Dis-moi comment tu conduis!
Dans mon pays, on conduit à droite mais la conduite est gauche. Extrêmement gauche, là où en politique on situerait l’Anarchisme. Sauf que notre conduite, elle, n’obéit à aucune philosophie si ce n’est celle de « si tu peux, tu peux ». A comprendre : si tu as la possibilité de le faire, tu as le droit de le faire. Chaque usager est souverain et suit seulement ce que son mauvais-sens lui dicte. Le code de la route est jeté par la fenêtre ouverte laissant place à un code de jungle urbaine où le fou se croit roi qu’il soit en Berliet ou piéton.
Est-ce la fierté de nous autres descendants des téméraires Hannibal et Ibn al-Furat qui nous interdit de s’incliner devant l’autorité d’un feu rouge dénué de charisme ! Cette signalétique est perçue comme empêcheuse d’aller vers l’avant, un frein à la progression. Damnée, elle nous irrite.On regarde vite fait les autres côtés et on exerce notre liberté de foncer. Le Stop n’arrête plus personne, le Cédez-le-passage est lu Cédé-le-passage et rouler dans un sens-interdit est permis. Quant à la peur du flic, inutile de risquer un procès en diffamation pour vous expliquer commentles PV sont évités.
Certainement que chaque conducteur tunisien a des kilomètres d’histoires sur les folies des autres conducteurs.L’enfer c’est les autres et lui est dans son droit. Le souci est que tous pensent pareil. Ce qui donne un ensemble hétéroclite de spécimens roulants dont on s’attend à tout dès lors qu’il s’agit de vouloir passer. Et l’égoïsme de tous nuit au final à l’intérêt de chacun. Essayez de sortir d’un parking, d’aucun ne s’arrêtera par courtoisie. Essayez de vous garer, on vous klaxonnera gagnant au passage quelques noms de déjections humaines… précédés par respect par « Si » (Monsieur). D’ailleurs, en parlant de trompette, il faudra la leur couper à tous ! Car d’avertisseur ultime, ça s’est transformé en instrument qui donne l’illusion, c’est selon : d’un pouvoir magique de faire bouger les autres, d’un accélérateur du temps, d’un morse sonore pour appeler le cousin qui habite au 6ème… A n’importe quelle heure, n’importe où, on manifeste cettefacultémaléfique. Dommage que les clignotants ne klaxonnent pas, on les aurait utilisés plus souvent.
Expérience scientifique : un filet d’huile s’écoule en continue à travers l’embout d’un entonnoir ad hoc. On verse 3 fois plus d’huile d’un coup. Que se passe-t-il ? Le débit est ralenti. C’est la définition d’un ‘goulot d’étranglement’. Et c’est ce qu’on voit à toutes les intersections. Des petits futés dépassent tout le monde par on ne sait où et finissent par filer en premiersans manquer de ralentir le débit...et tant pis pour les trainards qui faisaient la file.Il est une théorie « dis-moi comment tu conduis je te dirai qui tu es ». Ça se vérifie bien chez les nations développées :globalement disciplinées, civiques et respectueuses au volant. Qui on est alors si on se comporte au volant comme dans une jungle, fût-elle urbaine?
Une seule solution : la répression. Taper au portefeuille et bien contrôler ceux qui s’en chargeront. Près de 2 millions de véhicules circulent sur nos routes. A raison de 10 000 amendes pars jour, soit 0,5% du cheptel, et 50 dinars en moyenne par amende l’Etat se ferait 180 millions de dinars par an. Autrement dit 45 km d’autoroutes. En quelques années, soit on se transforme en peuple discipliné, civique et respectueux sur les routes (et ailleurs) ; soit on aura des autoroutes jusqu’à Borj El Khadra.
Mourad Daoud