Le mandat du Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie : mythe ou réalité
Nous ne prétendons donc pas montrer
comment les hommes pensent dans les
mythes, mais comment les mythes se
pensent dans les hommes, et à leur insu.
(Claude Lévi-Strauss)
La question du mandat du Gouverneur de la Banque centrale rebondit encore une fois sur la scène médiatique nationale. Mr Chedli Ayari annoncé partant suivant une rumeur persistante, tiendrait la barre selon Mr Slim Chaker,l’actuel Ministre des Finances jusqu’à 2018, date d’expiration de son mandat.
Cette déclaration est appréciable car il est rare qu’un ministre des finances évoque publiquement le mandat du gouverneur.
Le débat sur le mandat du Gouverneur s’inscrit en réalité dans le droit fil d’une réflexion plus générale et toujours actuelle sur l’indépendance de la Banque centrale elle-même. La banque centrale doit-elle être Indépendante? Et si elle l’était, serait-elle nécessairement crédible ? L’indépendance renforce-t-elle l’efficacité des politiques économiques? Autant de questions cruciales qui continuent à nourrir et à raviver le débat économique.
Mais définition d’abord :qu’entend-on au juste par indépendance ? Le principe d’indépendance se définit par rapport au gouvernement ; il recommande de priver ce dernier de la possibilité de faire des injonctions à la banque centrale. Les promesses électorales d’un niveau d’activité économique plus soutenu ainsi que la tentation d’un financement plus aisé des déficits publics à travers la création additionnelle de monnaie incitent en effet à soustraire aux gouvernements l’instrument monétaire pour le confier à des organismes plutôt techniques,les banques centrales, car moins exposés aux « political business cycles » et aux influences des diversgroupes de pression et donc plus aptes à mener une politique monétaire saine et à même derassurer les opérateurs économiques.
Le statut du Gouverneur figure suivant une opinion largement partagée, parmi les critères incontournables à travers lesquels le degré d’indépendance des banques centrales est mesuré.(1)
Toutes les études empiriques qui ont construit des indices d’indépendance des banques centrales incluent systématiquement dans leur panier celle du gouverneur : la durée du mandat, la procédure de nomination, les conditions de limogeage, le régime des incompatibilités, la rotation etc…(2)
L’indice de rotation (turnover) est pour les besoins de ce propos, le plus significatif ; il est obtenu en calculant le nombre de changements de gouverneurs sur une période donnée. En présupposant que le gouverneur aura du mal à mettre sur pied des politiques de long terme durant un mandat court, une rotation élevée indique un niveau faible d’indépendance. Autrement dit, plus le mandat est long, moins les pressions politiques sont importantes.(3)
D’un autre côté, l’absence de possibilité de reconduction écarterait la tentation pour le Gouverneur d’être « conciliant » avec les hommes politiques. Ainsi, le Gouverneur de la Bundesbank, dont l’indépendance est reconnue, a un mandat non reconductible de huit années, alors que nombre de gouverneurs de Banques centrales d’Europe sont nommés pour une durée indéterminée mais peuvent être révoqués à tout moment.
Le mandat du Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie repose sur cette pétition de principe qu’il est consacrédans la loi de 1958 etsuivant une certaine opinion,qu’il est encore en vigueur sous la Constitution du 29 janvier 2014. Cette thèse est toutefois sujette à dispute car combien la question du mandat peut non pas être résolue mais tout simplement dissoute pour peu que nous prenions en considération certains enseignements que procurent le Droit et son arrière-plan politique.
Nous voudrions ici, faire entendre la voix d’un juriste et tenter modestement, de déplacer un peu la perspective sur laquelle s’épuisent depuis longtemps spécialistes et banquiers centraux dès lors qu’il est question de mandat et de démontrer que celui-ci a fait l’objet le long de la période prérévolutionnaire d’une réelle contestation (I) avant que le Constituant de 2014 ne scelle définitivement sa négation (II).
