Le Travail à la Tâche
Travaillez ! Prenez de la peine ! Seulement que de nos jours, c’est le fonds qui manque le plus dans notre pays. Pour sauver le pays nous sommes appelés à travailler. Mais comment travailler ? Il est difficile de donner au travail une valeur basée sur une simple définition. Historiquement le travail était synonyme de peine et qualifiait l’œuvre exténuante des esclaves. L’œuvre pouvait des fois atteindre la perfection ou être titanesque mais n’était jamais attribuée aux travailleurs qui l’ont bâtie par la sueur et la force des bras, mais aux maîtres qui l’ont décidée ou désirée. Les pyramides étaient l’œuvre des pharaons, le Colosseum était connu comme le chef d’œuvre des Empereurs Vespasien et Titus. Par contre la création artistique et intellectuelle n’étaient pas classées dans le domaine du travail. Ce n’est qu’après la révolution industrielle qu’on commence à donner plus d’importance à la valeur économique et sociale du travail ; Il devient l’élément moteur de la richesse et prit la définition d’activité rémunérée qui permet la production des biens et services. Aujourd’hui la notion de travail a une large connotation sociale qui tend à élever l’homme à une importante valeur morale et lui assurer sa dignité. C’est aussi pour défendre cet acquis social et moral que la jeunesse tunisienne s’était soulevée contre l’ancien régime.
Mais si le travail permet à l’homme de vivre et lui donne sa dignité, s’il permet la production des biens et services et crée la fortune, il est néanmoins nécessaire de définir la valeur technique de l’activité pour assurer une meilleure qualité du produit, du service ou de l’activité intellectuelle. La valeur définie avant le début du travail facilitera le contrôle et l’évaluation conditions préalables à la conformité de chaque activité.
Ce qui fait défaut dans notre société, c’est notre conception du travail. On le considère plus comme une occupation, un poste ou une fonction qui génère une rémunération. La qualité du produit ou son exécution dans les délais importent peu dans beaucoup d’institutions étatiques. Etre présent sur le lieu de travail durant un nombre déterminé d’heures ne veut pas dire travailler. S’asseoir confortablement sur un fauteuil de direction et signer le courrier ne veut pas non plus dire bosser. Le titre de la fonction à lui seul ne légitime pas la rémunération. C’est la tâche dans son sens le plus large et la définition des conditions d’exécution de l’activité qui doivent délimiter le contour de l’activité. On l’appelle fiche de poste ou termes de référence ou encore attributions. La définition claire et détaillée de la tâche à accomplir est la meilleure assurance de la qualité du travail et la condition nécessaire pour satisfaire les objectifs de l’institution d’un coté et les droits du travailleur de l’autre.
Deux exemples m’interpellent toutes les fois que j’ai à discuter de cette question. Le premier est un modèle de fiche de travail manuel conçu par l’Inspection Générale du travail du Gouvernement en 2013. Une très belle fiche qui comprenait la quasi-totalité des informations concernant le travail mis à part la nature de la tâche et les conditions de son exécution. Dans ce cas un agent de propreté municipal qui se présente en tenue de travail réglementaire à l’heure fixée, qui quitte le lieu de travail à l’heure annoncée et qui fait semblant de travailler touchera la même rémunération que celui qui accomplira l’exploit d’Héraclès en nettoyant les écuries d’Augias. Le deuxième exemple est un ancien concept de travail instauré par les colons français à la compagnie de Gafsa et lié à l’organisation du travail au sein de la mine. Le « travail à la tâche » et le « travail en régie » sont deux formes de travail qui se distinguent par les conditions d’exécution et par leur résultat (la production). Une équipe de quatre personnes qui choisit de travailler à la tâche doit remplir huit wagons de phosphates en moins de huit heures et durant la période définie du poste de travail. Si l’équipe s’acquitte de cette tâche en une ou deux heures, elle sera libre de quitter le lieu de travail. Sa tâche est considérée accomplie. Si elle remplit sept wagons en huit heures elle sera payée sur la base du taux « en régie ». L’équipe qui choisit le travail en régie doit être présente huit heures entières du début à la fin du poste de travail. Elle doit remplir 2 wagons de phosphates et ne pourra quitter le lieu de travail que lorsque l’heure de fin de travail aura sonné. Le taux de rémunération de la journée de travail à la tâche est trois fois supérieur à celui du travail en régie. Avis aux amateurs ! Mais ces conditions ne plaisaient pas à tout le monde et ont dû être révisées au cours des années 1970 pour uniformiser la paresse et le moindre effort.
La morale de ces anecdotes est d’inciter nos institutions à réfléchir sur ce thème. Nul n’ignore que ce domaine est couvert par la fonction Gestion des Ressources Humaines que tout le monde répugne. Les responsables y voient une entreprise contraignante et difficile à concevoir, les travailleurs et ceux qui les défendent y voient une atteinte à la liberté de se soustraire au travail. Si nous voulons reconstruire le pays nous sommes tenus de travailler, mais avant cela il faut définir les règles de travail ou les conditions de l’exécution des tâches.
Mohamed Nafti
Général Retraité
Ancien Inspecteur Général des Forces Armées