Le Voile: Parlons-en!
«Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux autres ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre!», George Orwell.
Plus je pense à mes filles et à l’environnement que je vais leur laisser après mon départ vers l’inconnu, plus j’ai honte! En effet, l’environnement que m’ont laissé mes parents était bien meilleur que celui dans lequel elles vivent actuellement.Je l’avoue très humblement: j’ai échoué, nous avons tous échoué! Ce n’est pas possible qu’après 60 ans de lutte acharnée pour garantir les droits des femmes, nous en soyons encore là! Qu’aurait-il fallu faire de plus ou différemment que nous n’ayons pas fait? Est-il imaginable que nous ayons encore besoin d’expliquer que les femmes constituent 50% de toutes les sociétéset qu’il n’y a absolument pas de différence qu’on soit né(e) de sexe féminin ou masculin!
Mais encore, est-il possible, durant les 5 ou 10 prochaines années, de redresser la barre et d’arriver enfin à faire comprendre aux Tunisien(es), qu’il est de l’intérêt des hommes, des enfants, des familles et de toute la société de garantir que les femmes soient des citoyennes à part entière, heureuses, épanouies et bénéficiant des mêmes choix et opportunités que les hommes?
Ces cinq dernières années, la Tunisie, où auparavant, la majorité des femmes n’éprouvait ni l’envie ni le besoin de couvrir leur tête, a insidieusementbasculé vers une majorité inverse. Cette majorité peut atteindre 85% dans les petites villes et villages où des petites filles commencent aussi à se voiler la tête.
Ce qui me rend perplexe, c’est cette hypocrisie ambiante où les uns et les autres font semblant de ne pas remarquer ce changement sociétal.La majorité parait ne pas être intéresséeni vouloir chercher à comprendre ce changement radical.Les citoyens ont-ils perdu le courage même de poser les vraies questions ou sont-ilspassésmaîtres dans la censure ou plutôtl’autocensure?
J’appartiens à cette génération qui est née avec une grand-mère, mère, tantes et cousines etc,sans voile. Mes souvenirs d’enfance sont remplis d’images de jolis «Séfsaris» blancs ordinaires ou en soie, en fonction des évènements. Durant mon adolescence, ce séfsari a disparu et ma mèrel’a troqué contre des robes, des tailleurs et des foulardsde toutes les couleurs, choisis avec une grandeattention et goût.
J’appartiens aussi à cette génération qui, à l’exception de la Tunisie, a vu, en l’espace de 30 ans,plus de 150 millions de femmes de la région Arabe se couvrir la tête au début, puis s’habiller de noir de la tête aux pieds et certaines d’entre elles, ne garder de visible qu’une paire de yeux, qu’elles couvrent parfois, de fausses lunettes de vue.Ces femmes, qui auparavant avaient des tenues appartenant à leur cultureancestrale, permettant de différencier la Mauritanienne de la Soudanaise, ou de la Yéménite….ont contribué à l’uniformisation des tenues vestimentaires. Les femmes, dont les maris travaillaient dans les pays du Golfe,et voulant ressembler aux femmes riches du Golfe, ont remplacé leur habits culturels par ces longues Abeyyas noires.Certaines Jordaniennes, Palestiniennes, Syriennes et Yéménites ont adopté un long imperméable bleu marine ou kaki qui m’a toujours interpelée car ressemblant à un certain uniformeimposé par un quelconque mot d’ordre dont je n’arrive toujours pas à déchiffrer le code.
Si certains prétendent que l’origine du voile est un précepte religieux, cela voudra dire que la génération de ma grand-mère et de ma mère(ainsi que tous nos exégètes) n’avait pas compris les textes religieux!Quelle offense à la mémoire deces femmes profondément pieusesqui priaient, jeûnaient et étaient même allées à la Mecque. Que s’est-il passé depuis cette fameuse journée où Bourguiba, devant les medias, a ôté le séfsari de cette militante, quila caché quand il fuyait le colonfrançais et qui se trouve être aussi l’arrière-grand-mèrepaternelle de mes propres filles?
Je ne suisni anthropologue, sociologue, ou psychologue et pourtant, j’ai le droit, en tant que citoyenne tunisienne, de poser au moins la question: Pourquoi la Tunisie, après avoir résisté plus de 60 ans, a-t-elle fini par basculer et se laisser envahir par cette marée noire, ce deuil collectif sans fin?
Le voile doit se remettre sous le feu des projecteurs afin de sortir de la «normalité» dans laquelle il semble s’être sournoisement glissé.Pour cela, je me propose d’esquisser 7 pistes de réflexion dans l’espoir que cela incitera toutes les expertises à apporter leur pierre à cet édifice qui nous aidera à mieux nous comprendre les uns les autres afin de nous opposer à la division de la nation Tunisienne en deux groupes antagonistes, qui font semblant de s’ignorer tout en dissimulant mal leurhostilité, animosité et aversion réciproques!
1. La piste religieuse: Beaucoup d’experts des religions, de toutes nationalités,se sont évertué à expliquer que le Coran n’a jamais exigéle port du voile pour la femme. Ils argumentent d’ailleurs leur thèse, analysant le contexte de certains versets ethadithsque je n’ai nul besoin de rappeler ici. Leurs arguments sont très convaincants sauf pour celles et ceux qui s’évertuent à ne pas vouloir les admettre, affichantun entêtement suspect. Donc si le voile n’est pas un précepte religieux, qu’est ce qui explique son portquasi-généralisé?