(I) La contestation du mandat
«Ces astres qui, d’un seul élan, se
hissent au plus haut du ciel du
vocabulaire sont-ils autre chose
que des étoiles filantes ? Est-ce à leur valeur d’explication ou au
snobisme du jour qu’ils doivent
leur succès, périssable comme lui ?»
L’arrangement retenu par les rédacteurs des Statuts de 1958 semble a priori renvoyer à un idéal démocratique, le Gouverneur étant désigné par une autorité élue au suffrage universel, le Président de la République.En détachant son mandat des cycles électoraux, les Statutsauraientde surcroitpermis au Gouverneur de « survivre » à son recruteuret à son Gouvernement, lui conférantainsi une indépendance même relative.
Force est de souligner toutefois que les Statuts rompentrésolument avec cet idéal en proposant une rédaction qui, quoique conciliable avec le contexte éminemment hostile d’alors (B) reste d’une fébrilité manifeste (A).
(A) Un texte fébrile
La loi organique relative à la Banque centrale confie au Gouverneur un mandat de six ans, durée plus longue rappelons le, que celle des mandats politiques.
S’inscrivant dans le même sillage, la loi soutient l’idée d’indépendance du Gouverneur, notamment, en posant clairement le principe de l’incompatibilité desa fonction avec toute charge législative ou gouvernementale, en entourant son investiture de la solennité qu’indique la prestation du serment et en lui accordant le bénéficie d’un régime de rémunération et d’avantages en nature privilégié.(4)
Jusqu’ici le texte est cohérent, sauf que le législateur s’est empressé de préciser que: « le Gouverneur ne peut être relevé de ses fonctions que par décret du Président de la République ».L’effet utile de cette disposition est double. D’abord la loi confie au seul Président de la République le soin de relever le Gouverneur de ses fonctions à l’exclusion de toute autre autorité. C’est beaucoup plus cette exclusivité ou cette exclusion, c’est selon, qui justifie l’emploi de la forme négative ici,quoique la forme affirmative auraitrendu croyons-nous le même sens. Ensuite et c’est l’essentiel, la disposition précitée pose le principe de la révocabilité du mandat alors que ce dernier suggère voire, requiert qu’il ne soit éteint que par l’effet du temps, le décès, la maladie grave ou la démission et sans l’intervention du Président de la République qui, toujours dans l’observance de la période de six ans, peut tout au plus à l’expiration du terme, soit renouveler le mandat soit nommer un nouveau Gouverneur. Cette révocabilité est dite« adnutum », ou « sur un signe de tète » c’est-à-dire qu’elle s’exerce sans condition de délai et sans besoin d’être motivée.
Ceci est corroboré par la pratique suivie depuis la création de la Banque centrale. Aucun Gouverneur en effet, n’a accompli jusqu’à terme son mandat initial ou renouveléet depuis sa création, onze Gouverneurs ont présidé à sa destinée. Ceci autoriseàse demander sila disposition critiquéegarde encore quelque intérêt, car de mémoire de banquier central, on n’y a fait recours que lorsque le Président de la République pour les besoins du décompte de la durée du mandat initial, entendait reconduire le Gouverneur dans ses fonctions. Paradoxalement, le mandat du Gouverneur n’estpas ainsi pris en compte ex ante mais plutôt ex post.
La fébrilité du texte des Statuts sur le mandat du Gouverneur marque aussi l’exercice même de la mission principale de la Banque centrale dont il est le dépositaire privilégié. Plus le mandat de l’Institut d’Emission est clair, plus l’indépendance est affermie. Si la Banque Centrale Européenne est citée en exemple en tant qu’institution indépendante c’est notamment en raison de la clarté de son mandat : préserver la stabilité des prix. Nous soulignerons à ce propos que le mandat assigné à la Banque centrale le long de son parcours etau-delà des formulations diverses qu’il a reçues, consisteà lutter contre l’inflation.(5) Orcette compétence n’est ni unique ni exclusive. Elle n’est pas unique car la Banque centrale doit « prêter son appui à la politique économique de l’Etat »(6) ; ce qui fragilise déjà l’exercice de la politique monétaire et affecte son efficacité et au-delà la crédibilité de l’institution. Elle n’est pas non plus exclusive car le Gouvernement est autorisé par les Statuts mêmesà « délibérer sur les questions intéressant la monnaie et le crédit »(7) provoquant du coup unréel conflit positif de compétence, difficile à résoudre à l’avantage de la Banque Centrale. Certes, le Gouverneur est consulté à ces occasions, mais cette consultation outre qu’elle confirme le partage des compétences en la matière entre la Banque centrale et le Gouvernement, (elle)autorise à s’interroger sur le caractère consultatif ou conforme de l’avis du Gouverneur.
