Le droit au service de l’emploi
Plusieurs solutions sont aujourd’hui proposées dans l’urgence, sous la pression de la rue, pour faire face à la crise de l’emploi en Tunisie:
- Le Premier ministre, en tête, préconise le recrutement de 23000 demandeurs d’emploi et l’intégration dans l’armée de 30.000 autres. Ces mesures sont jugées, pour la plupart, tout simplement utopiques.
Au passage, une vérité, que les pouvoirs publics n’ont pas osé révéler à ce jour aux tunisiens, mérite d’être soulignée ici : la capacité de recrutement du secteur public s’est rétrécie de façon très significative depuis l’ajustement structurel imposé par le FMI à la Tunisie en 1986 qui a amené le pays à la libéralisation de son économie, enlevé à ce secteur son double statut de principal acteur économique et de principal pourvoyeur d’emplois et transféré progressivement ce pouvoir économique et social au secteur privé. Dire aujourd’hui que le travail est un droit constitutionnel pour tous les tunisiens est une fiction que l’Etat ne peut plus assumer à présent et une contre-vérité qu’il faut dénoncer même si ce droit est inscrit dans la Constitution. - Des hommes d’affaires soutiennent que si chacune des 300.000 entreprises existantes en Tunisie recrute 1 seul demandeur d’emploi tout le chômage sera absorbé. Mais ils oublient que le tissu économique tunisien est constitué de très petites entreprises qui n’emploient que peu de personnel.
- D’autres misent encore sur l’encouragement des investisseurs étrangers et nationaux dans les régions défavorisées par des incitations fiscales et des aides financières. Reste que ces incitations et aides ont montré très vite leurs limites et demeurent inefficaces si la sécurité et l’infrastructure sont défaillantes et la rentabilité de l’investissement n’est pas assurée.
- Enfin, dernière proposition en date, celle de Monsieur Mansour Moalla : chaque entreprise recrute, en supplément et sans considération de sa capacité d’emploi, 15% de son effectif. Une proposition à connotation socialiste incompatible avec l’économie tunisienne, aujourd’hui libérale.
Toutes ces solutions ont un dénominateur commun : les recrutements proposés se font toujours en surcharge c’est-à-dire sans qu’il y ait un besoin réel de personnel. Les entreprises vont ainsi en supporter le coût sans recevoir de contrepartie réelle.
Pourtant, il existe une solution simple, à forte valeur ajoutée, donc créatrice de richesse, immédiatement applicable, non couteuse ni à l’Etat ni au secteur privé, qui n’implique pas un financement contraignant et qui ne demande qu’à être identifiée: Mettre le droit au service de l’emploi.
Cette solution se résume ainsi: L’Etat détient, par le biais de l’Assemblée des Représentants du Peuple (l’ARP), un pouvoir très puissant, le pouvoir de légiférer. Ce pouvoir va être utilisé ici, au nom de l’intérêt général, pour apporter des modifications à certains textes législatifs ou créer de nouveaux textes, générateurs d’emplois car il suffit souvent d’une simple retouche législative, d’ajouter ou de modifier un seul terme ou une seule expression dans une disposition donnée, pour créer des milliers d’emplois comme nous allons le constater dans ces quelques exemples :
Premier exemple, tout récent : La loi des finances pour la gestion de 2016 a prescrit l’utilisation de caisses enregistreuses pour les ventes à consommer sur place, l’objectif de cette prescription étant exclusivement le contrôle fiscal de ces ventes. Or, une telle mesure a un impact direct sur l’emploi. Elle permet, en effet, de créer plusieurs emplois dans tout le processus de sa concrétisation : importation ou fabrication des caisses, transport, installation, maintenance, formation, utilisation …
Deuxième exemple: L'absence de nomination d’un commissaire aux comptes (CAC) dans les sociétés à responsabilité limitée (SARL) ayant atteint les seuils de sa nomination est sanctionnée à l’article 147 de notre code des sociétés d’une amende de 500 à 5000 dinars. Il n'existe pas en Tunisie de statistiques précises dans ce domaine mais l'on peut estimer à, au moins, 25000 SARL qui ont atteint les seuils de nomination d’un CAC et qui n'ont pas respecté cette obligation, pourtant d’ordre public.
