Le change parallèle en Tunisie : un marché à contrôler
Épatant ! Chaque jour, en arrivant tôt à son bureau au 8e étage, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Chedly Ayari, consulte avec attention, dans le tableau de bord quotidien qu’on lui soumet, les taux de change pratiqués à Ben Guerdane. Et il ne peut s’empêcher de s’en étonner. Comment le dinar tunisien parvient-il à tenir bon face à tout cet immense marché parallèle des devises qui exerce au vu et au su de tous dans l’impunité.
Le marché de change de Ben Guerdane est des plus actifs. Ils sont entre 200 et 300 cambistes permanents à y exercer, «régulièrement», de part et d’autre de cette grande artère appelée...Wall Street. Dans une excellente thèse de doctorat soutenue à Sciences Po, Paris, intitulée «Courir ou mourir : course à el khobza et domination au quotidien dans la Tunisie de Ben Ali», Hamza Meddeb en fait une description fidèle. «Ces changeurs, écrit-il, peuvent subvenir facilement au besoin journalier dans n’importe quelle devise du commerce informel». De larges extraits de cette recherche fouillée, enrichis et mis à jour viennent d’être publiés dans un ouvrage collectif paru en octobre dernier aux éditions Karthala à Paris, sous le titre de «L’État d’injustice au Maghreb. Maroc Tunisie». Le chapitre est intitulé : «Rente frontalière et injustice sociale en Tunisie». Chercheur à Carnegie Middle East Center, il a également écrit une étude pour International Alert sous le titre de «Jeunesse et contrebande. Itinéraires de dépossession et dynamiques d’exclusion». A lire absolument.
Une étude commandée par le ministère des Finances apporte des éclairages utiles. «Les mécanismes du commerce informel réclament de pouvoir mobiliser un capital commercial important en peu de temps, y lit-on. Les grands grossistes du change, ou «sarrafa» basés à Ben Guerdane (qui, selon Mohamed Haddar, seraient au nombre 5) ont réussi à monopoliser cette fonction. Ils contrôlent et alimentent la place.»
Légaliser les bureaux de change
Que faire ? Faut-il continuer à faire semblant d’ignorer ce phénomène et le laisser s’amplifier sans le moindre contrôle ? Ce n’est pas l’avis du gouverneur de la Banque centrale et du ministre des Finances. Il est en effet temps, estiment-ils, d’organiser un système de bureaux de change, et d’élargir progressivement ses prérogatives. En effet, la loi de finances pour l’année 2016 soumise à l’examen des députés prévoit une disposition appropriée.
Ces bureaux de change légalisés seraient autorisés dans une première étape à procéder à l’achat des devises et leur conversion en dinars. Ils pourront par la suite effectuer d’autres opérations de change, notamment la gestion des allocations touristiques.