Il est vrai que le Gouverneur a toujours la latituded’élever le conflit en alertantpour arbitrage le Président de la République « de tout fait (y compris donc le fait du Gouvernement) qui de son avis peut porter atteinte à la stabilité monétaire », mais cette latitude signifie encore une fois que le Gouverneur ne décide pas seul ni en dernier ressort et ne dispose paspour ainsi dire, de la plénitude de compétence(8).
Le mandat du Gouverneur comme la compétence principale de la Banque centrale ont ainsi valeur de principes certes proclamés par la loi, mais des principes qui souffrent nombre d’exceptions de toute importance.Or, trop d’exceptions ne font pas un principe,surtout que le contexte dans lequel opèrent le mandatdu Gouverneur et celui de la Banque centrale est profondément hostile.
(B) Un contexte hostile
Le droit est l’expression d’arbitrages éminemment idéologiques et politiques. Ce postulat s’applique au mandat de la Banque centrale et à celui du Gouverneur, leur lecture ne pouvant en effet gagner en pertinence que si nous tenions compte de la « disposition des choses »(9) retenue dans la Constitution de 1959 et des pratiquesd’exercice du pouvoir sous son règne.
Dans ce cadre, le recours fréquent à la révocation ad nutum ne repose pas uniquement sur des raisons juridiques tant il est vrai qu’elle semble s’inscrire également dans une mouvance soutenue de «politisation» de l’institution et dans la logique des arrangements institutionnels qui prédominaient alors.
La Banque centrale est une institution juridiquement dissociée du Gouvernement comme l’indique le bénéfice de la personnalité morale. Elle est aussi une institution technique qui oppose au pouvoir gouvernemental son expertise dans le domaine monétaire et en tant qu’autorité administrative subordonnée, sa neutralité vis-à-vis des contingences politiques.
Mais ce constat restejusticiable de plus d’une objection dont trois sont pour nous, d’une importance toute particulière.
La première objection est que l’indépendance de la Banque centrale n’est pas la « solitude » car « la maitrise de l’inflation est l’affaire de tous »(10). En effet, si la politique monétaire menée par la Banque centrale impacte les autres agrégats macro-économiques et que son exercice n’estsomme toute que le prolongement de l’action gouvernementale, l’institution n’est pas responsable politiquement. Or, dans un modèle idéal de démocratie, il ne peut être admis que la politique monétaire, instrument de la politique économique, soit soustraite au contrôle du citoyen. Les dirigeants des banques centrales n’étant pas élus, ne peuvent du reste réclamer valablement un statut indépendant du pouvoir exécutif. « Aucun Gouvernement ne pourrait cacher ses erreurs en incriminant une masse monétaire erratique au-delà de son contrôle. Et si l’accusation est réelle, aucun Gouvernement ne peut tolérer une banque centrale incompétente »
La deuxième objection renvoie àla prééminence du pouvoir exécutif, en particulier celle du Chef de l’Etatsous la première Constitution du pays. Celui-ci orientela politique générale de l’Etat et nomme le Premier ministre et les ministres ainsi qu’aux hautes fonctions civiles et militaires. Les nominations se font et se défont sans obéir à une logique uniforme et la navette entre la rue Hédi Nouira et la Kasbah ne choquait personne(11).La durée du mandat du Gouverneur quoiqu’elle soit encadrée par les Statuts, n’échappe pas à cette pratique constitutionnelle. Nous garderons en mémoire la réaction sage du Gouverneur Khélilà l’occasion de l’amendement des Statuts en 1988. Le Gouverneur,de crainte que s’il venait d’être remercié, on lui « inventerait » une faute qu’il n’aurait pas commise,déclina l’initiative du département juridique de la Banque centrale quisoucieux de lui épargner l’humeur du pouvoir, lui proposa decirconscrire la révocation dans le seul cas de la faute grave.
