News - 13.03.2016

Assurance maladie: Un régime complémentaire qui cible la classe moyenne

Assurance maladie: Un régime complémentaire qui cible la classe moyenne

Les ménages des classes moyennes ne se soucient pas de la sécurité alimentaire (satisfaction des besoins physiques de base) et bénéficient de sources de revenus plus stables que les pauvres. Par opposition à ces derniers, ils aspirent accéder à de meilleurs services publics et privés de soins de santé pour répondre à des besoins « d’estime sociale» et « d’appartenance sociale ».  La mise en place d’une politique spécifique de sécurité sociale au profit de la classe moyenne pourrait contribuer à son renforcement et à renforcer la stabilité sociale et politique du pays. Un nouveau régime d’assurance maladie complémentaire pourrait être très approprié à cette classe. Ce régime permettrait d’offrir des prestations de soins, pour les maladies ordinaires, au-delà du plafond fixé dans le régime de base de la Cnam. Il serait assez proche des régimes obligatoires de ‘’ tiers payant ‘’ ou de ‘’remboursement des frais de soins’, en d’autres termes contributif mais avec plus d’éléments attractifs pour ses affiliés. En se basant sur des études économiques spécifiques aux assurances et aux procédures de couverture médicale, la présente note se propose de mener une réflexion sur la question visant à fournir des conditions efficaces améliorant l’accès aux soins pour la classe moyenne, sans pour autant nuire à l’efficience du système de santé, et sans affecter l’équilibre budgétaire de la Cnam ni les finances des entreprises.

Les dépenses en soins de la classe moyenne sont 7,7 fois plus importantes que celle des pauvres, ce qui s’explique par un recours plus important aux soins dans le secteur privé à cause de la détérioration et de la lenteur des services du secteur public. Les régimes complémentaires pourraient constituer une solution pour répondre aux besoins des ménages de la classe moyenne, qui ont les moyens pour payer de plus importantes contributions en contrepartie d’une assurance santé garantissant de meilleures prestations. Ce régime complémentaire s’installerait dans une logique consistant à accompagner et à compléter le régime de base tout en l’adaptant aux besoins de la population cible. Il offrirait des prestations de soins au-delà du plafond fixé dans le régime de base pour les maladies ordinaires de l’assurance maladie.

La sélection adverse et le risque moral constituent des problèmes importants en assurance santé. La sélection adverse peut à terme entraîner de gros déficits pour tout assureur public ou privé. Deux solutions: (1) La différenciation de l’offre et l’instauration d’une autosélection. (2) L’instauration de contrats facultatifs à options comportant une franchise obligatoirement à la charge du ménage.

On parle de risque moral lorsque le risque supporté par l’assureur est aggravé par le comportement des personnes assurées. Ainsi on a une surconsommation de soins. Pour pallier les effets négatifs du risque moral, on offre une assurance maladie incomplète par le biais de franchises ou de la coassurance ou on ajuste les primes en fonction de la consommation de soins passée (bonus-malus) et en fonction de l’information sur le comportement de l’assuré, que ce soit ex ante ou ex post.

Au terme de cette analyse, nous pouvons tirer des conclusions quant aux opportunités d’un régime complémentaire d’assurance maladie pour la classe moyenne en Tunisie. Au regard de l’objectif de la consolidation des acquis de la classe moyenne, l’instauration d’un régime complémentaire d’assurance maladie avec un moyen de contribution plus incitatif pourrait être une solution. Par ailleurs, ce nouveau régime ne devrait pas forcément concerner tous les ménages de la classe moyenne. Il pourrait cibler, dans une première étape, la classe moyenne ayant un revenu déclaré à hauteur de 2.5 fois le Smig.

En se basant sur la dépense totale du ménage tirée de l’enquête INS 2010 et les différents taux de cotisation pour l’assurance maladie avant et après l’instauration de la Cnam, nous avons procédé par une analyse de statistiques comparatives. Nous avons pu tirer les conclusions suivantes relatives aux cotisations et aux remboursements : le régime actuel de la Cnam reçoit en moyenne et par an 663 D et rembourse 320D pour un ménage appartenant à la classe moyenne stable (contre 152D reçu d’un ménage de la classe pauvre pour le même remboursement 320D). Avec l’instauration d’un régime d’assurance maladie complémentaire moyennant  l’intervention de l’Etat, la Cnam peut recevoir 862D et rembourser 520D. Ce qui permettrait de procurer à la classe moyenne un remboursement plus généreux des frais de soins tout en gardant constant le budget de la Cnam.