2. La piste historique:Au-delà de la génération de ma mère, j’aurai pu parler aussi du public féminin de la grande diva Om Kalthoum qui à99% n’était pas voilé. Plusieurs photos ont aussi circulé sur le net d’étudiantes, au Caire, des années 50 à80démontrant qu’au début, aucune d’entre elles n’était voilée et puis chaque année, certaines ont commencéàle faire pour arriver àaujourd’hui,où,à part les Egyptiennes chrétiennes et quelques irréductibles, 95% des femmes le sont. Peut-on croire que ces générations de femmes auraientpu enfreindre un précepte sacré ou que le Sheikh Al-Azhar de l’époque aurait pu oublier de parlerd’uneprescription aussi sérieuse?
3. La piste Wahhabite:Qu’un idéologue propose une nouvelle lecture des textes religieux et invente de nouveaux préceptes, je peux le comprendre, maisce que je n’arrive pas àsaisir, c’est la facilité avec laquelle, lui et ses adeptes ont pu convaincre ces 150 millions de femmes Arabes, (je ne parle même pas des Indonésiennes, Malaysiennes, Africaines et autres musulmanes),d’abandonner leur propre lecture et celle de leur ancêtredes textes sacrés,pour la remplacer par la thèse wahhabite.D’autres personnages ont aussi joué un rôle majeur dans cette généralisation du port du voile. J’ai moi-même eu une réunion de plus de deux heures avec l’Egyptien Amr Khaled, pour essayer de comprendre, pourquoi et comment a-t-il pu séduire tellement de jeunes filles, de par le monde Arabe,pour les convaincre de couvrir leur tête. Je suis même allée plusieurs fois dans l’église où Amr Khaled a appris la manière dont ils faisaient leur prêche. Rien de tout ce que j’ai découvert n’a pu me convaincre de cette fascination,au contraire, j’avoue que son sourire artificiel et son manque d’authenticité m’ont assez déplus et ont représenté,pour moi,une insulte à l’intelligence de toutes les femmes.
4. La piste psychologique: Il est impératif que les psychologues nous expliquent le comportement de certains hommes qui exigent que leur femme se voile par peur du regard des autres hommes. Ou encorequ’ils expliquent le comportement de ces femmes, qui, sans y êtreobligées, décident elles-mêmes de se couvrir la tête. En faisant cela, quel message veulent-elles faire passer à la société? Ont-elles réellementcru le mensonge que leurs cheveux sont d’une telle beauté que tous les hommes vont y succomber? Pour ma part, chaque fois que j’en ai eu l’opportunité, j’ai toujours demandé aux hommes si réellement les cheveux de la femme avaient un quelconque effet sur eux ?Sans exception, ils m’ont répondu que non. Les psychologues devront aussi analyser l’impact sur les enfants de ce changement sociétal. Par ailleurs, l’hypocrisie qui me gêne c’est que, d’une part, ces femmes prétendent cacher leurs cheveux mais s’évertuent à décorer leurs longues robes et voilesde strassesqui vont à l’encontre dece besoin de se cacher du regard des hommes. Je ne trouve aucune explication à cette contradiction doublée d’une injure à la beauté et à l’esthétique.
5. La piste de soumission de la femme: En quoi convaincre ou obligerles femmes à se voiler seraitun signe de leur soumission? Que gagnent les hommes qui l’exigent?Que gagnent les femmes qui le font délibérément et qui poussent d’autres femmes à le faire? Que gagne la société? La Tunisie a-t-elle réussià devenir plus développée grâce à la propagation du voile? Couvrir de noir la région Arabe a-t-il rendu ses citoyens plus heureux, plus productifs, plus démocrates?Ce choix a-t-il ramené la paix et la sécurité dans la région?
6. La piste de l’esclavage mental: Les relations hommes-femmes sont les mêmes partout. Voilées ou pas voilées, les sociétés ont les mêmes comportements qu’elles veuillent le reconnaitre ou pas. La seule différence c’est qu’il existe des sociétés plus hypocrites que d’autres. Elles se livrent d’ailleurs à la même fausse compétition de vouloir faire croire aux autres qu’ils sont les plus pieux. L’Orient a toujours vécu dans le mensonge et l’illusion de vouloir faire croire qu’il est plus conservateur que l’Occident. Même les femmes quiprétendentêtremodernes, en acceptant le voile,ne voient en la femme qu’un corpsdénudé de tout esprit et de toute intelligence qu’il faut camouflerà tout prix. Les hommes qui se prétendent progressistes, par leur silence complice, ont l’air d’avoir complétementdémissionné,donnant l’impression que c’est un problème de femmes et non pas de société. Les gouvernants, confuset sans projet, ne savent plus s’il faut autoriser ou condamner le port du voile à l’école ou dans l’administration!
7. Une médiocrité ambiante s’est abattue sur la société Arabe qui les laissesans voieni vision, comme si tout d’un coup, le cerveau des 370 millions de cette population, s’étaitarrêté de fonctionner. L’Occident se débat lui-même dans la mêmeproblématique et semble avoir perdu le nord car la mêmemédiocritéparait s’êtreabattue sur ses hommes et ses femmes d’Etat. Quelle ironie de l’histoire que le monde développé et sous-développé habitent dans le même navire sans capitaine! Les vrais Leaders sont-ils devenus une espèce en voie de disparition ?
Pour conclure, le temps est venu de mettre ce sujet sur le tapis dans le cadre d’un débat plus vaste sur l’importance du choix de lalaïcité de l’Etat Tunisien et de l’impératif de la séparation de la religion et de l’Etat. 60ans après son indépendance, la Tunisie se doit d’être pionnière de cette nouvelle bataille, sans laquelle, n’importe quel rêve deDéveloppement serait illusoire!
Khadija T. MOALLA, PhD