Enfin et c’est la dernière objection, la crédibilité de la Banque centrale en tant qu’autorité neutre a été largement entamée depuis le changement politique intervenu en janvier 2011. Nous ne pouvons pas ne pas évoquer les accusations multiples et répétées qu’a subies l’Institut d’émission. En effet, longtemps discrète et sereine, la « citadelle »en effet, a été livrée sous une image plutôt négative à l’opinion publique, aux médias nationaux et même étrangers ainsi qu’ aux nouvelles forces politiques du moment et a vu son Gouverneur sortir de sa réserve qu’implique pourtant son statut, pour exprimer parfois son opinion sur des questions d’ordre éminemment politique, s’écartant ainsi d’une vieille tradition, particulièrement dans les vieilles démocraties, où les Gouverneurs de banques centrales ne s’adressent que rarement aux marchés et aux leaders d’opinion et conformément aux lois qui régissent leur condition juridique, s’interdisent de se frotter aux intérêts politiques.
La contestation du mandat du Gouverneur induite par les facteursdivers développésplus hautet moyennant cette « épée de Damoclès » qu’est la révocabilité ad nutum a fini par banaliser le mandat et baliser le terrain pour sa négation.
(ii) la négation du mandat
«Les naturalistes enseignent que
l’autruche, quandelle se sent
menacée, commence par
dissimuler sa têtederrière un
caillou. Bientôt elle entrouvre un
œilet prend alors le caillou pour
une montagne, craint d’être
écrasée, et s’enfuit vers les filets
que leschasseurs ont tendus».
(Henri Mazeaud)
L’après 14 janvier 2010 offrait à la Banque centrale une opportunité réelle pour récupérer son statut d’autorité technique indépendante. Certains de ses personnels l’ont d’ailleurs compris pour avoir tenté auprès des constituants, d’inscrire l’autonomie de l’institution dans la loi constitutionnelle du 16 décembre 2011 dite « la petite Constitution ».(12) Cette tentative, louable en soi, n’a malheureusement pas abouti, bien au contraire, car les arrangements politiques et institutionnels « postrévolutionnaires » ont hypothéqué provisoirement le mandat du Gouverneur (A) avant de le confisquer pour longtemps (B).
(A) Le mandat hypothéqué
La loi de Béni Métir autant que la pratique vécue indiquent un rapprochement organique et fonctionnelentrele Gouverneur et le Gouvernement.
D’abord, car depuis la révision de 1988 le mandat de Gouverneur n’est plus incompatible avec la qualité de ministre.(13)
Ensuite parce que le Gouverneur est invité à assister sinon systématiquement, en tout cas souvent aux Conseils des ministres et à délibérer sur des sujets qui parfois, sortent manifestement de son périmètre de compétence. Cette pratique contraste résolument avec les dispositions pertinentes des Statuts qui limitent la concertation avec le Gouvernement et l’alerte du Président de la République strictement aux questions qui ont une incidence sur la monnaie.
L’aboutissement de cette perception des choses fut l’œuvre de Mr Med Ghannouchi qui, appelé à l’orée du changement politique intervenu le 14 janvier 2015 à former un Gouvernement, a inclu curieusement dans sa liste, un nouveau Gouverneur pour la Banque centrale.
Prenant le relais, la « petite Constitution », s’est résolument démarquée du mode de désignation du Gouverneur consacré dans les Statuts pour instaurer un régime en apparence plus démocratique, mais qui traduit en réalité les pesanteurs politiques du moment puisque la nomination du Gouverneur et sa révocation devaient recueillir désormais l’assentiment de la « Troïka » au pouvoir.