En France, pays connue par son indulgence en matière pénale par rapport à la Tunisie, le législateur, convaincu qu’une simple amende ne serait pas dissuasive pour cette infraction, l’a sanctionnée, en plus de l’amende, d’un emprisonnement.
L’application de l’exemple français en Tunisie, pour faire respecter cette obligation, créera des milliers d’emplois qui vont contribuer à l’amélioration de la gestion des sociétés auditées, renforcer leur compétitivité et apporter de la crédibilité à leurs états financiers auprès notamment des bailleurs de fonds.
Troisième exemple: L'absence de tenue d'une comptabilité ou une comptabilité irrégulière est actuellement sanctionnée en Tunisie en cas de faillite par une amende (art. 289 du code pénal) en dépit de la gravité de cette infraction lorsque l'on sait que la comptabilité est:
- la base unique de calcul de l'impôt réel sur les bénéfices et de recouvrement de la TVA, donc la source des principales recettes de l’Etat,
- la source d'informations de base pour tout système de gestion dans les entreprises
- un moyen de preuve devant les tribunaux et un outil d'expertise et, donc, de justice.
La sanction de cette infraction est, donc, à renforcer, comme c’est le cas en France, par l'emprisonnement afin d’inciter les entreprises à respecter cette obligation d’intérêt général.
Les diplômés en sciences de gestion et de comptabilité, aujourd’hui en chômage, trouveront ainsi un emploi.
Quatrième exemple: La comptabilité analytique est un outil de gestion incontournable. Sa mise en place dans les entreprises tunisiennes doit être regardée par les pouvoirs publics comme un dispositif d'intérêt général compte tenu des grands avantages qu’il présente pour l’économie tunisienne : réduction des coûts, renforcement de la compétitivité des entreprises et, donc, développement des exportations et des recettes en devises, et meilleure gestion des entreprises grâce à une connaissance précise de leurs coûts.
En Tunisie, il y a au moins 100.000 entreprises, toutes activités confondues (industrielles, commerciales, agricoles et prestataires de services), qui sont dans le besoin de ce dispositif.
L’instituer dans ces entreprises, c’est créer un gisement d’emplois au bonheur des jeunes diplômés en chômage.
Cinquième exemple: Le taux des entreprises en difficultés dues à une gestion défaillante est relativement élevé en Tunisie. Rendre obligatoire le diagnostic de la gestion des entreprises par des cabinet de consulting agréé pour apprécier une fois par an certains paramètres de gestion est de nature à redynamiser le marché de l’emploi, en plus que ce diagnostic est un excellent moyen de prévention des difficultés et des faillites des entreprises.
Sixième exemple: Dans la majorité de nos entreprises, les conditions d’hygiène et de sécurité sont très critiques. L’institution de l’audit obligatoire de l’hygiène et de la sécurité des travailleurs dans les entreprises et l’application des recommandations de l’audit créera tout un éventail d’emplois pour la fabrication ou l’importation, la maintenance et le fonctionnement du matériel, la formation du personnel utilisateur, … et améliorera sensiblement les conditions de travail dans les entreprises.
Septième exemple: En Tunisie, comme dans tous les autres pays en voie de développement, il existe, de part et d’autre de la classe moyenne, des personnes très pauvres et d’autres très riches. Dès lors, créer un élan de solidarité entre les tunisiens n’est pas une mission impossible pour peu que notre dispositif législatif institue cette solidarité. On peut imaginer la participation obligatoire, par chaque propriétaire des quartiers aisés, à l’effort national de soutien des zones défavorisées, par exemple, par la construction dans ces zones d’un logement, d’une salle d’école, ou la création d’un point d’eau…
En plus de son attrait social, cette mesure contribuera énormément à la résorption du chômage en Tunisie.
Ces quelques exemples montrent bien que le droit est un outil extrêmement efficace pour :
- Résoudre l’équation de l’emploi,
- Créer de la croissance, et donc de la richesse pour faire face à des besoins jusqu’ici non satisfaits.
- Et générer de nouvelles recettes fiscales grâce à cette croissance.
La mise en oeuvre de cet outil nécessitera la création d’une commission interministérielle qui aura pour mission d’analyser notre arsenal législatif et d’identifier les modifications à apporter et les nouveaux textes à ajouter, à fort impact sur l’emploi.
Une belle occasion à offrir à notre droit pour fournir du travail aux demandeurs d’emploi et participer activement au développement de notre économie.
Salah Amamou