Guy Sitbon : A Ben Guerdane, l’ennemi est là mais l’État est lui aussi bien présent
C’est un lieu commun que d’affirmer « au Sud tunisien, comme au Yémen, en Syrie, en Irak, l’État est réduit à néant. » Ni police, ni armée, ni administration. La population serait livrée à elle-même. Ces dernières semaines, je lisais cette lapalissade, je crois bien dans Le Monde, en me grattant la tête. Depuis six, sept mois je n’avais plus remis les pieds à Ben Guerdane, Zarzis, Médenine, j’imaginais mal qu’en si peu de temps, les choses se soient détériorées à ce point. J’y avais vu un Sud tunisien pareil à lui-même : frondeur, largement ouvert à la clandestinité contrebandière, axé sur l’immigration et le business mais méconnaissable à ceux qui comme moi avaient fréquenté, il y a un demi-siècle, ses gourbis sordides, ses rues caillouteuses, ses enfants en haillons.
Aujourd’hui, les maisons neuves champignonnent à perte de vue, les policiers règlent la circulation, les pharmaciens vous accueillent avec un français sorbonnard, des jeunes gens bac plus deux vous démontrent par a plus b que Daech n’est pas ce monstre que les médias se complaisent à nous brandir et à Rémada (Rémada !) les feux rouges sont respectés, la caserne s’active tout autant que le Centre culturel (à Rémada !). Ce serait donc cette région qui, subitement, aurait sombré dans le chaos. Bizarre. J’interroge le doyen Habib Kazdaghli de passage à Paris, C’est vrai que dans le Sud, l’autorité de l’État s’est envolée ? Pas du tout, m’affirme-t-il de sa voix aussi délicate qu’énergique. L’ennemi est là mais l’État est lui aussi bien présent. Merci Doyen, c’est exactement ce que viennent de mettre à nu les prévisibles événements de Ben Guerdane.
Ben Guerdane, signe d’abord une cinglante rossée administrée à Daech. Voilà des mois qu’ils mitonnent leur coup, stockent leur arsenal, aguerrissent leurs spadassins à la témérité sans borne. Ils opèrent en pays conquis. Beaucoup sont du cru où parents, amis, complices pullulent. Alors que soldats et gardes nationaux demeurent en garnison. La population, baignée dans le trafic transfrontalier, ne voit pas d’un bon œil les fonctionnaires tatillons ; elle se réjouirait de les voir prendre une déculottée. Pour finir, les jeunes à la frontière du jihadisme n’y sont pas rares. On les a vus, on les connaît. Les commandos terroristes jouaient sur du velours. Ils ont bu la tasse.