La « petite Constitution » dispose à cet effet que « Le Gouverneur(…) est désigné par arrêté républicain après consensus entre le Président de la République et le chef du Gouvernement (…)et après approbation(…)de la Constituante ».La révocation elle, obéit à la même procédure sauf qu’elle peut intervenir également à l’initiative de l’Assemblée.
Cette alchimie fut semble-t-il bien accueillie chez la Banque centrale car le Gouverneur nous dit-on tirera dorénavant sa légitimité du Constituant lui-même, autorité élue démocratiquement par le peuple ainsi que du Président de la République, élu pour sa part, au suffrage universel indirect.
Il faut souligner toutefois que le « consensus » implique le Chef du Gouvernement; ce qui constitue déjàun recul « historique » par rapport aux Statuts. Nous avons expliqué en introduction que l’indépendance s’apprécie par rapport au Gouvernement. Or voici que son chef, en partageant l’initiative avec le Président de la République et en disposant du pouvoir de décliner les candidatures ou de rompre le consensus, se trouve investi d’un véritable droit de veto.
Ce mode de désignation/révocation du Gouverneur pouvait se justifier un tant soit peu dans un contexte de transition politique et de criseéconomique et sociale qui suggérait de maitriser les hommes et les instruments de gouvernement de l’économie. Tant hélas s’en faudrait, car la nouvelle Constitution en lui ôtant une garantie même relative, le mandat,a confisqué définitivement l’indépendance du Gouverneur.
(B) Le mandat confisqué
La Constitution reprend globalement le processus de désignation du Gouverneurconsacré par la « petite Constitution », sauf qu’elle écarte la règle du consensus pour donner au Chef du Gouvernement un pouvoir plus franc, celui de proposerau Président de la République son candidat au poste de Gouverneur. Sous le régime du consensus, nous pouvons deviner que l’un et l’autre fassent des concessions pour se mettre d’accord, alors que sous le régime de la proposition, formalité substantielle à notre avis, c’est le Chef du Gouvernement qui choisit le Gouverneur sur la base de critères que lui seul établit. Certes le Président de la République peut décliner la proposition, tout autant que la Chambre des Représentants du peuple investie du pouvoir d’approuver ou de désapprouver in fine la candidature, mais ce sera toujours autour du choix retenu par le Chef du Gouvernement et à partir de sa propre initiative que le processus sera déclenché et le débat engagé.L’absence de conditions d’éligibilité à la fonction nià son exercice donneraitalorsà craindre que le choix duGouverneur soit opéré sur la base de critères plutôt subjectifs où la « docilité »risque de primer sur la fermeté.
L’implication du Chef du Gouvernement est d’ailleurs cohérente avec les nouveaux aménagements institutionnels apportés par le Constituant, lesquels ont opéré dans le sillage de la « parlementarisation »du régime politique, un glissement des compétences du Président de la République consacrées dans la Constitution de 1959 vers le Chef du Gouvernement. Aujourd’hui, c’est lui « qui détermine la politique généralede l’Etat (…) et veille à sa mise en œuvre, préside les conseils des ministres et exerce le pouvoir réglementaire général ».
Pour ce qui concerne la révocation, la Constitution ne pose aucune condition de délai ni aucun motif. Il est mis fin aux fonctions du Gouverneur « de la même manière ou à la demande d’un tiers des députés et avec l’approbation de la majorité absolue des membres ». Comme la « petite Constitution », le texte n’évoque pas le mandat ni sa durée.
D’aucuns considèrent que le mécanisme du mandat est toujours opposableaux pouvoirs constitués et avancent à ce titre que le silence de la Constitution sur la question serait un simple oubli, une lacune réparable par recours aux Statuts qui eux, posent la règle du mandat. Mais n’en déplaise, car pour nous, les dispositions de la Constitution fixent de manière non équivoque le nouveau régime juridique qui régit la révocation du Gouverneur et s’inscrivent en rupture totale avec l’idée de mandat, confirmant sa condition juridique précaire et essentiellement révocable.
