La Troisième guerre mondiale aura-t-elle lieu?
Dans ce climat de terreur, il est important que tous, représentants de notre pays et de la diversité du monde, nous prenions la parole et manifestions notre indignation face à un sentiment d’horreur qui n'a ni couleur, ni religion. Nous vivons une époque de régression de l’effectivité des droits de l’Homme et de recrudescence de la violence sous toutes ses formes.
Le vendredi 13 novembre 2015, la capitale française était le théâtre d’attentats de masse aveugle contre la population civile. Des actes que la raison refuse d’admettre comme possibles tant ils défient les valeurs d’humanité. Ce sont des actes de guerre, mais d’une guerre folle menée par des fous qui ne s’embarrassent pas des dommages collatéraux. C’est la guerre contre Daesh et contre le terrorisme international devenue très rapidement une guerre mondiale. C’est en fait la mondialisation du conflit syrien et son exportation en occident. Les tunisiens solidaires des Français sont sous le choc. Mais sommes-nous prêts pour affronter cette guerre-là?
Le plus désolant dans l'horreur des attentats, c'est de voir à quel point les Etats sont vulnérables. Ils sont pourtant avertis sur le risque de nouveaux attentats terroristes qui pourraient se produire à tout moment. Il y a quelques mois à peine, l’attentat de Charlie Hebdo et du supermarché de la porte de Vincennes en France, celui du musée du bardo et de Sousse en Tunisie. C'est une terreur aveugle, brutale, sans pitié, qui s'abat sur les Villes, par balle ou victimes de bombes kamikazes. Les gens qui meurent dans ces actes barbares sont dehors pour vivre, chanter et se divertir. Ils ne savent pas qu'on leur a déclaré une guerre sans merci. La guerre, c'est bien le mot, actes de guerre pour les auteurs, crime contre l’humanité pour nous, commis par des bandits terroristes, ‘’Daesh" qui prétendent agir au nom de Dieu. Mais de quel Dieu ? Certainement celui de quelques cultes païens mais certainement pas celui auquel tous croient, car Dieu ne peut légitimer de tels actes s’il l’est vraiment.
La Tunisie elle-même fait face depuis 2011 à une succession d’attaques terroristes sans précédent visant les forces de sécurité sur son territoire, pour la plupart revendiquées par des groupes liés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ou à l’organisation de l’Etat islamique (daech). Le mois dernier déjà, un berger enlevé peu avant par des djihadistes avait été découvert mort dans la région de Kasserine (au centre-ouest de la Tunisie). Le jour des attentats en France, deux jeunes enfants, des bergers du centre-ouest tunisien, sont victimes de l’innommable, du summum de la sauvagerie dont les hommes peuvent faire preuve quand ils sont grisés par la violence qu’ils ont déchaînée et qui les submerge. Le plus âgé, 16 ans, a été décapité et sa tête remise au second, 14 ans, pour qu’il l’emporte chez lui. Pourquoi ? Aucune réponse n’est suffisante pour un acte aussi inexplicable.
Les sauvages qui ont perpétré ces attaques sont indéniablement des lâches qui ne méritent même pas le titrez d’homme tant ils n’en sont pas dignes. Quelle plus grande couardise et manque d’humanité que de prendre des civils, des innocents pour cible d’une violence irréfléchie. Des victimes d'une guerre en apparence lointaine et pourtant si proches. Un attentat multiple, de masse, un vendredi soir dans une montagne isolée de la Tunisie tout comme dans une capitale du monde. Le coup est terrible, avec une organisation effrayante, avec des groupes d'hommes implacables et animés d’une détermination fanatique, entrainés à tuer et prêt à mourir pour leur folie. C’est terrible, lorsque l’on considère que les autorités ont déclaré avoir empêché déjà de nombreux attentats depuis le début de la guerre contre l'Etat islamique, ce qui dénote une organisation quasi-militaire préparée de longue date. A l'évidence, la police et l'armée même déployées sur les points sensibles du territoire de l’Etat ne peuvent pas protéger toutes les populations où qu’elles se trouvent, à toutes les terrasses de restaurant et dans toutes les salles de concert, ni surveiller tous les présumés terroristes suspects, quel que soit le renforcement des dispositifs de contrôle. La terreur dans les centres comme Paris ou Tunis, en quasi état de siège, la proclamation par les présidents de la République de l'état d'urgence sur tout le territoire, et la fermeture de toutes les frontières nous font en tout cas brutalement entrer dans un autre monde, presque irréel, à l'image de ces fictions télévisuelles qui sont dépassées par la réalité.
Nous allons devoir apprendre à vivre sous une menace terroriste permanente comme la Russie, la Turquie, plusieurs pays autour de la Méditerranée dont Israël, mais aussi l'Egypte, l'Irak, qui connaissent déjà ce malheur. Sans parler de la Syrie et du Liban, où un attentat effroyable vient d'avoir lieu à Beyrouth. Il semble bien qu’un autre futur et une autre époque s'ouvre pour le monde civilisé, engagé dans une guerre contre le terrorisme, celui de Daesh en Syrie/Irak et de ses clones en Afrique.
En frappant la Tunisie ils voulaient se rappeler à elle, à Paris, le coup a été donné avec la volonté de tuer le maximum de gens, les terroristes cherchaient indubitablement à faire un exemple et à mondialiser le conflit syrien, libyen et malien, et provoquer tous les pays de la coalition occidentale. Comme l'attentat qui a abattu un avion russe il y a quelques jours dans le Sinaï, la volonté de ceux qui ont déclaré la guerre à l’occident est clairement de démontrer qu'ils sont capables de frapper n'importe où sur n’importe quel sol et de faire des ravages dans les populations sans distinction.
Dans ce nouveau monde, les populations sont terriblement vulnérables, car le mode de vie moderne ne s'accommode pas facilement d'un risque de cette nature, la guerre en plein centre urbain, qui menace femmes et enfants. La terrible réalité d'un monde devenu fou nous a brutalement rattrapés, et la vie va donc considérablement changer pour tous dans les jours, les semaines et sans doute les mois qui viennent.
Impossible de faire comme si ; comme si les scènes qui se sont passées ne devaient rien changer de nos comportements. Même si bien sûr nous ne devons pas céder au terrorisme et rester unis, ces évènements changent tout, pour tout le monde. Les frontières se ferment les unes après les autres et la xénophobie s’installe. Comme l'a dit le Président américain Barack Obama, c'est « une attaque contre toute l'humanité » qui a eu lieu à Paris.
On le pressent, au vu des événements qui se multiplient, tout autour de la Méditerranée et au Proche-Orient : Avec l'intervention de la Russie en Syrie, avec la déstabilisation de la Turquie qui organise le Sommet du G20 à Antalya, avec la montée de l'intégrisme, de l’extrémisme et du fanatisme partout, on en vient à se demander si ce monde complètement fou n'est pas en train de s'approcher un peu trop du bord du précipice, celui d'une troisième guerre mondiale. Comment ne pas se poser cette question, nous qui avons, jusqu'ici, vécu une paix relative.
Les démocraties, dans le monde, sont apparues fragiles, très fragiles même. D'ores et déjà, l'union sacrée se reconstitue autour du chef de l'Etat, toutes oppositions sont ajournées et les partis politiques suspendent leurs campagnes d’opinion pour un temps. Mais les conséquences politiques de ces attentats sont imprévisibles. Les populations vont-elles faire pression sur les chefs d’Etats pour que l’Etat adopte une position radicale dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » ? C'est ce que voudraient à l'évidence les terroristes. Vont-t-elles au contraire soutenir une guerre ouverte qui devient chaque jour plus inévitable, avec une intervention si besoin est, terrestre contre Daesh ? Comment cependant « gagner » une telle guerre, sans identification claire et précise d’un champ de bataille, et lorsque l'ennemi est partout et nulle part, insaisissable et masqué, jusque dans nos villes?
Mais l’histoire nous enseigne que les choses ne sont pas aussi simples, qu’au contraire elles sont complexes et que leur interprétation est difficile, mais que dans tous les cas il est nécessaire et même impératif de les expliquer. Il faut par-dessus tout relativiser la tempête des média et la récupération politicienne qui tendent à balayer l’objectivité sous un flot continu d’images choc et de petites phrases percutantes. La violence fanatique n’est pas réservée à l’islam puisque pratiquement toutes les religions ont connu leur massacre de la Saint-Barthélemy. En fait c’est la conjugaison de différents facteurs, culturels, ethniques, politiques et sociologiques, qui produisent cette inhumanité. Dans le cas présent, c’est la laïcité qui est au centre de la controverse et qui est décriée en tant que progrès social et il ne faut surtout pas la sacrifier sur l’autel d’un sectarisme d’opportunité au rabais.
La laïcité, valeur de la République est galvaudée par le populisme des uns dans un semblant de solidarité, faisant écho au fanatisme religieux des autres. Les commanditaires des attentats, plus encore que leurs auteurs, visaient le modèle républicain hérité d’une tradition révolutionnaire et non la nation en soi. Il s’agit indéniablement d’un acte de guerre contre l’occident, accusé d’intervention militaire contre l’organisation de l’Etat Islamique mais en filigrane, il s’agit beaucoup plus d’un choc de valeurs. Aussi la meilleure façon de défendre ces valeurs face au terrorisme fondamentaliste, c’est de leur rester fidèles, entièrement, strictement et fermement. Nous sommes tous Français en ces heures sombres où la France est attaquée, où nous sommes attaqués. Dans les quartiers de Paris pris pour cibles, il y avait des jeunes de toutes les nationalités qui vivaient leurs années d’insouciance. Ce sont eux, c'est nous tous, c'est la vie qu'on a assassiné. Nous sommes tous victimes. Mais il ne faut pas que nous nous voilions la face, nous devons nous mettre devant nos responsabilités. Nous sommes musulmans et nous disons que ces actes n’ont rien à voir avec la religion pour nous exonérer de cette responsabilité culturelle alors que nous ne parlons pas de l’Islam à nos jeunes. C’est un sujet tabou dans la plupart espaces. Il faut cependant que tous se rendent compte que ces crimes sont commis au nom de l’Islam même s’il s’agit d’un Islam dévoyé. Cette guerre est déclarée contre nous tous .
On avait, peut-être de façon excessive, assimilé l'attaque contre le musée du bardo et de Sousse à un 11 septembre tunisien. Avec ce vendredi 13 novembre, quelques mois après seulement, et avec un bilan des dizaines de fois plus lourd, que dire alors ? Sommes-nous préparés pour cette guerre-là ? Là est l'enjeu, en mémoire des innocentes victimes qui sont tombées de la main d’un boucher comme sous les balles des tueurs assassins. Après "l'horreur", après les larmes et le deuil, après le sursaut national, il faudra que vienne le temps de l'analyse, de la réflexion, et de l'action, pour apporter des réponses à toutes les questions. En attendant, pleurons la Démocratie et l’Humanité en danger.
Monji Ben Raies
Universitaire
Enseignant et chercheur en droit public
Université de Tunis-El-Manar
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis