Police academy en Tunisie
Police Academy est une série de films américains des années 1980 qui racontent sur un ton d’humour d’une bouffonnerie outrée l’histoire d’une académie de police qui recrute n’importe quel citoyen volontaire sans examen préalable. Mais ce n’est pas le cas de ce que les américains ont l’intention de mettre en œuvre dans le cadre de la coopération avec notre pays pour «permettre de faire un saut qualitatif au niveau du rendement des forces de sécurité». La plus grande Académie de Police en Tunisie verra le jour en 2019. Les Etats Unis d’Amérique contribueront au financement de ce projet pour un montant de plus de cent millions de dollars. L’institution qui sera bâtie sur un terrain de 82 ha près de l’infrastructure aéroportuaire d’Enfidha-Hammamet, aura une capacité d’accueil de 1800 stagiaires et sera en mesure de dispenser une formation pratique, théorique et pédagogique au profit des forces de l’ordre. C’est ce qu’a annoncé le ministre de l’Intérieur Le 12 novembre 2015 à Salammbô. Ce dernier avec le Secrétaire adjoint US des affaires internationales d’application de la loi et de la lutte contre les stupéfiants ont annoncé le projet et amorcé le début de ses travaux qui s’étaleront sur quatre années. C’est sans aucun doute une mesure concrète pour une politique de réforme de l’appareil sécuritaire tant attendue par les citoyens tunisiens.
Le projet est annoncé en fanfare et se veut grandiose. Néanmoins, il semble manquer d'une vision d'avenir. Le coût est peut être relativement élevé, mais la superficie qui abritera l’institution n’est pas importante et les missions qui lui sont attribuées ne pourraient pas être garantes d’une nouvelle police républicaine. A moins que les responsables n’œuvrent pour une police technique, les domaines de formation de la nouvelle académie manquent deux volets importants; inculquer les valeurs morales et cultiver la valeur physique des forces de l’ordre.
La Tunisie nouvelle, la jeune démocratie naissante a besoin de mettre en œuvre une réforme de l’appareil sécuritaire. Ce qui faisait défaut aux forces de l’ordre avant janvier 2011 n’était pas leur inaptitude technique ou théorique mais il leur manquait tout simplement une valeur morale considérée comme le pilier de la profession : le patriotisme ou la loyauté à la république. Cette valeur morale est primordiale pour tout agent au service de la république qu’il soit de la Police, de la Garde nationale, de la Douane, de la Protection civile ou de l’Armée. Etre patriote signifie en un mot respecter et défendre la Constitution. Or à quoi pourrait servir une nouvelle Académie de Police si elle va encore ignorer cette valeur morale essentielle pour former une police professionnelle.
La formation physique n’est pas non plus négligeable. Le physique et le mental vont de pair dans les métiers qui demandent de l’action. Le policier sera appelé à travailler au-delà de ses limites physiques. S’il n’est pas formé et habitué à souffrir dès son jeune âge à l’Académie il ne sera pas en mesure de résister à la fatigue, au stress et aux difficultés de l’action sur le terrain. La culture physique est nécessaire pour tous les grades et pour toutes les fonctions de ce corps de métier.
Mais le programme et les missions de l’Académie de Police ne sont pas les seules clefs de sa réussite. Le recrutement et l’évaluation des candidats d’une part et les références techniques de la formation d’autre part doivent être soigneusement déterminés pour gérer une ressource humaine de qualité. Une présélection sur la base de l’aptitude psychologique est obligatoire et à laquelle il faut ajouter un triage sécuritaire au besoin. Ce métier n’est pas facile à exercer et demande des dispositions particulières et une vocation qui n’animent pas tous les jeunes citoyens désireux de servir dans la police tunisienne.
Il est nécessaire de réfléchir dès maintenant à traduire les références qui vont être livrées par les américains et surtout bien signaler l’essence de toutes les tâches de formation. Il ne suffit pas de copier les références mais de faire un effort pour comprendre le pourquoi des tâches enseignées et bien les souligner dans un but pédagogique pour pérenniser les éléments du savoir technique et pratique. La raison est que les classes futures de stagiaires et les formateurs tunisiens qui prendront la relève des instructeurs américains s’éloigneront facilement des concepts enseignés pour se conformer aux détails de l’exécution qui pourraient changer avec le temps.
Ces remarques observées dans le domaine de la formation, il serait utile de revoir d’autres points. Dans tout ce qui est infrastructure il est nécessaire de voir grand. La superficie de 82 ha n’est pas à la mesure d’une grande institution qui doit accueillir 1800 stagiaires. Une Académie de Police est comparable à un campus universitaire regroupant non seulement des bâtiments pour les études mais une infrastructure de vie comprenant le logement, les réfectoires et les loisirs. Les infrastructures sportives sont nécessaires et doivent associer les terrains, les salles de sport et les piscines. Avec tous ces ensembles il faut penser aux logements des cadres. Considérant ceci, il est encore temps pour étendre la superficie au double ou même au triple. Dans un souci de sécurité il est nécessaire d’ériger une zone tampon assez large autour du siège de l’Académie. Il est aussi préférable d’étendre non seulement la superficie mais les cours à toutes les composantes des forces de sécurité dans certains domaines pour inclure la Garde Nationale, la Douane et l’Armée. Enfin il est encore possible de concevoir une institution qui s’étend dans la durée et dans l’espace. Bâtir une institution qui sera en mesure d’accomplir sa mission pour une longue durée et l’étendre aux stagiaires étrangers pour cibler les pays africains. La langue de formation est capitale pour le futur de cette institution. Si la Tunisie veut étendre son expertise future en Afrique, l’anglais est la langue souhaitée à côté de l’arabe pour faciliter la communication avec tous les pays étrangers.
Une Académie de Police sera conçue et bâtie suivant des normes internationales dans le cadre du respect du droit de l’homme et aura pour missions de former des professionnels capables d’affronter les nouvelles menaces internes et externes qui pèsent sur la Tunisie. Sans doute nous sommes en train d’assister à la première mesure de réforme concrète des forces de sécurité. Nous ne pouvons qu’être réjouis de cette annonce tant attendue.
Mohamed Nafti