Colloque de Moscou sur le terrorisme: le mal et la thérapie
Moscou, de l'envoyé spécial de Leaders Abdelhafidh Harguem - Le colloque qui a réuni à Moscou les 8 et 9 décembre courant des hommes de médias, des chercheurs et des intellectuels de plusieurs pays islamiques a donné lieu à un débat animé portant sur les moyens à mettre en œuvre pour combattre l'extrémisme et le terrorisme ainsi que sur l'attitude devant être observée par les organes d'information face à ce phénomène, au niveau du traitement et de l'analyse des faits s'y rapportant.
En ouvrant les travaux de ce colloque, organisé dans le cadre du Groupe de Vision Stratégique Russie-Monde islamique, le vice-ministre russe des affaires étrangères et envoyé spécial du Président Poutine au Moyen Orient et en Afrique du Nord,Mikhaïl Boudganov a donné le ton: «aux pays islamiques qui ne tolèrent pas l'ingérence dans leurs affaires intérieures d'assumer leur responsabilité dans la lutte contre un grave fléau, qu'est l'embrigadement de la jeunesse par les mouvements terroristes.Une réflexion doit être engagée sur la politique à suivre en matière de médias pour y faire face. La Russie, qui par la voix de son Président a appelé à la mise en place d'une coalition pour combattre le jihadisme est ouverte, à cet égard, à toute forme de coopération», a-t-il souligné.
«Pourquoi commet-on tant d'horreurs aujourd'hui au nom de l'islam ?» s'interroge Vitaly Naumkin, orientaliste, expert en sciences islamiques et spécialiste des affaires du Moyen Orient. Est-ce pour des raisons politiques, économiques, sociales ? Est-ce à cause du conflit Israélo-arabe ? C'est aux journalistes d'expliquer cette énigme, lance t-il. Il estime toutefois que l'occident a détruit les sociétés proche-orientales et les États qui constituaient les piliers de l'ordre arabe, à savoir l'Irak, la Syrie, l'Egypte,la Libye et le Yémen, au nom de la démocratie et de l'élimination des régimes répressifs.
Le diagnostic du mal terroriste
En dépit des spécificités socio-économiques et culturelles propres à chaque pays, les intervenants aux débats partagent pratiquement le même diagnostic du mal terroriste.Ils ont affirmé que l'islam radical gagne du terrain un partout dans les pays islamiques.Les causes en sont notamment:
- les mosquées, les lieux du culte et les institutions religieuses ainsi que des centaines de chaînes satellitaires diffusent un discours se réclamant d'un islam jihadiste, contraire aux valeurs de tolérance et de modération que prône le message coranique, ce qui engendre des lectures différentes de l'islam, d'où la nécessité d'opérer une réforme de la pensée islamique fondée sur la réflexion (ijtihad),
- la faillite des système éducatifs qui ont démontré leur limite quant au développement de l'esprit critique chez les jeunes et la propagation de la culture humaniste.Beaucoup de terroristes ont suivi des études universitaires et ont un niveau académique élevé.
- l'échec dans l'encadrement des jeunes qui, du fait de la pauvreté, du chômage et de l'endoctrinement qu'ils subissent, grossissent les rangs des terroristes,
- les inégalités sociales dues à des modèles de développement inadéquats qui génèrent l'injustice et l'exclusion,
- l'absence de politiques culturelles à même de contrecarrer les courants extrémistes et de promouvoir l'intelligence et l'indépendance de l'esprit,
- Multiplication des sites sur la toile et des pages sur les réseaux sociaux qu'utilisent les organisations terroristes et notamment Daech pour l'embrigadement des jeunes,
A ce sujet,Mohamed Bechari,secrétaire général de la conference islamique européenne et président de la fédération nationale des musulmans en France,dit avoir recensé 35 sites jihadistes autorisés en Europe, notant qu'une véritable armée électronique est mobilisée pour assurer le lavage des cerveaux et faire de la propagande pour Daech. Sur Twitter, près de 100 mille messages sont publiés quotidiennement par les adeptes des courants takfiristes , a-t-il indiqué. Bechari a signalé que 12 mille combattants sont partis d'Europe pour rejoindre ses rangs dont 25 pour cent sont des nouveaux convertis à l'islam et 10 pour cent des filles.
L'attitude des médias face au terrorisme
Certains intervenants ont attribué aux médias un rôle important dans la lutte anti-terroriste consistant à:
- prendre en charge les préoccupations des jeunes et contribuer à leur éducation de manière à les prémunir contre les risques d'endoctrinement par les mouvements terroristes,
- éviter de faire le jeu des terroristes en s'abstenant de relayer leur discours, ou de leur offrir des tribunes, ou encore de les présenter d'une manière qui puisse leur attirer une quelconque sympathie du public, la liberté de la presse ayant des limites qu'il n'est guère permis de dépasser,
- adopter une attitude positive dans le traitement et l'analyse des actes terroristes afin de ne pas contribuer à propager la peur et susciter le découragement chez la population.
- se conformer aux règles déontologiques en s'interdisant la diffusion des images des victimes du terrorisme et de ses horreurs,
A ce sujet, plusieurs intervenants ont mis l'accent sur le manque de professionnalisme chez certains journalistes qui, de ce fait, commettent des erreurs dans la couverture d'opérations terroristes et rapportent parfois des informations dénuées de tout fondement ou pouvant aider les terroristes.Des sessions de formation et de recyclage sont à prévoir pour combler ces lacunes professionnelles.
Propositions pour endiguer le mal terroriste
Du débat s'est dégagé un ensemble de vues et de propositions pour endiguer le mal terroriste.
L'approche ne peut être que globale et multidimensionnelle.Elle est à la fois sécuritaire, économique, sociale, culturelle, éducative, religieuse et médiatique.
L'accent a été mis sur la nécessité d'envisager notamment les actions suivantes:
- organiser une conférence internationale sur le terrorisme sous l'égide de l'ONU,
- promulguer des lois internationales pour combattre ce fléau
- faire tarir les sources de financement du terrorisme et lutter contre le blanchiment d'argent,
- démasquer les associations et les ONG qui reçoivent un soutien financier de parties suspectes qui appuient les réseaux terroristes,
- affronter intellectuellement les courants extrémistes et propager par les moyens d'information et par le biais des programmes éducatifs les valeurs de tolérance et d'égalité entre les hommes par delà leurs différences religieuses et idéologiques,de manière à promouvoir la liberté de conscience,
- encourager la création et la production artistique,
- inciter les médias à jeter la lumière sur les victimes du terrorisme et à traiter des moyens utilisés par les jihadistes dans l'endoctrinement des jeunes.
Chasser militairement Daech d'Irak, de Syrie et de Libye est-il la solution finale du problème terroriste? Assurément non.Vainqueur ou vaincu, Daech ou ses avatars chercheront des points d'ancrage dans d'autres zones troubles, au nord de l'Afghanistan, en Afrique, et ailleurs. Ce n'est qu'une bataille dans une longue guerre coûteuse humainement et financièrement. Dans cette guerre, il n'est pas permis de se tromper d'ennemi. Daech et les autres organisations terroristes ne sont que la partie apparente de l'iceberg.Le véritable ennemi c'est le courant takfiriste qu'ils tentent de propager et les procédés qu'ils emploient pour endoctriner et enrôler des jeunes qui ne sont en fait que le pur produit de nos écoles et de nos systèmes socio-économiques.Comment extirper le mal à ses racines?
Vaste programme!
Abdelhafidh Harguem
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