En effet, le principe de la hiérarchie des normes donne la primauté à la règle de rang supérieur sur la règle de rang inférieur en cas de conflit entre celle-ci et celle-là. Au concret la Constitution, acte initial l’emporte sur la loi, acte dérivé.
L’une des déclinaisons de ce principe est qu’une règle de rang supérieur , ne peut renvoyer à une règle de niveau inférieur. Peut-elle tout au plus confier à une règle inférieure et postérieure le soin du détail.
Nous pouvons prétendre alors que les dispositions pertinentes des Statuts sur le mandat du Gouverneur ont été tout simplement abrogées par la Constitution. Mieux, le projet de refonte des Statuts s’il reconduisait le principe du mandat, risquerait sérieusement d’être frappé sur ce point, d’inconstitutionnalité.
*****
Les dispositions législatives sur le mandat du Gouverneur et au-delà, sur l’indépendance de la Banque centrale sont le produit d’un mimétisme juridique coupable, car il est admis que lorsqu’on transpose les modèles, qui du reste peuvent être valables dans leur contexte d’origine, il faudra toujours veiller à ce que cela soit entrepris « mutatis mutandis », c’est-à-dire en concédant l’effort intellectuel utile pour les adapter à leur environnement d’accueil. Or sur cette question comme surbeaucoup d’autres, la réceptivité de ce dernier n’est pas toujours démontrée. Dans ce même ordre d’idées, Il est admis également que la règle juridique n’est jamais pérenne et qu’elle évolue en fonction des intérêts et des enjeux nouveaux qui la fondent et qui assoient sa légitimité. Dans sa quête perpétuelle du sens profond des mots et de l’écriture,le juriste se doit toujours de chercher à concilier la règle avec ses sous-jacents de tout ordre etdene pas oublier qu’en général « lorsque les murs bougent, c’est que dans ses profondeurs la terre tremble ».(14)
Samir Brahimi
Ancien Directeur général à la Banque centrale
et Secrétaire général de la CTAF;
ancien membre du Collège du CMF;
ancien membre du Groupe d’Action
Financière Moyen Orient et Afrique du Nord;
Ancien Directeur général de QNB-Tunis
****
(1) Cukierman A., S.B.Neapti (1992) « Measuring the independence of central banks and its effects on policy outcomes”,Word Economic Review, Vol.6 N°3, pp 353-398.
(2) op. cit
(3) op.cit
(4) articles 9 § 3 ; 8 §3 et 17 §2 de la loi n° 58-90 du 19 septembre 1958 portant création et organisation de la Banque Centrale de Tunisie ;
(5) articles 33 de la loi précitée : « la Banque Centrale a pour mission générale d’exercer le contrôle de la circulation monétaire et de la distribution du crédit » ; article 33 de la même loi amendé par la loi n°88-119 du 3 novembre 1988 « la Banque Centrale a pour mission générale de défendre la valeur de la monnaie et de veiller à sa stabilité (…) ; article 33 de la même loi amendé par la loi n° 2006-26 du 15 mai 2006 « la Banque Centrale a pour mission générale de préserver la stabilité des p
(6) article34 § 1 de la loi ;
(7) article 8 § 2 ;
(8) article 34 § 3 ;
(9) Montesquieu, De l’esprit des lois,livre xi, chapitre vi ;
(10) Tirée du discours de Mr Lionel Jospin à l’occasion du colloque célébrant le bicentenaire de la Banque de France ;
(11) Il s’agit notamment de feu Hédi Nouira, doyen des gouverneurs, nommé Premier ministre et du Gouverneur Baccar, ministre des finances, nommé gouverneur.
(12) loi n° 2011-6 du 12 décembre 2011 portant sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics ;
(13) article 15 (nouveau) de la loi n°88-119 du 3 novembre 1988 ;
(14) Jean RIVERO, Droit public et droit privé, conquête ou statu quo ? Dalloz, 1947, chronique p.61.