Une Histoire de lecture
A la veille de la rentrée scolaire il est de notre devoir de s’adresser à tous les acteurs de l’éducation nationale pour leur souhaiter une année scolaire couronnée de réussite. Je souhaite de tout mon cœur à tous enseignants un règlement honorable de leurs demandes. Aux écoliers et lycéens, je souhaite une année de formation solide et fructueuse. A monsieur le Ministre de l’Education nationale je ne peux que m’unir aux multiples voix qui l’encouragent et le soutiennent dans son action courageuse pour réformer cette institution qui nous est très chère. Tous les tunisiens s’accordent à dire que le salut de notre pays est entre les mains des acteurs de cette grande institution et dans l’accomplissement de la mission noble dont elle est chargée. Le capital humain est pour notre pays la ressource inépuisable, la plus facile à « extraire » et la plus productive dans l’avenir.
A mon avis tout le secret de la réussite scolaire réside dans le mot lecture. Dans son sens populaire et littéraire mais aussi dans ses fonctions, la lecture est considérée comme la pierre angulaire de toute activité intellectuelle. La démarche intégrale pour instituer une tradition de lecture est une affaire de motivation en premier lieu, de technique pour développer son apprentissage et enfin de conviction pour persévérer dans cette activité intellectuelle noble.
Dans notre langage populaire Le mot lecture (kraya) est synonyme d’étude. Lire est un mot magique qui est la clef de réussite dans tous les domaines de la vie. La recherche de la vérité, la science et la technologie exigent un seul visa : la lecture dans son sens le plus large. Cette lotion magique est préparée seulement dans les laboratoires de nos institutions scolaires.
Au lycée, les professeurs de langue sont les vrais précepteurs des penseurs, des savants et des hommes d’état de la Tunisie future. Inculquer à nos enfants l’art noble de la lecture est une priorité pédagogique absolue. En effet, la maitrise de la lecture facilite la compréhension d’un sujet et l’énoncé d’un problème à résoudre. Elle est une condition nécessaire à la rédaction et au développement des idées. Elle est aussi capitale dans l’exploitation des références écrites utiles pour les travaux de recherche de tout genre. C’est aussi le seul outil qui permet de développer l’art de la communication. L’utilité de la lecture étant définie, il importe ensuite d’élucider sa maitrise.
Je ne vais pas me référer à la littérature pédagogique pour expliquer la technique de la maîtrise de la lecture. C’est l’affaire des enseignants seuls capables de la faire. Mais comme on peut tous le constater notre population n’est plus studieuse et la nouvelle génération a perdu le goût de lire, je me permets d’offrir une expérience vécue sur l’apprentissage de la lecture. Octobre 1967, la première séance de français de la 4° année secondaire (ancien régime). Monsieur Le Peletier (coopérant canadien du Québec) notre professeur de langue française nous a souhaité une année scolaire couronnée de réussite et entra très vite dans le vif du sujet pour présenter la matière qu’il devait enseigner. Celle-ci nous a paru originale car elle était un peu différente de la méthode enseignée dans les autres classes. En effet, notre professeur est décidé à nous faire l’apprentissage de la lecture condition essentielle pour apprendre la langue. Il ne suffit pas d’apprendre les règles de grammaire ou de rédiger suivant un plan mais d’apprendre le vocabulaire les expressions et l’orthographe pour maitriser la langue. Ceci ne sera possible que par la lecture intensive. Il devait ajouter que pour le faire chaque élève doit acheter un livre de poche, le lire et le résumer en un mois. Après il échangera le livre avec un camarade de classe et fera le même processus. Chacun de nous aura lu et résumé 7 livres durant l’année scolaire.
Après cette explication, il nous a donné un temps de réflexion pour choisir le thème qui nous attire le plus dans notre choix et lui se chargera de nous donner le titre. Chacun devait exprimer un désir de thème à lire. Peu d’élèves étaient tentés par la lecture du livre de poche. La majorité lisait les BD et quelques uns lisaient la série de la bibliothèque verte ou les extraits des classiques tels que Cosette ou Jean Valjean d’une cinquantaine de pages au plus. Le thème policier dans la série chase et la série noire n’étaient pas tolérés en ces temps. Je devais comprendre ensuite que le premier facteur dont dépend l’apprentissage de la lecture c’est la motivation ; on lit ce qu’on aime.
Le professeur devait ensuite nous apprendre la technique de lecture. Ce deuxième facteur est essentiel pour le processus de l’apprentissage. Des règles simples fixent chaque acte de lecture.
Choisir le moment et le lieu de lecture et chercher des conditions qui offriront un peu de repos. L’utilisation du dictionnaire n’est pas conseillée. Un crayon à papier et le livre c’est tout ce qu’il faut pour commencer la lecture. Lire avec les yeux est la première règle ; ne pas lire à haute voix et ne pas remuer les lèvres. Les yeux doivent parcourir les lignes dans un mouvement incessant de gauche à droite et ne s’arrêter qu’à la fin du paragraphe. Si les yeux s’arrêtent plus d’une fois sur un mot on le coche et on continue la lecture. Plus tard on pourra consulter le dictionnaire pour expliquer les mots difficiles. Il est aussi conseillé de souligner quelques expressions qui paraissent belles. A la fin de la séance de lecture il est demandé d’expliquer les mots difficiles et les consigner avec les belles expressions dans le cahier de notes. La règle est de ne jamais s’arrêter lorsqu’on n’arrive pas à suivre la narration de l’auteur. Il faut continuer jusqu’à la fin du chapitre et puis jusqu’à la fin du livre. Le professeur devait nous expliquer que les livres choisis pour les débutants sont des romans faciles qui ne comprennent qu’une idée maîtresse développée progressivement par l’auteur. Finir le livre permettra de comprendre l’idée maitresse et c’est le but de l’apprentissage de la lecture.
La règle suivante est le début de la concrétisation des buts de la lecture. A la fin de chaque chapitre, il importe de le résumer en quelques lignes. Ceci est nécessaire pour ne pas oublier les idées et surtout pour commencer l’apprentissage de la rédaction et l’écriture. Une fois le livre terminé, il est recommandé de le résumer suivant une méthode qui comprend trois parties. La présentation englobe des informations sur le titre de l’œuvre, l’auteur, l’année d’édition, la maison d’édition et un court résumé d’une demi-page. La deuxième partie rassemble les expressions retenues et le vocabulaire nouveau. La troisième partie est l’assemblage des résumés des chapitres ou en d’autres termes le résumé du livre.
Depuis ce temps, je ne me lasse jamais de lire. Je ne trouve aucune difficulté de parcourir une multitude de références. J’éprouve une facilité de communiquer qui m’a beaucoup aidé dans ma carrière professionnelle. Et c’est toujours avec un grand plaisir que je m’adonne à l’écriture dans n’importe quel sujet. La lecture et l’écriture sont les arts nobles comme disait notre grand maitre Ibn Khaldun. Est-il donc nécessaire de convaincre nos chers enseignants pour les pousser à inculquer cette noblesse d’esprit à nos enfants.
Mohamed Nafti