Attentats de Paris: Pourquoi ont-ils ciblé le XI ème arrondissement?
Le XIème arrondissement est en pleine évolution. Il est particulièrement animé – bien que ne comptant aucun monument historique, il abrite quand même le musée Edith Piaf et le Cirque d’Hiver - surtout durant le weekend. Le vendredi soir, cafés, clubs, petits théâtres et restaurants grouillent de monde: jeunes, touristes, amateurs de bonne chère et mélomanes peuplent la rue Oberkampf, la rue Jean-Pierre Timbaud, la place Jean Ferrat, les boulevards de Ménilmontant et de Belleville… et s’emparent des boulevards Voltaire et Richard Lenoir, de la Place de la République et des rues alentour. Dans cet arrondissement, bouchers marocains, boulangers tunisiens, pâtissiers algériens, marchands de quatre saisons égyptiens ou djerbiens, tailleurs turcs et cafés chicha tutoient les grandes surfaces, les charcuteries périgourdines, les fromageries berrichonnes, les bars à la mode, les teintureries chinoises et les commerces cacher, polonais ou africains. Les épiceries marocaines et tunisiennes sont ouvertes tard dans la nuit pour servir les nombreux noctambules.
En somme, un arrondissement bien vivant et où il fait bon vivre.
Dans les rues, c’est Babel: à côté du français, on entend parler toutes les langues des Balkans, les idiomes africains et l’arabe avec tous les accents de la Méditerranée. On rencontre des femmes voilées, des jeunes filles habillées à la dernière mode comme on voit des juifs orthodoxes en manteau noir avec phylactères et grands chapeaux et de magnifiques boubous africains. Les chibanis devisent paisiblement sur les bancs de Belleville, de Ménilmontant ou au square de la Roquette. Boulevard Jules Ferry, on joue aux boules comme sur la Canebière. L’église Notre Dame du Perpétuel Secours, boulevard de Ménilmontant, ou celle de Saint Ambroise cohabitent en bonne intelligence avec la Mosquée Abou Bakr Essidiq à Belleville et avec celle d’Omar Ibn al Khattab de la rue Jean-Pierre Timbaud, le Temple de la rue du Pasteur Wagner tout près de la Bastille est à un jet de pierre de la synagogue de la rue Basfroi ou de celle de la rue de la Roquette.
En un mot comme en cent, le métissage et le mélange se donnent libre cours dans cet arrondissement.
En toute liberté
On y côtoie ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas. Et c’est probablement sa liberté de ton, l’harmonie qui le caractérise et la paix qui prévaut entre ses diverses composantes humaines qui ont poussé ces vils assassins à mettre leur funeste et criminel projet à exécution ce vendredi 13 novembre 2015, en maculant du sang des innocents ses rues et les terrasses de ses pimpants cafés. L’horreur et la condamnation de cette violence injustifiable sont absolues.
Que des Arabes et des musulmans s’habituent au brassage des cultures, à la parole libre et vivent pleinement leur vie dans ce Paris qui «est une fête» (Hemingway), dans ce Paris de la culture, dans ce beau Paris, voilà qui révulse ces semeurs de mort. Daech –œuvre de la destruction américaine bushiste de l’Irak- et consorts ne veulent pas que ces musulmans vivent loin des contraintes et des oukases des dictateurs et des émirs, des califes autoproclamés, d’une police qui peut tout se permettre et des moukhabarat sans foi ni loi. Voilà ce que Daech et consorts ne sauraient tolérer. Ils veulent un monde fracturé entre les croyants et les autres. Ils veulent isoler et enfermer dans une geôle étouffante les cinq millions de Français musulmans.
Bien sûr, il ne s’agit pas d’une «guerre de civilisation» car comme l’a dit M. François Hollande, «ces assassins n’en représentent aucune.»
On est lucide dans le XIème arrondissement
Dans le XIème arrondissement, on voit parfois des barbes hirsutes voire teintes au henné et des hommes habillés à l’afghane. On a bien entendu, le 11 novembre 2015, le Premier ministre, M. Manuel Valls, assurer que la France était engagée contre le terrorisme. Le 12 novembre, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales — dépendant du ministère de l’Intérieur — publiait un rapport selon lequel le terrorisme était devenu la seconde préoccupation des Français immédiatement après le chômage. Le matin même du 13 novembre, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, présentait à Nanterre un plan en vingt points pour lutter contre le trafic d’armes. Enfin, il y a eu l’annonce du rétablissement des contrôles d’identité aux frontières, décision qui s’explique par la proximité de la Conférence sur le climat du Bourget COP 21 à laquelle 80 chefs d’Etat vont participer.
