suffisantes sur le sol africain pour être autonome. Cette détermination et l’obéissance à cet impératif a permis à Carthage et à la Numidie de ne jamais connaitre de famine pendant toute l’histoire antique de ces régions. Il serait grand temps que nous revenions aux véritables sources de notre grandeur, travaux des champs, gestion de l’entreprise agricole, élevage et les soins que nécessite un troupeau, l’horticulture, les fruits, les abeilles, etc. faisons de notre pays une image de l’éden au lieu de cet enfer.

Le domaine agricole souffre de multiples maux qu’il faudrait solutionner le plus tôt possible parce qu’il y a réellement urgence et péril en la demeure.

Un premier pas a été initié en 2014 par la volonté d'annuler les dettes des agriculteurs, dont les montants ne dépassent pas 5.000 dinars soit 100.000 agriculteurs dans les diverses régions du pays. Mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan puisque les dettes épongées ne sont estimées qu’à 300 millions de dinars (MD), soit 34% du total des dettes du secteur agricole en Tunisie. Selon les estimations, les dettes du secteur agricole auprès des banques ont atteint, jusqu'au 30 juin 2013, 1.500 MD. Il faudrait déjà geler les anciennes dettes pour mettre fin à l'accumulation des taux d'intérêts et permettre ainsi aux agriculteurs d'obtenir de nouveaux crédits. Il faudrait aussi annuler les dettes des petits et moyens agriculteurs qui représentent 91% du secteur.


La stratégie agricole doit être redéfinie et il faut aussi abolir l’agriculture de micro parcelles et opter pour des regroupements des petites exploitations en ensembles. 75% des exploitations agricoles ont une taille inférieure à 10 Ha selon l’Agence de promotion des investissements agricoles. Cette agence avance beaucoup de chiffres qui dans l’absolu ne représentent pas grand-chose lorsque l’on écoute ce que disent les agriculteurs eux-mêmes et que l’on constate le déficit de la balance alimentaire qui est en augmentation continue. Entre 2013 et 2014 le déficit a augmenté de 23,9%.


La crise de l’eau s’aggrave de jour en jour, à cause du mauvais usage des ressources hydriques et d’un assainissement déficient. D’autre part l’eau est l’objet d’une compétition croissante concernant ses divers usages et les secteurs concernés : agricole, touristique, industriel et domestique. Mais la crise hydraulique est avant tout une crise de la gestion sociale de l’eau. Celle-ci pose plus fondamentalement la question de la redéfinition des rapports entre public et privé et renvoie aux conditions d’une véritable rationalisation et d’une plus grande autonomie, tant en matière de gestion de l’eau que d’insertion sociale des agriculteurs. Le secteur souffre de l’absence d'un système rationnel et objectif de gestion locale de l'eau assurant un véritable accès de tous les agriculteurs à la ressource. Aussi l'irrigation cesse-t-elle d’être un moyen de redistribution sociale et tend à renforcer les différences entre diverses catégories d'agriculteurs et toutes sortes de malversations. Seuls ceux qui peuvent s’assurer une certaine autonomie dans l’approvisionnement en eau trouvent dans l’irrigation un moyen de développer leurs exploitations. À l’inverse, les agriculteurs les moins dotés sont placés dans des situations de dépendance accrue et dans des positions plus défavorables face aux risques de pénurie et de contamination de la ressource en eau.


Enfin il faudrait investir dans les nouvelles techniques agricoles, la mécanisation et de nouveaux produits. Il faut par ailleurs inciter les jeunes à ne pas déserter le secteur. Pour cela il faudrait améliorer les conditions de vie des populations des zones rurales et créer des structures d’appui. L’agriculture doit quitter cette situation d’activité secondaire à dimension familiale pour devenir une ressource principale économique.


Avec 1350 km de côtes, la Tunisie doit impérativement revaloriser ce secteur et Investir dans la pêche et l’aquaculture.


Le secteur de la pêche constitue un enjeu stratégique pour la Tunisie en matière de sécurité alimentaire. Mais c’est un secteur délaissé sur le plan de l’aménagement. La pêche en Tunisie est surtout artisanale. Elle se présente comme une pêche de subsistance utilisant des techniques traditionnelles et ne participe en moyenne que pour 27% dans la production nationale. Elle revêt une importance particulière sur le plan social, puisqu’elle emploie les deux tiers des marins Tunisiens et représente 90% d’une flotte constituée de petites unités. Depuis des années, la Tunisie tente d’élaborer une stratégie afin de définir les grandes orientations de la gouvernance du secteur, et surtout poser les bases d’une gestion concertée permettant l’adhésion de tous les acteurs et parties prenantes, institutions, pêcheurs, consommateurs et autorités. Ce secteur stratégique ne représente que 8 % de la valeur de la production agricole et 1.1% du produit national brut alors qu’il représente environ 53.000 emplois directs. Les infrastructures portuaires et les unités flottantes sont anciennes et leur renouvellement n’est pas assuré comme il se doit. Aussi le secteur est vieillissant et les jeunes rechignent à reprendre la relève.
Il est temps que notre pays fasse son examen de conscience et retrouve cette véritable identité perdue au lieu d’aller emprunter des oripeaux sombres et de mauvais augure d’autre pays pour devenir à la fin méconnaissable même par sa population. Notre modernité passe par ce qui a fait notre grandeur et non par l’importation d’idées et d’une culture qui nous est totalement étrangère.

 

Jeudi 27 août 2015
Monji  Ben raies
Universitaire
Enseignant et chercheur en droit public
Université de Tunis-El-Manar
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis