Monia Ben Jémia : A propos du projet de loi sur la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants
Le parlement discute en ce moment du projet de loi sur la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. Le projet définit la traite comme étant l’exploitation d’une personne, celle-ci comprenant notamment l’exploitation sexuelle, l’exploitation dans la mendicité, l’exploitation domestique. Le projet intègre dans la traite, toute réduction en esclavage d’une personne c’est à dire le fait de la traiter comme un objet, de la vendre, de l’acheter ou de la louer ou de la contraindre à effectuer un travail non rémunéré.
C’est un sujet de société, par excellence, je m’étonne que les médias ne s’en saisissent pas. Il y a peu de temps, une affaire avait défrayé la chronique et les médias s’en étaient saisies, celle de ces jeunes femmes qui avaient été recrutées pour un travail dans un pays du golfe ou au Liban et ont été contraintes à se prostituer. De retour à Tunis, plusieurs d’entre elles avaient été arrêtées pour prostitution clandestine et sont probablement toujours en prison. Le projet de lois devrait permettre à ces femmes d’être innocentées. Contraintes à la prostitution, le projet les considère comme victimes et n’autorise pas leur poursuite.
Et il est évident qu’elles avaient été contraintes. A leur arrivée au pays de destination, elles sont privées de leur passeport, droguées, alcoolisées, isolées et prostituées. Et la société les condamne, au lieu de les voir comme des victimes.
En Tunisie, des femmes sont aussi contraintes à la prostitution et parce qu’elles craignent les représailles des proxénètes et la peine de prison pour prostitution clandestine, elles ne portent pas plainte. Ce projet de loi a pour objectif de les protéger, en tant que victimes, en les encourageant à dénoncer les proxénètes et en écartant toute poursuite pénale à leur encontre.
Certains diront que des femmes se prostituent de leur plein gré, qu’elles y consentent. Je peux difficilement l’admettre. Récemment, plusieurs bordels ont été fermés, manu militari par des islamistes pour des raisons de moralité publique. Un prédicateur des pays du Golfe s’était rendu au bordel de Sousse et avaient exhorté les prostituées à abandonner le lieu. L’une d’elles lui répondit : « Vous, vous mourez une seule fois, nous nous mourons chaque jour ». Même les légales, sont contraintes à la prostitution. Elles ne peuvent pas dire non, elles n’ont pas eu d’autres choix.
Le projet de loi sur la traite peut conduire à la fermeture des bordels qui restent, puisque peut être poursuivi pour traite, celui qui fournit un logement pour l’exploitation sexuelle des femmes. Et on peut considérer que toute prostitution est une exploitation sexuelle. Certains sont contre la fermeture des bordels, argumentant qu’ils permettent de réduire les cas de viols. Mais les viols ne répondent pas, jamais, à des pulsions sexuelles, mais à une volonté de dominer, de réduire la personne à un objet. C’est une violence, pour faire court, un acte de terreur. Et ils seraient temps d’apprendre aux hommes à freiner leurs ardeurs sexuelles, de leur apprendre qu’un acte sexuel ne s’achète pas et que quand ils achètent l’acte, ils violent, tout simplement.
Ceci dit, je demanderai, avant de fermer les bordels et de mettre ces femmes dans la rue, un engagement de l’Etat à les réinsérer socialement et à encourager la constitution d’associations de prise en charge de ces prostituées. Et en même temps abolir toute criminalisation des prostituées clandestines, pour ne pénaliser que le seul client, celui qui achète l’acte sexuel.
Il n’y a pas que l’exploitation sexuelle dans le projet de lois. Il y a aussi l’exploitation dans les travaux domestiques. L’emploi d’un enfant à des travaux domestiques est considéré par le projet de loi comme une traite. Les tunisiens doivent en être conscients, les petites et moins petites bonnes corvéables à merci, c’est fini. Ce serait bien d’en informer la population. Il est vrai qu’on peut employer un enfant à partir de 16 ans, mais là aussi, sans exploitation, sans rendre l’enfant corvéable à merci ou l’exploiter sexuellement. Et peut-être faudrait-il interdire tout travail pour l’enfant de moins de 18 ans.
Le projet de lois considère aussi comme traite le commerce des organes corporels et l’adoption d’un enfant afin de l’exploiter. Les adoptions, en particulier internationales, avaient été interdites, du temps de Ben Ali déjà, par crainte, disaient les pouvoirs publics d’exploitation des enfants adoptés, notamment dans la vente de leurs organes. Il n’y a pas de fumée sans feu, il a dû y avoir des pratiques dans ce sens. Probablement avec la complicité de la famille alors régnante. Sous toutes les dictatures, il y a eu un pareil trafic, en Espagne et au Portugal, notamment (les bébés volés). Y a t il eu enquête ? Pas que je sache, ce serait pourtant nécessaire. Je crois que ni l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, ni les adoptions en vue d’exploitation et de vente d’organes n’ont pu proliférer en Tunisie sans la complicité de la famille alors régnante. Trempée dans le trafic de drogue, elle l’était certainement dans ces trafics, les deux allant généralement de pair. Ce serait bien d’ouvrir ces dossiers. J’ai entendu à la télé des femmes se plaignant d’avoir « perdu » leurs bébés dans les maternités. Qu’attend-on pour faire des enquêtes ?
Suivre les travaux du parlement est nécessaire. Peut-être que la clé de la réconciliation est dans le débat autour de ces questions sociales.
Monia Ben Jémia