Mais nul ne s’attendait à vivre cette barbarie et ce mitraillage à l’aveugle de gens attablés dans un restaurant – comme les pauvres sœurs Saâdi- ou à cette sauvage irruption au Bataclan. Seuls des esprits fragiles, déséquilibrés et morbides sont capables de telles actions.
L’islam n’a rien à voir avec ses actes inqualifiables venus de trafiquants de drogue et de condamnés de droit commun… actes de barbarie qu’on a observés hélas aussi au Bardo, à Sousse, à l’encontre de notre concitoyen Mabrouk Soltani, à Beyrouth, à Bagdad, à Sanaa….Seuls des islamophobes patentés prétendent le contraire. Seuls des islamophobes patentés peuvent oublier ces massacres de Daech en terre d’Islam et balayer d’un revers de main les 77 victimes d’Anders Behring Breivik à Oslo, en juillet 2011 et les crimes de l’Allemagne nazie. En France, Sylvestre de Sacy, Gustave Flaubert, Gustave Courbet, Régis Blachère, Jacques Berque, Mohammed Arkoun, Abdelwahab Meddeb et bien d’autres – innombrables - permettent aux Français d’apprécier à sa juste valeur le message de Mohammed et le legs de la civilisation arabo-musulmane…..si étrangère à ces primates sortis de la jungle salafiste.
On peut ne pas être d’accord avec la politique étrangère du gouvernement français. Le blog du Monde Diplomatique constatait, le 17 novembre 2015, on ne peut plus clairement que: «La politique étrangère française, dont le crédit a été largement atteint par une succession d’hypocrisie et de maladresse, paraît à présent se rallier à l’idée d’une coalition aussi large que possible» dans son combat contre l’EI. De même, Sophie Bessis et Mohamed Harbi écrivent sous le titre «Nous payons les inconséquences de la politique française au Moyen-Orient»: «L’autre matrice du délire rationnel des tueurs djihadistes est la question israélo-palestinienne. Depuis des décennies les mêmes dirigeants occidentaux, tétanisés par la mémoire du judéocide perpétré il y a soixante-dix ans au cœur de l’Europe, se refusent à faire appliquer les résolutions de l’ONU susceptibles de résoudre le problème et se soumettent aux diktats de l’extrême droite israélienne aujourd’hui au pouvoir, qui a fait de la tragédie juive du XXème siècle un fonds de commerce. On ne dira jamais assez à quel point le double standard érigé en principe politique au Moyen-Orient a nourri le ressentiment, instrumentalisé en haine par les entrepreneurs identitaires de tous bords.» Nos deux historiens demandent que l’on exige que «la France mette un terme à ses relations privilégiées avec l’Arabie Saoudite et le Qatar» dont la religion officielle est le wahabisme et poursuivent: «Exigeons aussi de ce qu’on appelle «la communauté internationale» qu’elle fasse immédiatement appliquer les résolutions des Nations unies concernant l’occupation israélienne et qu’elle entérine sans délai la création trop longtemps différée de l’Etat palestinien…» (Le Monde, 18 novembre 2015, p. 23)
Pour ne rien dire de la condamnation par les tribunaux français – unique dans les pays démocratiques - des militants pro-palestiniens appelant au boycott des produits des colonies israéliennes illégales en territoire occupé ou de la position dure adoptée par la France sur la question du nucléaire iranien.
D’ailleurs où en sont les pays arabes et leur Ligue sur ces questions? Où en est leur diplomatie? Où sont leurs armées et leurs immenses arsenaux qui ont enrichi l’Occident? Où en est leur vision du futur du Moyen-Orient?
Dans le monde contemporain, seuls la négociation, le désir de parvenir à une paix durable, le respect de l’Autre et de sa culture permettront de résoudre ces épineuses et terribles questions qui crucifient les populations depuis trop longtemps.
Le XIème arrondissement de Paris le prouve au quotidien - à sa bien modeste échelle. Les frappes haineuses du vendredi 13 novembre 2015 ne sauraient le détourner de cette voie… car si Paris flotte, il ne sombre cependant pas. «Fluctuat nec mergitur», la devise de Paris, trône au beau milieu de la Place de la République, sur son immense statue de bronze.
Mohamed Larbi Bouguerra