Etant destiné à la classe moyenne stable, un salaire de 2.5 fois le Smig serait la condition d’adhésion à ce régime, ce seuil représente la borne inférieure de revenu de la classe moyenne stable. Les adhérents à ce régime vont bénéficier d’une amélioration des taux de couverture des soins pour les maladies ordinaires. Les 2% additionnels de contribution seront partagés : 1% payé par l’employé et 1% par l’employeur. Toutefois, le 1% payé par l’employeur sera déduit de l’impôt payé par l’entreprise. Notons à ce niveau que ce 1% est presque équivalent aux avantages fiscaux dont bénéficient les mutuelles de santé. Comme nous le remarquons, les cotisations additionnelles sont en moyenne presque équivalentes aux remboursements additionnels. Toutefois, l’important c’est que ce régime couvre une grande partie du risque ; en cas de maladie, les ménages auront une meilleure couverture. Cette mesure permettra, d’une part, d’améliorer le niveau de vie de la classe moyenne, et, d’autre part, d’aider les entreprises du secteur formel, qui contribuent lourdement aux recettes fiscales directes, de ne pas fuir ce régime. 

Par ailleurs, ce régime pourrait offrir des contrats différenciés, en termes de prestations, par les taux de cotisations payés : l’accès différencié des diverses catégories de la classe moyenne stable aux soins de santé justifie la multiplicité des contrats souscrits. Des taux de cotisation plus élevés donneront droit à des plafonds de prestations de soins relativement plus importants. A titre d’exemple, une étude menée auprès des organismes d’assurance maladie complémentaire en France identifie quatre grands groupes de contrats d’assurance maladie complémentaire. Ces groupes sont désignés par les lettres A, B, C, D, les contrats de type D étant ceux offrant la moins bonne couverture et les contrats de type A, la meilleure.

Le nouveau régime complémentaire d’assurance maladie pourrait amplifier le phénomène de risque moral. Néanmoins, des analyses économiques signalent qu’outre une amélioration de l’accès aux soins de santé, cette mesure pourrait corriger partiellement une autre inefficience, la sélection adverse. Un régime basé sur une incitation fiscale est plus attractif pour tous, y compris les individus ayant un faible risque santé et pour les ménages du secteur informel. 

En outre, l’instauration du nouveau régime contributif pourrait se baser sur diverses procédures d’implémentations empruntées à d’autres expériences internationales. Ces dernières nous permettent de fournir de nombreux enseignements sur les types de mesures à adopter et sur les caractéristiques de contrats d’assurance complémentaire qui pourraient être adoptées pour améliorer l’efficacité du régime. Deux conditions d’implémentations s’avèrent cohérentes avec le nouveau régime contributif.

1. Les délais d’attente ou de carence : il s’agit d’une période pendant laquelle la personne assurée ne pourra pas bénéficier des remboursements pour certaines prestations. Ces délais varient en fonction de la nature de la maladie ou des actes médicaux.

2. Conditions sur la résiliation du contrat : les assurés ont le droit de résilier leur contrat complémentaire assurance-santé selon les conditions générales prévues au contrat. Celui-ci peut ne pas être résiliable chaque année, mais tous les cinq ans, par exemple. Dans ce cas, l’assuré démissionnaire est redevable au régime d’une indemnité de démission.

Mohamed Ayadi
Universitaire. Ses principaux centres d’intérêt sont l’analyse
et l’allègement de la pauvreté, de la vulnérabilité et de la privation.
Il est Senior Fellow au NABES Lab

Houyem Chekki Cherni
Universitaire. Ses principaux centres d’intérêt sont les politiques de protection sociale
et la modélisation en équilibre général calculable.
Elle est Senior Fellow au NABES Lab

(*) Cette «note de politique économique» fait partie d’une série  réalisée dans le cadre de NABES Lab  destinée à enrichir le débat économique en Tunisie. Ces notes sont basées sur les meilleures recherches économiques disponibles et les auteurs sont des chercheurs universitaires.  Les points de vue présentés sont ceux  des auteurs et ne représentent aucunement  ceux de NABES.

NABES est la  North Africa Bureau of Economic Studies Intl, une institution d’études et de recherches économiques dirigée par Mustapha K. Nabli.




 

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