La contrebande en Tunisie : Toute une économie dans l’économie et de grands risques sécuritaires
Le ministre des Finances n’a pas hésité à le révéler : l’économie informelle a dépassé les 53% du PIB. Elle se nourrit essentiellement de la contrebande qui totalise, à partir des frontières avec la Libye et l’Algérie, pas moins de 1,8 milliard de dinars. Ce chiffre est mentionné par une étude commandée par le ministère des Finances sur l’estimation du commerce informel aux frontières terrestres tunisiennes. Elaborée par une équipe d’experts (L. Ayadi, N. Benjamin, S. Bensassi et G. Rablland), elle estime que ce montant ne représente que 5% des importations totales (hydrocarbures, céréales, intrants industriels, etc.), mais constitue la moitié des importations officielles à partir de la Libye et encore plus, en provenance de l’Algérie.
Listes des produits, circuits empruntés, dès la commande à l’étranger, jusqu’à l’introduction frauduleuse en Tunisie, prix pratiqués et intermédiaire : tout l’écosystème est décortiqué. Cette enquête sur le terrain fait référence à un travail remarquable entrepris par Mohamed Haddar, intitulé : «Rapport sur les relations économiques entre la Tunisie et la Libye, auprès du Plan régional d’environnement et de développement durable du gouvernorat de Médenine (PREDD), et de la Table ronde économique (TRE) Médenine».
Haddar a recensé plus de soixante grands grossistes qui opèrent dans «le commerce informel», euphémisme administratif pour qualifier la contrebande, à partir de Ben Guerdane. Ils sont organisés par spécialité :
- 15 dans le textile
- 10 dans l’alimentation
- 10 dans l’électronique et l’électroménager
- 5 dans le tabac
- 5 dans le tapis
- 5 dans les vêtements
- 3 dans les pneus
- 3 dans la quincaillerie
- 3 dans les cosmétiques
- 2 dans les meubles.
Au total, 3000 personnes s’adonnent à ces activités de commerce informel pour leur compte, ce qui constitue la principale occupation dans la localité et représente 20% de la population active. A ce nombre, il faudrait ajouter ces commerçants occasionnels et itinérants appelés «khawatta». L’étude a dénombré un passage quotidien de 200 à 300 véhicules de petit et moyen tonnage qui s’acquittent en toute taxe douanière de la modique somme forfaitaire de 50 DT par cargaison. Quant aux camions de 38 tonnes, les plus fréquemment utilisés, ils seraient entre 120 et 280 par jour, selon les périodes et les produits.
Les commandes sont passées auprès de leurs fournisseurs dans le monde entier, notamment en Turquie, Chine et autres pays sud asiatiques. La marchandise arrive en Libye, souvent par les ports de Zliten, Misrata et Tripoli où elle sera débarquée et routée vers la frontière tunisienne. Le transit se fait généralement par le poste frontalier de Ras Jedir.
Les plus-values réalisées sont très importantes. Tout se fait en cash, dans différentes devises. Où va cet argent ? Et quelle est la part qui revient au financement du terrorisme? La jonction entre trafiquants et narcotrafiquants, mais aussi mouvements salafistes takfiristes n’est plus à démontrer. Le mal est là.