Caïd Essebsi à Leaders : L'alliance avec Ennahdha et Essid à la Kasbah : «Des choix nécessaires, judicieux» (Photos et Vidéo)
Un an après son accession à la présidence de la République, le président Béji Caïd Essebsi persiste et signe. Il défend sa décision de nouer une alliance avec Ennahdha et plus largement une coalition gouvernementale et de porter un «indépendant», Habib Essid, à la tête du gouvernement. Ces choix, il les estime non seulement nécessaires, mais aussi judicieux. Aussi, si l’année 2015 a été pour lui «très difficile» malgré nombre d’aspects positifs qu’il souligne, il s’attend à ce que 2016 soit «meilleure». Le chef de l’Etat revient aussi sur la relance de la diplomatie tunisienne, considérant qu’elle sera bénéfique pour le pays. Au lendemain de son retour d’Arabie saoudite et à la veille du premier anniversaire de sa prise de fonction à Carthage, le président Caïd Essebsi a bien voulu répondre en exclusivité aux questions de Leaders.
Comment a été votre visite en Arabie Saoudite?
Excellente ! Nous avons été très bien reçus par Sa Majesté le Roi Salmane Ibn Abdelaziz qui nous a envoûtés par son charme et son amitié pour la Tunisie. D’autant plus qu’il est le fils du Roi Abdelaziz Al Saoud, un grand ami de Bourguiba, qu’il avait reçu il y a plus de 60 ans. Les relations bilatérales sont solides et solidaires.
Vous êtes rentré à Tunis avec des résultats concrets ?
Ce n’était pas le but essentiel de la visite. Mais l’avenir proche est porteur de très bons résultats et d’une coopération fructueuse. L’Arabie saoudite n’a pas manqué de réitérer sa solidarité à l’égard de la Tunisie.
L’année 2015, la première depuis votre accession à la présidence de la République, aura été intense…
Très difficile. Nous avons trouvé une situation très délicate. Beaucoup plus qu’attendu. Il aura fallu parer rapidement aux urgences. Les plus dangereuses sont celles du terrorisme qui, d’ailleurs, a durement frappé la Tunisie au moins trois fois. La première au Bardo, visant notre civilisation et notre culture, en plus d’un pilier de notre économie, le tourisme. La deuxième fois, à Sousse, ciblant encore plus le tourisme et s’attaquant à des hôtes. Et la troisième fois, visant des éléments de la garde présidentielle, et cherchant à s’attaquer directement à l’Etat. Mais l’Etat est resté debout et le restera toujours. Comme depuis plus de 3 000 ans.
Et sur le plan international?
La Tunisie a repris sa place dans le concert des nations. J’ai multiplié les visites à l’étranger, et reçu aussi nombre de dirigeants de pays frères et amis en Tunisie. Avec notre voisin, l’Algérie, les relations sont excellentes. Nous entretenons une grande coopération pour combattre le terrorisme. Les frontières sont bien sécurisées. J’ai également effectué une visite importante aux Etats-Unis, la seconde sous le président Barack Obama, pour réaffirmer les relations traditionnelles entre nos deux pays et les inscrire dans une perspective d’avenir. La visite d’Etat en France, qui est notre premier partenaire économique, mais aussi un grand partenaire au sein de l’Union européenne, aura été un grand moment, tout comme notre participation au sommet du G7, réuni sous la présidence de la chancelière Merkel en Allemagne. La coopération avec les sept grandes puissances mondiales est importante. Par ailleurs, j’ai répondu aux invitations que j’ai reçues du président Sissi pour me rendre en Egypte, de Sa Majesté le Roi Abdallah de Jordanie pour une visite au Royaume hachémite et de Sa Majesté le Roi Carl XVI Gustaf pour me rendre en Suède. Autant d’occasions pour redéployer notre diplomatie et lui rendre son éclat.
Il y a aussi les visites effectuées en complément par le chef du gouvernement, elles revêtent un réel intérêt. Il avait en effet représenté la Tunisie à la célébration du 70e anniversaire de l’ONU et au Sommet des Objectifs du développement durable, en septembre dernier à New York. Ce fut pour lui l’occasion de s’entretenir notamment avec le président Obama, la chancelière Merkel et le secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-moon. Le chef du gouvernement avait également conduit la délégation tunisienne au sommet COP 21, tout récemment à Paris, il s’était rendu en visite officielle en Algérie, en Allemagne, en Italie, en Jordanie et au Qatar. Vous voyez bien que la Tunisie reprend intensément son dynamisme diplomatique, du reste très utile pour nous.
Comment s’annonce pour vous l’année 2016?
Meilleure que les précédentes. Nous allons nous employer pour qu’elle le soit. Et il faut que tous les Tunisiens se mobilisent pour sortir le pays de l’ornière dans laquelle il se débat actuellement.
Il faut reconnaître que nous avons terminé l’année 2015 dans de bonnes conditions et trouvé le processus consensuel qui nous a permis d’aboutir à de bons résultats. Parmi les grandes réalisations, on peut citer la paix sociale, grâce aux accords scellés. Il ne faut pas oublier non plus l’obtention du Prix Nobel de la paix qui, précisément, vient consacrer ce processus de concorde, plébiscitant le dialogue et la concertation en mode approprié choisi par la Tunisie.
On parle de crise politique, de blocage du système, avec un parti qui gagne les élections et ne veut pas envoyer l’un de ses dirigeants à la tête du gouvernement, du deuxième parti qui ne s’inscrit pas dans l’opposition, et d’une coalition qui suscite des ambiguïtés…
La Tunisie a un gouvernement de coalition qui fonctionne bien. L’opposition, ils sont plusieurs à l’incarner : le Front populaire et d’autres partis. Nous respectons l’opposition, mais elle aussi doit respecter la majorité.
Pour ce qui est d’Ennahdha, le problème ne se pose pas comme vous l’avez mentionné. Si pour la présidentielle, il n’y a qu’un seul élu, pour les législatives, quatre partis sont arrivés en tête. Ils représentent la volonté des électeurs. Nidaa Tounès est arrivé premier, avec 89 sièges, suivi d’Ennahdha, avec 65 sièges, et des deux autres partis, l’UPL et Afek. Nous devons tenir compte du verdict des urnes et du choix du peuple qui seul détient la souveraineté. S’il a désigné quatre partis en tête du classement, on doit respecter sa décision qui, d’ailleurs, a été adoubée par l’Assemblée des représentants du peuple, faute de majorité absolue obtenue par un seul parti. Il y a là un message de stabilité dont on doit tenir compte.
Et pour ce qui est du choix du chef de gouvernement?
M. Habib Essid est un indépendant qui n’appartient à aucun parti mais bénéficie de leur soutien. J’estime que c’est un choix judicieux. Vous savez, on nous avait longuement accusés de vouloir monopoliser la vie politique.
Nidaa Tounès a donné une bonne leçon en proposant, pour former le gouvernement, une personnalité qui n’est pas issue de ses propres rangs. Et d’ailleurs, c’est pour cela que le gouvernement réussit.
Etes-vous optimiste?
Très optimiste ! Si j’avais le moindre doute, je ne me serais pas présenté à la présidentielle. J’ai la conviction que la Tunisie va s’en tirer et qu’elle va aller de l’avant dans la voie de la consolidation de la démocratie. Et c’est ça la partie la plus difficile. Il faut que la démocratie soit consacrée dans la vie de tous les jours. Elle ne le sera que par l’action de tous ses enfants, sans exclusion sauf de ceux qui s’excluent d’eux-mêmes.