Mansour Moalla : Sauver la Tunisie
On ne reconnaît plus la Tunisie, après la fin du règne du héros de l’Indépendance, le pouvoir désastreux d’un dictateur, une révolution confisquée par le parti islamiste auréolé par les prisons du nouveau maître du pays et enfin le sursaut provoqué par de « vraies» élections législatives et présidentielles en 2014 et la profonde déception provoquée par la gestion des nouveaux dirigeants et l’agitation de leurs partisans qui commence à friser le ridicule, se souciant peu de la considération conférée au pays et à ses citoyens par le prix Nobel.
Ce processus de dégradation doit s’arrêter. Il faut sauver le pays avant qu’il ne soit totalement épuisé. Tout un chacun en est conscient. Pour ce faire, il faut des réformes profondes, audacieuses même si elles risquent d’être douloureuses. Le chef de l’Etat l’a annoncé mais on ne voit rien venir et aboutir.
Eviter un exécutif à deux têtes
Il y a lieu d’abord d’éviter la confusion gouvernementale d’un exécutif à deux têtes. On a voulu utiliser à la fois le régime présidentiel et le régime parlementaire. Il a été suffisamment démontré qu’ils sont incompatibles.
L’élu au suffrage universel finit par dominer la scène. Le défaut du régime présidentiel, dont le pays a longtemps souffert, est que le Président, élu pour 5 ans, est incontrôlable : aucune autorité constitutionnelle ne pouvait mettre fin à ses erreurs ou limiter ses abus. Il doit donc éviter de se mêler du «quotidien» et rester l’arbitre et le recours. Sinon, à qui s’adresser lorsque rien ne va ? En revanche, le chef du gouvernement est contrôlable et on peut le sanctionner s’il n’est pas à la hauteur de sa mission. Ce qui arrive aujourd’hui : le gouvernement est oublié et on attaque le Président, ce qui risque de discréditer le régime et de détériorer la crédibilité du pouvoir
Calmer l’agitation politique et sociale et combattre le terrorisme
Cela étant, et pour réussir à sauver le pays, il faut calmer l’agitation sociale qui ne fait que s’aggraver. La grève est un droit peut-être mais elle instaure le désordre, incompatible avec tout redressement économique. Les syndicats devraient participer au gouvernement et comprendre les problèmes de l’intérieur : c’est plus positif. C’est mieux que la participation du parti islamique qui doit d’abord se «tunisifier» et éviter l’utilisation politique de la religion d’autant plus que cette confusion ne peut qu’entraîner des malheurs, comme on le constate en Egypte et ailleurs, et donner naissance au terrorisme. La lutte contre ce dernier fléau s’impose. Il compromet toute chance de redressement économique, en installant l’insécurité et la peur.
Priorité à la croissance économique
Ce sont là des préalables inévitables pour redresser la situation et espérer une reprise de la croissance économique presque nulle aujourd’hui et qui risque de devenir négative avec son cortège de chômage, de déficit et de restrictions et une agitation politique dangereuse.
Il y a lieu, s’il le faut, de consentir des sacrifices importants pour créer les conditions d’une croissanceÚ
Úéconomique du même ordre que celle qui a été obtenue depuis l’indépendance et avant la Révolution, c’est-à-dire de l’ordre de 5% par an, ce qui est un objectif minimum. Ces sacrifices pourront se traduire par la réduction de certaines charges publiques de gestion et l’on doit l’accepter. La gratuité des services publics ne doit plus être un dogme. Chacun doit les rémunérer à la hauteur de ses moyens. On peut ainsi dégager les ressources nécessaires pour rétablir la sécurité et la stabilité.
Les réformes
Ces sacrifices peuvent être supportés et acceptés si des réformes profondes et importantes sont réalisées même si elles nécessitent de l’audace et un grand patriotisme. Ces réformes sont connues. On peu les énumérer et les expliciter rapidement, chacune d’elles nécessitant de longs développements.
La réforme de l’Etat : décentralisation, déconcentration
Il s’agit d’abord de la réforme de l’Etat : instaurer une décentralisation réelle et importante et une déconcentration effective pour rapprocher le pouvoir des populations concernées, les intéresser à leur sort et les responsabiliser et en faire des citoyens et non des êtres passifs attendant tout du sommet. J’ai évoqué cette réforme avec plus de détails dans un précédent numéro de Leaders. Déconcentration et décentralisation allègeront les charges de l’Etat central et introduiront la société civile dans la vie réelle du pays. L’Etat doit progressivement se délester de tout ce que la société civile peut entreprendre : cela va du transport terrestre, ferroviaire, aérien et maritime jusqu’à la santé ou l’éducation, en commençant par l’importation du thé et du café ! Gérer convenablement les attributions de souveraineté : justice, diplomatie, défense, sécurité est déjà un vaste champ d’action qu’on ne peut déléguer à personne. Parallèlement, les organismes de sécurité sociale doivent être responsabilisés et dynamisés, ce qui nécessite des mesures précises et urgentes.
Eviter le monopole
Les organisations économiques et les entreprises étatiques doivent faire l’objet d’un examen critique profond et l’Etat ne doit garder que celles qui dépassent les moyens de la société civile. Celles gardées ne doivent pas détenir de monopole, synonyme de mauvaise gestion, qu’il s’agisse du transport, de l’énergie, des mines, de l’eau par exemple. L’Etat pourra ainsi les gérer plus efficacement.
En réalité, l’Etat ne doit devenir gestionnaire que lorsqu’on ne peut pas faire autrement. Un gestionnaire n’est jamais parfait et s’expose à l’erreur et aux difficultés. L’Etat doit l’éviter dans toute la mesure du possible pour ne pas se discréditer. Un Etat mauvais gestionnaire ne peut pas exiger la bonne gestion des autres acteurs économiques. L’exemple de la principale banque étatique est évident. L’Etat peut contrôler toutes les banques sans avoir à en gérer une ou plusieurs, ce qui ne peut être pour lui qu’un handicap sérieux.
La Tunisie : un pays modèle
En conclusion, on peut dire qu’il est temps que le pays et ses dirigeants fassent le point le plus tôt possible et établissent, dans le cadre du Plan en cours, l’élaboration de toutes les réformes nécessaires dont on vient de donner quelques exemples. Sans ces réformes, le pays est condamné à la régression et à la décadence. Aucun patriote sérieux ne peut l’accepter. Surtout pas ceux qui ont eu la chance et le bonheur de participer à la construction de l’Etat tunisien indépendant et qui espéraient et espèrent encore qu’on pourra en faire un Etat modèle, ce qu’il n’est pas encore, mais qui peut le devenir. La Révolution a accouché d’un Etat républicain qui se veut démocratique : il faut espérer que la liberté et l’efficacité viendront s’appuyer mutuellement pour sauver le pays et en faire réellement un Etat modèle, et le prix Nobel doit nous encourager à participer à ce redressement national qui s’impose à toutes les catégories de la population.
Mansour Moalla