De l’existence d’un modèle de développement
Il n’y a rien en définitive qui soit plus étranger au développement économique et social que la prétention à sa modélisation absolue. Il n’existe au demeurant nulle part un modèle de développement pouvant servir de référence suprême, d’exemple à reproduire ou à imiter qui ait réussi à traverser les âges, les cultures et les continents.
Il n’existe pas davantage un chemin balisé que tout pays doit suivre impérativement pour déclencher le processus et pour s’assurer de sa pérennité. Il existe par contre une condition que tout processus de développement doit remplir : accroître la productivité des facteurs afin d’augmenter durablement le revenu réel et de modifier le profil de la demande. Sans ce triptyque, il n’y a point de développement. Quoi qu’il en soit, le développement, en tant qu’action et résultat de l’action, se définit comme l’ensemble des «transformations des structures économiques, sociales, institutionnelles et démographiques qui accompagnent la croissance, la rendent durable et, en général, améliorent les conditions de vie de la population». Or aucune similitude n’existe à cet égard d’un pays à l’autre, encore moins quand il s’agit d’institutions ou de démographie. Le cas du Brésil n’est en effet pas comparable à celui de l’Inde, de la Chine, de la Corée du Sud ou de l’Afrique du Sud. Et à supposer que l’on confonde entre développement et croissance, ce qui est inadmissible, on admettra qu’il n’existe pas davantage de modèle universel de croissance puisque des différences substantielles existent aussi entre pays industrialisés tôt (Grande-Bretagne) et pays industrialisés tard (le Japon), entre pays «capitalistes» et pays «ex-socialistes».
En fait, la référence à un modèle de développement idéalisé, qu’aucun des postulants à sa réalisation ne définit avec précision, est dangereuse. D’abord parce qu’elle laisse croire qu’il suffit d’appliquer ce modèle pour résoudre d’un seul coup tous les problèmes socioéconomiques d’un pays en proie à des blocages ou des freinages du développement. Or un travail critique doit s’exécuter préalablement sur les origines de ces phénomènes sinon ceux-ci persisteront et condamneront le modèle de substitution à souffrir des mêmes insuffisances. Ensuite parce que la définition d’un modèle de développement ne doit pas être pensée par rapport à un cadre fixe et rigide, encore moins par rapport à des modèles de croissance qui étaient valides dans un contexte historique national et international déterminé.
Jadis la transposition brutale d’un certain «modèle de développement» dans un pays aux données institutionnelles, démographiques, culturelles et socioéconomiques particulières constituait l’apanage des supposés doctrinaires «collectivistes». Elle est aujourd’hui l’apanage des triomphants doctrinaires «libéraux». Dans un cas comme dans l’autre, la soumission doctrinale, fruit de l’état des rapports de force du moment sur le plan politique et théorique, conduit à transposer ce qui n’est pas transposable, à une différence près toutefois : si les premiers étaient mus essentiellement par la fascination de la création et le patriotisme, les seconds ne le sont que par l’opportunisme et la complaisance. n
Habib Touhami